Gardner
Dozois - L’étrangère - Actusf
Gardner Dozois, décédé le 27 mai 2018, laisse le
souvenir d’un acteur incontournable de la science-fiction américaine. Rédacteur
en chef du magazine Asimov’s science fiction pendant une vingtaine
d’années, anthologiste, il semble avoir privilégié l’activité éditoriale au
détriment d’une production littéraire pourtant originale et saluée. Il laisse six
recueils de nouvelles et encore moins de romans au sein desquels brille une
perle, L’étrangère.
Disséminée dans l’univers, une petite fraction de la
communauté humaine s’est installée sur la planète Lisle, patrie des Cian,
l’espèce prédominante. Elle vit quasi recluse dans l’Enclave, un quartier
réservé d’une grande ville. Le négoce constitue le seul vecteur d’échange entre
les deux peuples, chacun restant cantonné dans un ghetto culturel, sur fond
d’ignorance et de mépris. A la décharge des anciens habitants de la planète
Terre, l’irruption d’une race extraterrestre vingt auparavant, les conviant à
s’insérer dans un vaste réseau commercial pan stellaire, a été vécu comme un
traumatisme. Les humains sont perdus, désorientés comme Joseph Farber, artiste
de son état. Curieux, il assiste un soir à la cérémonie de l'alàntene,
une fête du solstice d’hiver célébrée par les autochtones. Il tombe amoureux de
Liraun Jé Genawan, une cian.
Le bal des amours extraterrestres fut ouvert en 1961
par Philip José Farmer avec Les amants étrangers. Le livre choqua alors
la confrérie campbellienne sans doute plus proche dans ses approches raciales
de Lovecraft que de Faulkner. Incompréhension là encore avec la publication de L’étrangère
dix sept ans plus tard. Cette fois la forme ramassée, pratiquée pourtant par
Silverberg, étonna certains critiques. Aujourd’hui l’ouvrage s’inscrit dans les
classiques du genre.
Le récit, centré sur Joseph Farber, conte la lente dissolution
d’un homme dans une culture étrangère. Franchissant, dans une logique
affective, les étapes de la déshumanisation, le personnage se retrouve coupé de
sa communauté d’origine tout en butant sur le mur d’incompréhension de la
civilisation cian. Les habitants de la planète Lisle maîtrisent les outils de
la science génétique, mais ils constituent paradoxalement une société
traditionnelle dont la vie est réglée par des rites inamovibles et mystérieux.
L’amour est aveugle dit-on. Comme Orphée, Farber
entame sans le savoir un périple aux Enfers. Lorsqu’il se retourne et ouvre les
yeux - façon de dire qu’il découvre la vérité - la perte s’avère irrémédiable.
Le titre original du roman de Gardner Dozois Strangers évoque aussi une
autre facette de l’amour, celui destructeur de deux êtres étrangers à eux-mêmes
et aux autres. L’écriture, le travail du traducteur contribuent à la beauté et
à l’émotion ressenties à la lecture de ce petit bijou de deux cents pages.
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