Jean Ray
- Le carrousel des maléfices - Alma
Dernier
recueil paru du vivant de l’auteur, Le carrousel des maléfices rassemble
des textes parus dans une revue médicale gantoise Les cahiers de la Biloque.
Comme le souligne Arnaud Huftier le volume ne constitue pas un corpus
préalablement constitué mais se présente comme une compilation de -
majoritairement - short stories. Les années d’ambition et d’inspiration sont
passées, mais l’ouvrage réserve encore quelques surprises au lecteur.
Aux vingt-huit récits initiaux,
l’anthologiste ajoute comme à son habitude quelques textes supplémentaires. Une
pépite s’y loge « La princesse Tigre », sorte de
préfiguration des aventures d’Indiana Jones, peut-être rédigée sous l’influence
d’Henri Vernes. En voici le début :
« Le bruit des
tambourins s’éloignait ; un balophon sonna longuement,
puis renonça à lancer ses lugubres notes ; les dernières
lueurs pourpres achevèrent de palpiter
au-dessus des banians et la nuit s'empara de la sylve.
Andy
avait souvent passé la nuit dans la forêt, mais
non dans celle de Lingor, vieille comme le monde lui-même et mortellement
dangereuse.
Au
moment du bref crépuscule tropical, il avait découvert les ruines d'un temple
bouddhique et leur demandait à présent asile pour la nuit.
Quelques niches contenaient encore les
statues d'étranges et horribles divinités, et la lune, qui se levait entre les
arbres, leur prêtait la vie lente de ses ombres.
C'était une lune éblouissante, d'une
clarté dure et implacable, dont les rayons fléchaient la nuit de
traits ardents.
Andy
la haïssait la sachant complice de tous les crimes des ténèbres. Les bruits du
jour s'étaient tus brusquement, les cris des perroquets et les jacassements des
singes s'étaient arrêtés comme au déclic d'un levier de commande.
Andy entendit le froissement d'un python qui se
déroulait non loin de lui, puis la menue plainte d'un lori dont il avait vu les
yeux effroyables entre les feuilles d'un tallipot.
Au loin des appels clairs, presque joyeux,
rompirent le silence ; c’étaient les panthères, chassant par couple, qui
s’élançaient sur la piste des cerfs.
Il y eut une confuse rumeur d'ailes : les
nocturnes qui habitaient les ruines préparaient leur envol.
A ce moment parut le tigre. C’était lui
qu'Andy Craigh attendait.
Il s’était juré de ne partager avec personne
l'honneur d'abattre ce tueur d'hommes.
Mais
jamais il n'aurait pu croire qu'il fut aussi formidable.
Craigh avait pas mal de grands fauves à son tableau de chasse personnel, et en fait de tigres il en avait tiré au Bengale, à Java, au Siam, mais pour la première fois il se trouvait en présence d’un énorme monstre de la forêt de Lingor.
Dans ce clair de lune d'un bleu d'acier poli, la bête paraissait irréelle, comme faite de clartés aveuglantes et d'épaisses bandes d’ombres. Elle se tenait immobile, le mufle contre le sol.
Andy leva son fusil et siffla doucement.
D’un mouvement très lent la monstrueuse tête quitta le sol et deux yeux verts, terribles entre tout, se fixèrent sur le chasseur.
Craigh avait pas mal de grands fauves à son tableau de chasse personnel, et en fait de tigres il en avait tiré au Bengale, à Java, au Siam, mais pour la première fois il se trouvait en présence d’un énorme monstre de la forêt de Lingor.
Dans ce clair de lune d'un bleu d'acier poli, la bête paraissait irréelle, comme faite de clartés aveuglantes et d'épaisses bandes d’ombres. Elle se tenait immobile, le mufle contre le sol.
Andy leva son fusil et siffla doucement.
D’un mouvement très lent la monstrueuse tête quitta le sol et deux yeux verts, terribles entre tout, se fixèrent sur le chasseur.
— Voulez-vous me laisser passer, espèce
d'endormi ! gronda le tigre.
L'autobus de Bolton venait d'arriver à Stockton et
la marchande de volailles, qui partageait avec Andy Craigh la banquette du fond,
voulait descendre bonne première. »
Beaucoup
de nouvelles restent en deçà voire très en deçà de « La princesse Tigre ».
Difficile dans ces conditions d’opérer une sélection. On peut néanmoins
extraire le très bon « Tètes-de-lune » qui ressuscite le mythe
fantastique de la Dame Blanche, avec un final façon Un jour sans fin, « Le
Tessaract » intrusion de Jean Ray dans un domaine plus science-fictif.
L’hypothèse de l’existence d’une quatrième dimension revient d’ailleurs dans
plusieurs nouvelles, « Mathématiques supérieures », « L’expérience
de Laurence Night », « La formule (a story of fourth
dimension) », « M. Banks et le boulet Langevin », « La
fausse clef » ; textes mineurs mais qui témoignent de l’intérêt
de l’écrivain pour les avancées scientifiques de la première moitié du XXe
siècle. Suit ensuite le classique « La conjuration du Lundi »,
ou comment se débarrasser d’un exorcisme, qui débute par un extrait du grimoire
de Stein (1). « Les gens célèbres de Tudor Street » révèle un drôle
de Musée Grévin. « Mr Gless change de direction » tente de
renouveler le mythe de Jack l’éventreur et « Je cherche Mr Pilgrim »
aborde le thème de la vengeance. Au chapitre des curiosités le pitch de « Bonjour
Mr Jones » rappelle celui de « L’oncle Timotheus ».
Enfin le sobre et ténébreux « Le banc et la porte » évoque les
peurs d’enfance.
Le
carrousel des maléfices renoue aussi avec la veine sarcastique de Jean Ray sur la petite
bourgeoisie. Les chemins de l’enfer y sont pavés de bons repas. Là s’arrête néanmoins
la dégustation. Globalement on est en dessous des autres ouvrages de l’auteur,
hormis Les contes noirs du golf.
(1) Saint-Judas-de-la-Nuit
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