John Hornor Jacobs - La Mer
se rêve en Ciel - Styx
« Toute perte d’innocence, c’est un bout de
nous-même qui meurt ».
Dans la ville espagnole de Malaga, Isabel Certa, une jeune universitaire,
rencontre le poète dissident Rafael Avendaño,
surnommé l’Œil en raison d’une énucléation subie dans les geôles d’un dictateur
sud-américain. Tous les deux sont originaires de Magera, pays imaginaire qui
pourrait être le Chili. Leurs familles ont subi là-bas des exactions. Du
souvenir de ces avanies auquel se joint une espèce de fascination de la jeune
femme pour le vieil homme, nait une relation amicale interrompue par la
disparition d’Avendaño reparti précipitamment sur le sol natal - non sans avoir
confié à Isabel les clefs de son appartement.
En classant les papiers de l’écrivain elle met la main sur
un texte autobiographique récent dans lequel il relate, entre autres, sa
découverte, à l’intérieur d’un carton légué par un collègue, des photos
équivoques et des clichés d’un manuscrit rédigé en latin. Il entreprend
aussitôt de transcrire Opusculus Noctis et de le traduire. Les pages
semblent révéler un grimoire « de sorcellerie, ou de magie noire »
et suggérer des rituels rebutants et sacrificiels permettant d’entrer en
contact avec les puissances d’un autre-monde. A son tour elle se penche dans l'étude du document. Quand enfin lui parvient un courrier
de son ami, Isabel prend la décision de partir à sa recherche au Magera.
Au plaisir de découvrir un nouvel éditeur ou une nouvelle
collection - dirigée ici par un écrivain et traducteur apprécié, j’ai nommé
Laurent Queyssi - se mêle toujours chez moi l’espoir pervers de savourer un
produit d’appel tonitruant censé fidéliser le lecteur. Ici comme ailleurs, je
n’ai pas été déçu. Ce récit qualifié de labyrinthique se lit cependant d’une
traite, extirpant dans un premier temps les réminiscences douloureuses d’un
continent livré jadis à des tortionnaires. La haine du dictateur Vidal pour
Avendaño évoque les controverses liées à la mort de Neruda du temps de Pinochet
de même que la disparition du socialiste Estéban Pavez ravive le souvenir de la
fin de Salvador Allende.
Débarqué sur les terres de Magera et sans nouvelles de son ami, Isabel possède désormais un exemplaire complet du grimoire qui intéresse au plus haut point un étrange individu lancé à sa poursuite. La Mer se rêve en Ciel emprunte alors les voies d’un roman horrifique illustrant qu’un Mal peut être instrumentalisé par un autre plus profond et que ceux qui l’affrontent victorieusement doivent en payer le prix, la souillure de l’innocence perdue rançon de la mémoire et du témoignage. Une belle entrée en matière pour la collection Styx.

1 commentaire:
Ouh là... Ça fait peur... Saurais-je affronter ce livre ?
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