Leonardo
Padura - Adios Hemingway - Métailié
Mario Conde ancien flic cubain occupe son temps en faisant commerce de livres anciens. Il glisse aussi de temps à autre une rame de papier dans une vieille Underwood et se prend à rêver de suivre les traces d’Ernest Hemingway qui résida longtemps sur l’ile. Pur fantasme évidemment. Il garde néanmoins un souvenir précis du célèbre écrivain, vieux bonhomme puant l’alcool et la sueur qu’il croisât enfant, alors que celui débarquait du Pilar. Toutes ces vieilles réminiscences remontent d’un bloc à la surface, quand ses anciens collègues l’appellent à la rescousse. A la faveur d’une tornade, on vient de découvrir quasiment sous les racines d’un vieux manguier abattu les restes d’un cadavre et une plaque du FBI. L’arbre se dressait dans la Finca Vigia, l’ancienne propriété de l’auteur du vieil homme et la mer, transformée en musée. Hemingway était-il un meurtrier ?
Si la question de l’exil hante ses récits, Leonardo Padura, malgré de nombreux voyages, ne s’est jamais résolu à quitter son Havane natale. Il crée avec Mario Conde une figure récurrente de ses romans policiers, un double enraciné comme lui à Cuba. L’auteur puise aussi dans l’Histoire la matière de ses romans. L'Homme qui aimait les chiens retrace par exemple les années d’exil de Léon Trotski, Adios Hemingway s’inscrit dans le dernier séjour de Papa dans l’ile de Fidel Castro.
La célèbre figure des lettres américaines n’est plus en 1958 que l’ombre d’elle-même. Le colosse décrit ou plutôt imaginé par Dan Simmons qui chassait les sous-marins allemands dans les mers caraïbes dans les années 40 a disparu. Une vie hors norme, les excès en tous genres, les blessures, ont rendu leur verdict. Hemingway frémit à l’idée d’abandonner le sel de son existence, de n’être plus mouvement, de partager son quotidien entre renoncements et médicaments, et pire que tout de voir s’éloigner l’écriture. Une vie d’artiste ne fait pas un artiste dit-on. Il en fut en un sens le contre-exemple parfait :
Ernest et Mary Hemingway, Ava Gardner |
« La
vérité était comme toujours plus compliquée et plus terrible : sans ma
biographie, je n'aurais pas été écrivain, se dit-il en faisant miroiter le vin
sans le boire. Il savait que son imagination avait toujours été mince et
trompeuse, et que seul le récit des choses vues et apprises lui avait permis d'écrire
ces livres capables de résumer l'authenticité que lui-même exigeait de sa
littérature. Sans la bohème parisienne et les corridas, il n'aurait pas écrit Fiesta.
Sans les blessures de Fossalata, l'hôpital de Milan et son
amour sans espoir pour Agnès von Kurowski, il n'aurait jamais imaginé L’Adieu
aux armes. Sans le safari de 1934 et le goût amer de la peur
ressentie à proximité d'un buffle blessé et menaçant, il n'aurait pas pu
écrire Les Vertes Collines d'Afrique, ni deux de ses
meilleures nouvelles, « La Courte Vie heureuse de
Francis Macomber » et « Les Neiges du Kilimandjaro ».
Sans Key West, le Pilar, le Sloopy Joe's et la contrebande
d'alcool, En avoir ou pas n'aurait pas vu le jour. Sans la guerre
d'Espagne, les bombardements et l'inhumaine Martha Gelhorn, il n'aurait jamais
écrit La Cinquième Colonne et Pour qui sonne le glas. Sans
la Seconde Guerre mondiale et sans Adriana Ivancich, Au-delà du fleuve et Sous
les arbres n'existerait pas. Sans toutes les journées passées dans le
golfe du Mexique et sans les poissons aiguilles qu'il avait pêchés et sans les
autres histoires d'orphies gigantesques qu'il avait entendues raconter par les
pêcheurs de Cojimar, Le Vieil Homme et la Mer n'aurait jamais vu
le jour. Sans la "bande de pirates" qui l'avaient accompagné à la
recherche de sous-marins nazis, sans la Finca Vigîa et sans le Floridita, ses
bouteilles et ses personnages, il n'aurait pas écrit Iles à la dérive. Et
Paris est une fête. Et Mort dans l'après-midi ? Et
les histoires de Nick Adams ? […]
Des années
plus tard, les préoccupations morales de Mario Conde relèvent d’un autre ordre.
L’auteur qui exhibait aux murs de sa villa sa virilité à coups de trophées d’animaux,
le chasseur et pécheur inlassable, l’amateur de tauromachie, l’organisateur de combats
de coqs qui écarta de sa route les compagnons de beuverie de jeunesse Dos
Passos et Fitzgerald jugés faibles ou traitres, est t-il passé à l’acte, le flic va-t-il
abattre une légende ? Il doit consulter les archives, interroger les derniers proches survivants …Si l’intrigue policière en elle-même ne réserve pas
de grandes surprises, hormis la présence insolite d’une petite culotte noire d’Ava
Gardner - l’actrice fit un détour chez Papa après sa rupture avec
Sinatra -, cette plongée dans les dernières années cubaines d’Hemingway ne
manque pas de charme. Il est vrai que le fond est inépuisable.
2 commentaires:
Belle chronique qui m’incite à lire les enquêtes précédentes de Mario Conde.
Pour être allé à Cuba,c’est vrai que beaucoup de touristes viennent aussi sur les traces d’Hemingway.Concernant le roman qui situe la narration dans les années 50,j’ai eu l’impression que Padura s’attachait plus à comprendre la légende Hemingway,plutôt qu'à la détruire.
Biancarelli
Oui, la légende, il l'entretient.
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