mercredi 2 février 2022

Les Temps ultramodernes

 

Laurent Genefort - Les Temps ultramodernes - Albin Michel Imaginaire

 

 

Acteur de poids dans la littérature française de science-fiction et de fantasy, dont l’œuvre a été consacré à de multiples reprises par le Grand Prix de l’Imaginaire, Laurent Genefort propose un roman au croisement de l’uchronie, du steampunk et du rétrofuturisme. Les Temps ultramodernes qui aurait pu s’intituler L’apocalypse de la modernité titre de l’essai d’Emilio Gentile, décrit un monde autre, un monde des années 1920 différent du nôtre quoique propulsant l’Humanité sur les mêmes rails de la science et de la barbarie.

 

La grande affaire de cet univers c’est la découverte en 1895 de la cavorite par un certain Cavor, héros du célèbre roman de Wells, Les premiers hommes dans la lune. Ce minerai ou tout au moins son principe actif le cavorium émet un rayonnement « kappa » antigravitatif. Les scientifiques, au premier rang desquels on trouve les français Henri Becquerel et les époux Curie, en décryptent les principes physicochimiques aboutissant à l’industrialisation d’engins volants, … à la navigation interplanétaire et à la colonisation de Mars. Insensiblement le monde se met à graviter autour de l’étrange métal comme l’Univers de Dune autour de l’Epice. A l’image de Solaris et de la solaristique, Laurent Genefort invente une science qu’il traite dans un opuscule distinct de son roman, L’Abrégé de Cavorologie fourni gratuitement en numérique. Le récit ainsi allégé se focalise sur les mésaventures de plusieurs personnages dont la cavorite est la pierre angulaire.

 

Renée Manadier jeune enseignante provinciale gagne Paris afin de briguer un nouveau poste. Elle croise dans le train Georges Moinel, artiste, ou se prétendant comme tel, qui sur place se retrouve embrigadé dans un mouvement anarchiste. Attendant vainement une proposition d’embauche, Renée déambule dans la capitale. Un jour de tempête, un être bizarre s’abat à ses pieds. Il s’agit d’un erloor, une créature martienne sentiente évadée du Jardin des Plantes. Elle le recueille discrètement chez elle, le soigne, l’éduque. Sa route va croiser celle de la physicienne Marthe Antin. Celle-ci seconde le commissaire Peretti dans une affaire de trafic illégal de cavorite. Quelques années auparavant Marie Curie a découvert que la période radioactive du minerai n’excédait pas vingt ans. Un krach boursier s’en est suivi, mettant les Etats en ébullition à la recherche des derniers gisements. Pendant ce temps, une mystérieuse organisation tire de l’ombre Marcel Chery, un ancien médecin eugéniste.

 

Les Temps ultramodernes ne se lit pas, il se déguste. En parallèle d’une intrigue carrée, sans temps mort, et d’un final évoquant les heures les plus sombres du XXème siècle, le lecteur découvre un Paris doté de quatre Tours Eiffel utilisées pour l’appontage des paquebots volants, à l'instar des tours de Notre-Dame aménagées en station d’aéronefs dans le roman d’Albert Robida Le Vingtième Siècle. Des trottoirs roulants parcourent la Capitale, comme dans l’Exposition universelle de 1900. Laurent Genefort s’est souvenu de la publicité géante Citroën sur cette même Tour, des autochenilles Citroën de la croisière jaune ici déroutées sur Mars etc. La frénésie industrielle engendrée par les propriétés extraordinaires de la cavorite évoque l’engouement irraisonné pour le radium dont on fit même des crèmes de beauté. Ce ne sont là que quelques-unes des références tirées de l’Histoire et des Rétrofictions ; le lecteur averti poursuivra l’inventaire pour son plus grand plaisir.

 

Le worldbuilding s’étend aux arts : « L'admiration de Georges le disputait à l’abattement. L'homme attablé face à lui était un véritable artiste, sans l'ombre d'un doute. Le discours enflammé dans lequel ce dernier se lança lui demeurait pour l'essentiel impénétrable : il se réclamait de l'héritage du rayonnisme kappa qui voyait dans les tourbillons invisibles induits par les radiations cavoriques le reflet des chocs et des mouvements de la vie. Le rayonnisme était l'un des surgeons éthérés du constructivisme, comme l'alterréalisme l'était du sidéralisme. Georges l’écoutait en tripotant son dessous de verre vantant les mérites du vin Mariani, avec lequel, racontaient les réclames, les premiers explorateurs de Mars avaient amadoué les créatures autochtones. Il n'y comprenait rien. » Cet amarrage des arts à la science satisfera un certain Gérard Klein … Laurent Genefort en dresse la taxinomie dans son abrégé de 69 pages qu’on feuillètera à la suite de ces gouteux Temps ultramodernes.


P.S : se procurer gratuitement L'Abrégé de Cavorologie



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