mardi 15 juillet 2025

Le livre des passages

Alex Landragin - Le livre des passages - Le Cherche midi

 

                                                                                                     

 

LA BEAUTÉ

 

[…]Car j’ai, pour fasciner ces dociles amants,

De purs miroirs qui font toutes choses plus belles :

Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles !

 

 

LE FLAMBEAU VIVANT

 

Ils marchent devant moi, ces Yeux pleins de lumières,

Qu’un Ange très-savant a sans doute aimantés ;

Ils marchent, ces divins frères qui sont mes frères,

Secouant dans mes yeux leurs feux diamantés.

 

Me sauvant de tout piège et de tout péché grave,

Ils conduisent mes pas dans la route du Beau ;

Ils sont mes serviteurs et je suis leur esclave ;

Tout mon être obéit à ce vivant flambeau.

 

Charmants Yeux, vous brillez de la clarté mystique

Qu’ont les cierges brûlant en plein jour ; le soleil

Rougit, mais n’éteint pas leur flamme fantastique ;

 

Ils célèbrent la Mort, vous chantez le Réveil ;

Vous marchez en chantant le réveil de mon âme,

Astres dont nul soleil ne peut flétrir la flamme !

 

Charles Baudelaire

 

Fondé en 1978 avec comme fonds de commerce la poésie à compte d’auteur et les bavardages oiseux de personnalités publiques, Le Cherche Midi Editeur, ancienne appellation, a opéré au fil des décennies une mue salvatrice grâce à l’apport de nouveaux collaborateurs talentueux. C’est ainsi que furent créés les collections de référence « Lot 49 » ou « Les Passes-Murailles ». La parution du Livre des Passages (Crossings) d’Alex Landragin, premier ouvrage d’un auteur australien, confirme cette exigence qualitative.

 

De nos jours un relieur parisien se voit confier la fabrication d’un livre secret contenant trois textes dont un inédit de Charles Baudelaire. Le commanditaire, une riche bibliophile, lui demande de travailler dans le plus grand secret et de ne pas en lire le contenu. Une promesse difficile à tenir quand on assemble des pages d’autant qu’à la mort de « la Baronne » l’ouvrage devient la propriété provisoire du fabricant le déliant ainsi de ses engagements.

 

Le premier récit « L’éducation d’un monstre » raconte la rencontre inopinée à Bruxelles de Charles Baudelaire et d’une certaine Edmonde Duchesne de Bressy. Renversé par une voiture à la sortie d’un diner le poète est recueilli par une mystérieuse femme réincarnation de Jeanne Duval, son ancienne maitresse. Edmonde lui dévoile les secrets d’une technique de transmigration (permutation) des âmes dont des insulaires polynésiens seraient les initiateurs : le passage.

 

« La cité des ombres » nous transporte dans le Paris des années 40 peu de temps avant l’arrivée des troupes nazies. Un réfugié juif-allemand fait la connaissance au cimetière Montparnasse de Madeleine Blanc. La jeune femme est à la recherche de « L’éducation d’un monstre », en concurrence avec une mystérieuse société Baudelaire dirigée par Coco Chanel. Alors que tout l’invite à fuir la capitale, le réfugié, tombé amoureux de Madeleine, prend part à sa quête. Elle lui révèle le secret du passage.

 

Le dernier texte « Conte de l’Albatros » donne la clef du roman. Au XVIIIe siècle les habitants de l’ile Oaeetee dans le Pacifique pratiquent un sortilège connus d’eux seuls, l’échange provisoire et réversible des esprits, conçu comme un acte de connaissance réciproque. Un jour débarquent des européens venus vendre des peaux. Les iliens font participer les occidentaux à leur rite. Mal leur en prend car deux jeunes amants Alula et Koahu vont se retrouver malgré eux dans la peau d’étrangers et devront au fil de multiples identités traverser océans et années pour tenter de se retrouver.

 

Outre l'ordre linéaire de lecture, Alex Landragin suggère une séquence alternative balisée par ses soins. Ce jeu de piste a été pratiqué entre autres par Ian M. Banks dans L’usage des armes et Stéphane Beauverger dans Le Déchronologue, - pas toujours de façon convaincante. Préconisons une troisième piste : commencer la lecture par le dernier récit, étant donné, comme l’explique le blogueur Apophis … que le début est la fin du texte.

 

Ces considérations labyrinthiques ne doivent en aucun cas décourager le lecteur qui se voit proposer de voyager dans l’espace et le temps, de côtoyer Baudelaire, et de rêver aux serments d’amour éternel. Intrigue originale, écriture élégante (merci à la traductrice), Le livre des passages est une des satisfactions de l’imaginaire 2025.

11 commentaires:

Soleil vert a dit…

Pour faciliter :
Alula->Joubert (le marin)->Jean-François Feuille->Jeanne Duval->Edmonde Duchesne de Bressy->Hippolyte Balthazar->Madeleine Blanc
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Koahu->Roblet (le chiurgien)->Baudelaire->Mathilde Roeg->Walter Benjamin->Médecin ?

Christiane a dit…

Donc, je commence par le troisième récit...

Christiane a dit…

C'est une expérience de lecture tout à fait surprenante . J'avais commencé le joli troisième récit quand un signet me renvoya à la page 92. Le temps de m'habituer ... quelques bribes de rêves, et "l'albatros" - très important dans le troisième récit - est évoqué.
Et à ce nom est accolé celui de Baudelaire. Son poème , "l'albatros", du moins un extrait , est alors cité. Et il semblerait que la puissance de la métempsycose ait permis à un personnage du troisième récit de migrer dans l'esprit de Jeanne Duval, la maîtresse de Baudelaire pour lui suggérer l'idée de ce poème.
La métempsycose est effectivement le thème central de ces nouvelles. Nous pouvons aller de l'une à l'autre au gré des indications de l'auteur et retrouver un personnage qui a migré dans l'esprit d'un autre.
C'est un peu compliqué mais très... aérien.
Une sorte de damier, un jeu où les personnages n'habitent que très provisoirement le corps d'un autre.
Le troisième récit me plaisait beaucoup. Une île, bientôt nommée L'Albatros, où les âmes bondissent d'un corps à l'autre et en principe retournent au leur, assez rapidement. Ces transports psychiques donnent aux personnages la pleine connaissance de l'autre et de sa vie. Cela donne des dialogues ahurissants.
Je n'ai pas encore lu le début, Soleil vert l'a bien résumé.
Donc c'est trois en un. Symbole maçonnique ? Religieux ? Ou uniquement ludique ? La couverture du livre est très ésotérique.
Qui sait ? Qui saura ? Peut-être le lecteur, sûrement l'auteur !

Anonyme a dit…

Ésotérique, je ne sais pas. Il existe un ésotérisme d’artiste. Il me semble que le Cherche-Midi fut un temps l’éditeur des Jules Verne inédits sans les traficotages d’ Hetzel fils ou Michel Verne. ..Attention, double diérèse dans Baudelaire!

Anonyme a dit…

« secou/ant dans leurs yeux leurs feux di/amantes »

Anonyme a dit…

Faut-il comprendre que JF Feuille est Jeanne Duval?!?! MC

Christiane a dit…

C'est une certaine Madeleine. Son poème préféré : "L'Albatros". Elle le récite. Et ajoute : "Il l'a volé, ce poème.
- Volé à qui ?
- A moi. (...) C'est moi qui lui ai donné l'idée. Je lui ai raconté le conte de l'albatros, et il en a fait un poème.
- Vous l'avez connu ?
- Oui. Pas dans ce corps, bien sûr. Dans un autre.
- Lequel ?
- Celui de Jeanne
- (...) Vous voulez dire Jeanne Duval ? Sa maîtresse ?
- J'étais sa maîtresse son esclave, sa persécutrice... Et pendant un temps du moins, j'ai aussi été sa muse. (...) Charles était un voleur. il volait à tout le monde : argent, poèmes, livres, amours. (...) Bien sûr, il avait du talent."
Page 98.
Mais suivant le plan de lecture de l'auteur, je ne sais pas ce qui précède la page 92.

Christiane a dit…

En fait page 91. Le début du chapitre , "l'appartement".
Il (?) la trouve dans son lit en se réveillant. Il se souvient du cimetière (?), du raid aérien (?), de l'abri(?).
"Elle m'avait dit son nom ; Madeleine."
Il se souvient souvient que dans son rêve il était sur un trois-mâts, chirurgien de bord .
C'est l'endroit où l'auteur invite le lecteur à venir page 91.
Je vais de découverte en découverte... Il y a un lien logique entre ces deux scènes, celle de la troisième partie et celle-ci et certainement avec les pages qui précèdent. C'est un jeu de piste !

Christiane a dit…

Dans la préface :
"(...) cher lecteur,
. Vous allez devoir décider vous-même si vous souhaitez le lire comme un recueil de nouvelles vaguement liées entre elles, ou comme un roman."
Et à l'adresse du lecteur :
"Ce livre peut être lu de deux façons : conventionnellent ( c'est-à-dire, de la première page at la dernière), ou en suivant l'ordre de la Baronne. Ceux qui opteront pour celui-ci trouveront, à la fin de chaque chapitre, un numéro entre accolades) indiquant à quelle page passer ensuite. Ils commenceront page 209."

Christiane a dit…

Et Soleil vert conseille aussi la lecture alternative en commençant par le troisième récit.

Anonyme a dit…

Cette histoire de Baudelaire voleur est très discutable ! Et le dialogue cité aussi. MC