Philip
K. Dick - Coulez mes larmes, dit le policier - J’ai Lu
Les années passent et Philip Kindred Dick est un peu plus
présent dans nos vies. Qui n’a lu au moins un de ses romans a vu ou a été
sensibilisé aux adaptations cinématographiques de son œuvre ou aux films qui
s’en sont inspirés. Il y a aussi autre chose. Le monde a changé. La
multiplication des médias, le règne de l’image, l’avènement du web et de l’IA
et surtout le temps que nous consacrons à la visualisation des productions de
ces déversoirs contribuent à l’édification de réalités alternatives. Les
fake-news, les visuels truqués sont nos nouveaux paradis artificiels, sous
réserve de faire abstraction du premier terme. Plus besoin des substances
hallucinogènes semées à profusion dans les récits de l’auteur d’Ubik. Il
suffit d’ouvrir les yeux et de mettre le cerveau sous éteignoir. Le monde a
changé mais Dick nous y a préparé. Des angoisses récurrentes imprègnent toutes
ses pages, celles des activités de surveillance de la CIA sous Nixon et les
violences policières. Que lui inspirerait aujourd’hui l’ère Trump ?
Coulez mes larmes, dit le policier a une longue
histoire éditoriale, y compris en France. L’ayant acheté et lu dans la version
du Masque, j’ai différé l’acquisition de l’édition Ailleurs et Demain, le texte
oscillant au gré des ajouts et suppressions de certains passages. La version
2013 de J’ai Lu semble clore le chapitre des traductions successives avec en
prime une postface très instructive d’Etienne Barillier. La fête aurait été
complète sans une coquille au début de la page 242. Le récit raconte l’histoire
d’une star du petit écran qui a la suite d’une altercation avec une starlette
bascule dans une réalité alternative et un absolu anonymat. On apprendra par la
suite (merci Etienne Barillier !) que l’absorption d’une drogue bouleversant
la perception de l’Espace-Temps, par une autre protagoniste, est à l’origine de
ce chaos. Bienvenue dans les labyrinthes Dickiens…
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Version du Masque sous un autre titre |
Jason Tavernier évolue au faîte d’un Etat policier dont les
opposants et particulièrement les étudiants sont envoyés dans des camps de
travail. Une simple dénonciation ou l’absence d’un justificatif d’identité lors
d’un contrôle a le même résultat. Le showman échappe à ces avanies ;
populaire, il appartient à une caste - les « six » - ayant bénéficié
d’améliorations génétiques. Il est en couple avec Heather Hart, une chanteuse
et autre six. Ce personnage imbu de lui-même se réveille un matin dans un hôtel
miteux. Paniqué il appelle ses proches ; nul ne le reconnait. Mais l’état
d’invisibilité ne dure pas longtemps dans un Etat policier. Absent des fichiers
centraux, Tavernier se procure des faux papiers pour éviter de terminer son
existence dans un camp de travail. Très vite cependant il est mis en présence de
Buckman, un général de la police.
Le roman se ressent d’un épisode douloureux de la vie de
Philip K. Dick, un divorce survenu dans un contexte de prise de drogue. Une
période vécue comme un trou noir. Cela explique-t-il les tensions
contradictoires du texte, célébrant à la fois l’amour et évoquant les
perversions sexuelles tolérées au sein de cette sombre société ? Les
personnages féminins, amicaux à l'instar de l'artiste Mary Anne Dominic ou indics comme Kathy Nelson abondent, compensant fictionnellement le départ de Nessa et
Isa, respectivement épouse et fille de l’écrivain. Les femmes détiennent la clef de l’univers du showman. La splendide couverture du Masque l’illustre parfaitement. Tavernier,
le manipulateur et Buckman officier au service d’une dictature pris soudainement
de remords reflètent-ils la personnalité complexe de Dick ?
Coulez mes larmes, dit le policier est à mon avis un
des derniers romans « équilibrés » de l’auteur, un des plus attachants, avant la plongée dans La Trilogie Divine et la logorrhée interminable de L’Exégèse. Et loué
soit Etienne Barillier !
12 commentaires:
La fin du chapitre un et le début du chapitre deux réussissent à nous faire basculer en trois pages de la routine de ce couple un peu superficiel occupé à se disputer à un univers autre, différent.
On pourrait croire qu'un malaise ayant terrassé Jason, il est normal qu'il se retrouve à l'hôpital. Mais non mais non...
On tourne une page et il est ailleurs, un monde de misère dans une chambre d'hôtel puis rien, mais vraiment rien.
Même le temps est incertain puisqu'il se demande : Est-on beaucoup plus tard ? Juste il fait jour... Il trouve un téléphone mais... plus personne ne connait son nom... Plus personne ne connait Jason Tavernier. Il est vivant mais plus personne ne connait son émission.
Un journal trouvé sur un canapé le rassure : pas de décalage temporel, la date est bonne...
Il s'aperçoit qu'il n'a plus ses papiers d'identité. Il est donc "une non-personne".
Excellent début. Tout cela en moins de 30 pages.
Je n'ai pas lu l'essai d'Etienne Barillier mais ce changement intérieur, ce questionnement, cette bascule dans un monde oppressant et absurde me rappellent l'univers de Philip K. Dick.
Ah, c'est bien que vous soyiez revenu Soleil vert.
J'aime cet univers où l'on vous suit en ouvrant un livre.
Comme vous l'écrivez dans votre billet, quelle actualité !
Il ne doit pas faire bon être sans papiers aux USA en ce moment ....
que vous soyez
Page 29, j'aime beaucoup cet aparté : "Étranges, les trucs qui vous reviennent en mémoire quand on se trouve dans une situation inconnue et inquiétante. Ce sont parfois les plus insignifiants qu'on puisse imaginer "
Comme dans les rêves dont on se souvient au réveil.
Merci pour cet article, tu m'as donné l'idée d'agrémenter celui écrit ce matin au saut du lit (après dissipation des brumes psychédéliques matinales) des couvertures des anciennes éditions des romans de Brunner. Bouge pas, je reviendrai te causer de Dick ensuite. Christiane, si y bouge, tiens-le !
Difficile ! Il bondit comme un chat dès que l'on veut l'attraper !
Le chat du Cheshire , celui qui a la faculté d'apparaître et de disparaître selon sa volonté !
Ce soir, dans les docs de la Grande Librairie : Marguerite Yourcenar !
John Warsen :salut à toi et merci. La couv du Masque a été scannée à partir de mon exemplaire. J'ai éclairci le rendu pour masquer le jaunissement du titre et ajouté une pointe de bleu. Tu peux comparer avec le scan de la noosfere, y a pas photo !
Je me rappelle comment les bouquins du Masque passaient mal la barrière du Temps quand ils étaient encore en vie ! Une heure sur la plage arrière d'une voiture au soleil, et il ne restait qu'un petit tas de sciure ! Bravo !
Du coup ça m'a donné envie d'en ressortir quelque uns, les Henneberg, La galaxie noire de Murray Leinster, un Sturgeon mais inquiétude, je ne retrouve plus La ville sous globe d'Hamilton. SV
ah si !
Leinster (Murray) La galaxie noire Le Masque science-fiction
Russell (E.F.) Sentinelle de l'espace Le Masque science-fiction
Hamilton (Edmond) La ville sous globe Le Masque science-fiction
Van Vogt (A.E) Planètes à vendre Le Masque science-fiction
Van Vogt (A.E) Alpha et Omega Le Masque science-fiction
Eklund (Gordon) Le silence de l'aube Le Masque science-fiction
SV
J’aime bien « un des derniers romans équilibrés de l’auteur », Pour le reste, la Drohue demiurgique est dans Dune, et il y aurait à étudier ce que j’appellerais le fantasme du Camp de Concentration dans la littérature de ces années là. Elle déborde. K Dick…
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