mardi 22 mars 2022

Ring Shout

 

P. Djèli Clark - Ring Shout - L’Atalante

 

 

 

Macon (Géorgie) 4 juillet 1922. Perchées sur un ancien entrepôt de coton à quelque distance des festivités, Sadie, Maryse, Chef, trois copines afro-américaines, assistent à un défilé du Ku Klux Klan local. Chef, alias Cordelia Lawrence a fait connaissance avec les rats dans les tranchées de la première guerre mondiale. Elle en a gardé quelques souvenirs culinaires mais la carcasse de chien mort bourrée d’explosifs qu’elle balance ce jour ne leur est pas destiné. Un Ku Kluxe, animé d’une démarche roide et irrégulière fait irruption, bientôt suivi de deux confrères et se met à laper les restes de l’animal. Si le racisme est une monstruosité, à Macon il engendre carrément des monstres. Les balles de Winchester que leur balance Sadie ne font que les exciter ; c’est alors que Maryse Boudreaux et son épée chantante entrent en scène …

  

P. Djèli Clark livre un court roman détonnant où une Weird tale à la Lovecraft revisite l’Histoire ségrégationniste des états du Sud. Le mélange des genres donne lieu ici à une réussite sanctionnée par de nombreux prix (Locus 2021, Nebula 2020, British fantasy 2021, finaliste Hugo 2021). La narration s’ancre dans la culture Gullah-Geechee, un peuple d’esclaves issus de la Sierra Leone, implantés au XVIIe siècle dans la région des îles et plaines côtières de Caroline du Sud et de Géorgie. P. Djèli Clark déroule ce récit dans une langue vernaculaire afro-américaine, cousine du créole, que la traductrice Mathilde Montier, coopérant étroitement avec l’auteur, restitue avec inspiration.

 

Les évènements de la veille ne sont qu’une péripétie de plus pour Maryse et ses tueuses. Dans la ville surchauffée jadis par le film Naissance d’une nation, elle s’inquiète davantage d’une rediffusion prochaine de l’œuvre de D.W Griffith prévue à Stone Mountain, colline sanctuaire d’étranges pratiques. La jeune femme n’a qu’un souvenir confus de l’instant où l’épée est apparue la première fois. Sa haine pour les Ku Kluxes dissimule une terreur primale qui ressurgit à chaque invocation de l’arme, sous l’apparence d’une petite fille apeurée. Ses visions l'emmènent parfois dans un autre monde où trois esprits (les haints) lui prodiguent leurs conseils. De manière classique la progression de l’intrigue vers l’apocalypse finale s’accompagne du cheminement intérieur de l’héroïne vers la douleur et la rédemption. Cela n’empêche pas le lecteur d’apprécier les scènes de « Shout » chez Nana Jean ou les soirées au Frenchy’s Inn qui rappellent les bonnes heures de la Nouvelle-Orléans … quoique matinées ici de bastons d’enfer.

  

Le Ring Shout, culture, danse ancestrale mêlant chants, percussions et invocation des Esprits ressurgit ici dans le cadre d’une fantasy urbaine tout à fait originale.


Post-scriptum : l'hommage d'Ubik à Joël Houssin


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