J.G. Ballard - Empire du Soleil - Folio
La cité où nait Ballard
en 1930, entame en 1941 une étape sombre de son existence. Adieu les années
folles de 1920, les concessions dans lesquelles les européens vivent une
existence luxueuse entretenue par une multitude de domestiques (les amahs) et
de coolies affamés. Cela se passe en deux temps. En 1937 les japonais éliminent
l’armée chinoise et s’installent à Shanghai. En 1941, après Pearl Harbour, ils
investissent les possessions occidentales et en chassent leurs occupants.
Certains s’échappent, d’autres sont faits prisonniers. Ainsi démarre l’intrigue
d’Empire du Soleil. Séparé de ses parents, alors que son père
participait au sauvetage de marins anglais sur le Yangtsé, le jeune Jim rejoint
la maison familiale située Amherst Avenue. Il y reste seul avant de se décider
à se procurer de la nourriture dans les propriétés désertes du voisinage.
Il déambule sur le Bund au milieu des soldats chinois morts et des véhicules
détruits. Il y croise deux américains détrousseurs de cadavres occupés à un
trafic de dents en or, et qui manquent de le revendre à la pègre. Finalement il
décide d’incorporer un cortège de prisonniers dans l’espoir de retrouver ses
parents. Des camions le débarque lui et les autres au camp de Longhua. Il y
vivra trois années avant l’évacuation sous le coup de boutoir des américains.
Passé en mode survie le
jeune Jim bascule dans un monde onirique où les corvées quotidiennes, l’attente
d’un dérisoire ravitaillement, l’ingestion de rares pommes de terre pour toute
nourriture côtoient la fascination qu’exercent sur lui les avions japonais et
américains. Les gardiens du camp ne sont pas réellement cruels ;
simplement ils laissent mourir les gens de malaria ou de sous-nutrition. Les soldats
chinois plus mal lotis œuvrent à l’entretien de la piste d’atterrissage toute
proche jusqu’à en crever :
Le futur écrivain élabore inconsciemment un paysage mental clef de son œuvre à venir, visions sidérantes d’univers en déliquescence. Le monde d’en bas n’est pas le microcosme d’un conflit mondial, mais un enclos de japonais indifférents aux affamés et aux malades, pas forcément solidaires d’ailleurs, malgré la présence du docteur Ransome ou de l’architecte Maxted qui surveillent Jim d’un œil . Le monde d’en haut déploie l’espace des rêves. Le rugissement des moteurs, la trajectoire des avions, l’arc lumineux de leurs chutes ne se lisent pas comme la chronologie d’une bataille mais comme la calligraphie d’un au-delà magnifique. Il y a cet épisode où les protagonistes échouent à bout de force dans un stade dans les faubourgs de Nantao. Résignés à leur mort prochaine, le jeune héros et les autres perçoivent un éclair blanc qui illumine les tribunes. Est-ce l’éclat de l’explosion atomique de Nagasaki, à la fois simulacre de résurrection des prisonniers et destruction apocalyptique d’une cité japonaise ?
Empire du Soleil est un fourre-tout
littéraire passionnant, terreau d’un écrivain, roman d’apprentissage, manuel de
survie, mémoire précise d’une ville légendaire qu’une existence ultérieure paisible
dans l’anonyme Shepperton n’effacera jamais, car les souvenirs, comme les
cercueils cerclés de fleurs et balancés dans le Yangtsé, reviennent
à la marée montante.
10 commentaires:
Pourquoi pas un Ballard pour commencer l’année.
Mes meilleurs vœux pour 2022 Soleil vert.. une date qui n’est pas sans rappeler le film. Souhaitons qu’il en soit autrement.
Et bonnes lectures !
Biancarelli
Merci de vos vœux.
On ne sait pas où on va, mais on y va …
Oula oula, ca part dans tous les sens. Trop barré pour moi. Mais comme d'habitude, tu en parles divinement bien.
Merci Ed, mais au fond c'est le récit d'un enfant dans un camp de prisonnier.
J'ai une affection toute particulière, au point de le classer dans mon best of pour une ile déserte, pour ce roman qui, sous couvert d'une presque autobiographie, nous offre les bases des apocalypses SF si particulières de l'auteur. Ballard nourrit ses phrases et ses perceptions d'un passé moitié subi moitié fantasmé. Chef d'oeuvre.
Je ne sais pas si l'auteur de ces lignes - dont j'approuve le contenu - est celui qui fit l'éloge de La bonté des femmes, mais ce dernier est dans ma PAL
J'ai eu, tout du long du récit, la curieuse impression d'une H(majuscule)istoire "rêvée" (dans le sens onirique), bien au-delà de la simple relation de faits tels que peut les restituer un enfant.
Tiens, "La bonté des femmes", un roman signé Ballard ?,je ne connaissais pas.
La bonté des femmes est une(semi ?)-autobiographie dans la lignée d'Empire du soleil … et recommandée par Gilles Dumay.
Elle démarre à Shangaï d'ailleurs
Tentant. Jim à l'age adulte ?
oui
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