P. Djèli Clark - Ring Shout -
L’Atalante
Macon (Géorgie) 4 juillet 1922. Perchées sur un ancien
entrepôt de coton à quelque distance des festivités, Sadie, Maryse, Chef, trois
copines afro-américaines, assistent à un défilé du Ku Klux Klan local. Chef,
alias Cordelia Lawrence a fait connaissance avec les rats dans les tranchées
de la première guerre mondiale. Elle en a gardé quelques souvenirs culinaires mais
la carcasse de chien mort bourrée d’explosifs qu’elle balance ce jour ne leur
est pas destiné. Un Ku Kluxe, animé d’une démarche roide et irrégulière fait
irruption, bientôt suivi de deux confrères et se met à laper les restes de
l’animal. Si le racisme est une monstruosité, à Macon il engendre carrément des
monstres. Les balles de Winchester que leur balance Sadie ne font que les
exciter ; c’est alors que Maryse Boudreaux et son épée chantante entrent
en scène …
P. Djèli Clark livre un court roman détonnant où une Weird
tale à la Lovecraft revisite l’Histoire ségrégationniste des états du Sud. Le
mélange des genres donne lieu ici à une réussite sanctionnée par de nombreux
prix (Locus 2021, Nebula 2020, British fantasy 2021, finaliste Hugo 2021). La
narration s’ancre dans la culture Gullah-Geechee, un peuple d’esclaves issus de
la Sierra Leone, implantés au XVIIe siècle dans la région des îles et plaines
côtières de Caroline du Sud et de Géorgie. P. Djèli Clark
déroule ce récit dans une langue vernaculaire afro-américaine, cousine du
créole, que la traductrice Mathilde Montier, coopérant étroitement avec
l’auteur, restitue avec inspiration.
Les évènements de la veille ne sont qu’une péripétie de plus
pour Maryse et ses tueuses. Dans la ville surchauffée jadis par le film Naissance
d’une nation, elle s’inquiète davantage d’une rediffusion prochaine de l’œuvre
de D.W Griffith prévue à Stone Mountain, colline sanctuaire d’étranges
pratiques. La jeune femme n’a qu’un souvenir confus de l’instant où l’épée est
apparue la première fois. Sa haine pour les Ku Kluxes dissimule une terreur
primale qui ressurgit à chaque invocation de l’arme, sous l’apparence d’une
petite fille apeurée. Ses visions l'emmènent parfois dans un autre monde où trois esprits (les haints) lui prodiguent leurs conseils. De manière classique la progression de l’intrigue vers
l’apocalypse finale s’accompagne du cheminement intérieur de l’héroïne vers la
douleur et la rédemption. Cela n’empêche pas le lecteur d’apprécier les scènes
de « Shout » chez Nana Jean ou les soirées au Frenchy’s Inn qui
rappellent les bonnes heures de la Nouvelle-Orléans … quoique matinées ici de
bastons d’enfer.
Le Ring Shout, culture, danse ancestrale mêlant
chants, percussions et invocation des Esprits ressurgit ici dans le cadre d’une
fantasy urbaine tout à fait originale.
Post-scriptum : l'hommage d'Ubik à Joël Houssin
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