mercredi 11 décembre 2024

La Montagne dans la mer

Ray Nayler - La Montagne dans la mer - Le Bélial’

 

 

 

Les lecteurs français ont découvert en 2023 l’auteur américain Ray Nayler avec le recueil de nouvelles Protectorats. Il contenait des récits de science-fiction se déroulant au sein d’un monde légèrement alternatif, dans une tonalité Eganienne, où prédominait l’inquiétude mémorielle et identitaire. L’écrivain récidive cette année avec un roman, La Montagne dans la mer situé dans le même contexte géopolitique. Il relate la découverte d’un peuplement de pieuvres très intelligentes, Octopus Habilis, dans un cargo échoué au large de l’archipel vietnamien de Con Dao - et les enjeux qui en découlent. L’entreprise DIANIMA spécialisée dans l’ingénierie biologique, l’intelligence artificielle, et récente propriétaire de l’ile compte exploiter cette trouvaille. Elle fait appel au docteur Ha Nguyen pour épauler une équipe comprenant un androïde conçu par DIANIMA. C’est plus qu’il n’en faut pour éveiller des convoitises malfaisantes et faire disparaitre quelques témoins gênants.

  

Ce techno-thriller que l’on pressent emprunter le chemin tracé par Ted Chiang dans « L’histoire de ta vie », adapté au cinéma sous le titre Premier contact, explore en effet le thème de la communication avec une espèce résolument étrangère. Mais loin de laisser filer son sujet à poulpe abattu, Ray Nayler propulse son récit dans trois directions différentes, trois voies appelées à converger. L’archipel de Con Dao donc puis Astrakhan et Istanbul où un hacker est chargé par une mystérieuse et menaçante commanditaire de pirater un réseau neuronal, les fameux « connectomes» de Protectorats, supports des dernières générations d’IA ; enfin, une odyssée maritime mettant aux prises des pêcheurs esclaves d’un cargo automatisé avec leurs geôliers humains ou non.

  

Au fil de ces narrations que d’aucuns pourraient assimiler à tort à des chemins de traverse, se dessine une trame sur l’impuissance des hommes à s’affranchir de leurs démons. Au chapitre 31 une responsable de DIANIMA fait la remarque suivante : « Il y a quelque chose de grand et de terrible chez les humains : nous ferons toujours ce que nous sommes capables de faire ». Phrase terrible qui renvoie à un conte ancien où un serpent demande à un batracien ou un oiseau - ma mémoire est faible – de l’aider à traverser une rivière. Au milieu du gué le serpent mord son transporteur qui avant de mourir lui fait remarquer qu’ils vont périr tous les deux. « Je le sais bien dit le serpent mais c’est dans ma nature ». Sentence qui révèle l’inaptitude humaine à entrevoir l’au-delà du monde, à affronter l’étrangeté du réel car condamnée à reproduire éternellement et à se réfugier dans la technologie. L’échange symbolique avec les pieuvres n’est que la clef de voute d’un roman sur l’ incompréhension et l’incommunicabilité. Plus besoin d'aller chercher les extra-terrestres au fond de l’univers. Ils sont ici et se nomment Algorithme, IA, ChatGPT, Sensitive Readers, Humains. Plus concis, les Kloetzer concluaient la lecture des Insulaires de Christopher Priest par ces mots « Chaque homme est une ile. »

 

La Montagne dans la mer est un beau livre, dans tous les sens du terme, les illustrations de couverture ayant bénéficié, nous dit Olivier Girard, d’un pelliculage « soft touch » ou « peau de pêche ».


2 commentaires:

Christiane a dit…

C'est vraiment la force de vos chroniques, Soleil vert, revenir régulièrement sur un auteur et nous guider vers une nouvelle création de cet auteur.
Une autre force, celle de rapprocher les imaginaires de plusieurs auteurs à travers leurs livres, grâce à vos liens. On clique et on se retrouve dans un passé proche se jouant sur quelques années.
Cette façon de construire votre blog est vraiment intéressante.
Il y aussi d'autres auteurs qui ne sont pas de science-fiction. Les liens entre les uns et les autres sont passionnants ainsi Modiano, Quignard.
Vous êtes tout-à-fait inclassable, un lecteur déroutant, surprenant, ouvert. Vous effacez les frontières, obligez les lecteurs à s'interroger sur leurs certitudes.
De plus l'atmosphère du blog est sereine permettant de cheminer dans un roman, permettant aussi d'autres lectures au goût des uns et des autres.
C'est vraiment réjouissant.

Anonyme a dit…

Quelques corrections. SV