Ogawa Ito - La papeterie Tsubaki - Picquier Poche
Comme le
roman d’Hiro Arikawa, Au prochain arrêt, La papeterie Tsubaki
est tombée par hasard dans mes mains. C’est l’histoire d’une jeune femme qui a
hérité de sa grand-mère une boutique à Kamakura, une petite ville côtière
située à quelques encablures de Tokyo. Amemiya Hatoko a été élevée par son aïeule
surnommée L’Ainée. De ses parents nous ne saurons pratiquement rien et
cette absence n’est d’ailleurs pas prétexte aux développements romanesques habituels
dont l’histoire littéraire regorge jusqu’à plus soif. Tout est à plat dans ce
récit. Le mot « histoire » ne semble pas non plus qualifié pour
évoquer un ouvrage chapitré en quatre saisons. Le quotidien d’Amemiya Hatoko
s’inscrit dans un Temps cyclique et non linéaire. Les souvenirs de l’aïeule
disparue, à la fois mère de substitution et préceptrice, constituent certes un
élément central de la narration mais, pour reprendre les propos d’un de ses
clients : « Plutôt que de rechercher ce qu’on a perdu, mieux vaut
prendre soin de ce qui nous reste ».
En dehors de
l’activité consacrée à la papeterie Amemiya Hatoko
dite « Poppo » exerce le métier d’écrivain public, une longue
tradition attachée à la famille Amemiya. L’Ainée lui a enseigné l’art difficile
de la calligraphie décliné sur trois types de caractères, les plus courants,
les kanji - de provenance chinoise -, les hiranaga et katakana.
L’apprentissage laborieux de leur reproduction exacte, qui a phagocyté l’enfance de Poppo, n’est qu’un préalable à la rédaction d’un
message dont la teneur détermine le choix et la composition de l’encre, du
papier, du support d’écriture, pinceau, plume, stylo sans oublier celui de l’enveloppe,
du timbre et du sceau. « Pour des condoléances, la règle veut qu’on
broie l’encre à l’envers, de droite à gauche ». Plus loin « Délayer
l’encre, c’est le signe d’une grande tristesse » et « Normalement,
pour une correspondance formelle, on utilise une enveloppe doublée, mais pour
les messages de condoléances, on choisit au contraire une enveloppe simple pour
éviter de redoubler le malheur. » Les lecteurs de Stupeur et
tremblements se souviennent que la persécutrice japonaise d’Amélie Nothomb
lui enverra un message calligraphié après l’envoi de son premier roman,
reconnaissance de la promotion sociale de la jeune femme passée du statut de
dame-pipi à romancière.
Ce faisant,
pour reprendre les termes d'une notule journalistique, Amemiya Hatoko crée ou reconstitue un
tissu social dont elle devient le pôle, attirant une clientèle toujours plus
nombreuse. Comme dans un ouvrage en cours d’élaboration, des personnages inquiets,
angoissés ou irrésolus franchissent le seuil de sa boutique pour narrer, clore
une histoire personnelle, et disparaitre. Certains restent et intègrent son
entourage.
Insensiblement
le texte d’Ogawa Ito glisse – et ce n’est guère étonnant venant du Japon – d’un
art de la belle écriture à un art de vivre. En témoigne la carte du Tendre liminaire semée
de temples et de plats culinaires dont « Poppo » raffole. La
papeterie Tsubaki est la chronique d’une vie ritualisée, d’un Présent
éternel. Il existe une suite, La république du bonheur.