Neil
Gaiman - Des choses fragiles - J’ai Lu
« Puis il agita le bras, appela « Taxi ! », et un
taxi se rangea au bord du trottoir. « Hôtel Brown ! » lança l'homme en
montant à bord. Il referma la portière sans souhaiter la bonne nuit à aucun
d’entre nous.
Et dans cette fermeture, j'entendis se refermer bien trop
d'autres portes. Des portes du passé, désormais disparues, qui ne pourront plus
jamais être ouvertes. »
Au sein de la production protéiforme de l’incontournable
Neil Gaiman, émergent trois recueils de nouvelles dont le substantifique Des
choses fragiles composé d’une trentaine de récits parus entre 1996 et 2005.
Une compilation hétérogène, une somme si vous le voulez, mêlant fictions
courtes, poèmes, novella et commentaires. Rien de très étonnant pour une œuvre
placée sous le parrainage d’Harlan Ellison mais aussi de Bradbury et Sheckley, caractéristique
d’un acteur et observateur du genre comme en témoigne le récent Vu des pop
cultures. Essais, discours et textes choisis sur lequel je reviendrai.
L’écrivain délivre un nuancier de textes entre fantastique
et fantasy, où l’influence des auteurs des Chroniques martiennes et de
l’anthologie Dangereuses visions est prédominante. On sait aussi ce que American
Gods, son plus célèbre succès avec Sandman, doit à Roger Zelazny.
C’est le cas de la novella du recueil, « Le monarque dans la vallée »,
qui s’inscrit dans la mouvance de son célèbre et ultra primé roman, de la
légende de Beowulf et Grendel et plus subtilement de La Belle et la Bête.
Le cas du « Cartographe », fiction mineure
au demeurant, mérite un détour. Elle est incluse, racontée dans le commentaire
et disparaît donc du corpus. Une carte sans territoire en quelque sorte et un
clin d’œil à Borges. Six des nouvelles du recueil, lui -même récompensé par le
Grand Prix de l’Imaginaire 2010, ont obtenu un Locus. Un résumé de la carrière
et une interview de Gaiman complètent l’ensemble.
Sans détailler la totalité des petites « choses
fragiles », on retiendra « Une étude en vert » délicieux Sherlock
Holmes revu à la sauce Lovecraft, « La Présidence d’Octobre »
chef d’œuvre poétique en hommage à Ray Bradbury : les douze mois de
l’année se réunissent autour d’un feu et racontent chacun une anecdote. Vient « L’heure
de la fermeture ». Quatre membres d’un club londonien évoquent des
histoires de fantômes. Inutile de chercher ces fantômes, ils nous encerclent, nous
sollicitent, ils s’appellent Le passé. Ce texte comme les deux
précédents a été primé. J’ai aimé « Amères moutures ». Un
homme sans mémoire ni avenir croise la route d’un anthropologue à la recherche
d’un dépanneur automobile. Lorsqu’il lui rapporte ses papiers oubliés dans un
motel, celui-ci a disparu. Il prend alors son identité et part donner la
conférence attendue sur les filles-café. Un texte de « zombis » inspiré
des travaux de Zora Neale Hurston, qui démarre comme L‘homme du train de
Patrice Leconte. « Souvenirs et trésors » est une histoire de
mafiosi assez crue. A l’inverse « Les bons garçons méritent des
récompenses », tout en délicatesse, raconte la découverte de la
musique par un enfant et au-delà, dans l’esprit de « L’heure de la
fermeture » ou du « Dragon de glace » de George R.R
Martin, le souvenir des sortilèges des premières années que la vie adulte
efface. A la lecture de « Nourrir et manger », une anecdote
personnelle m’est revenue à l’esprit. Elle a peu de rapport avec le présent
texte, mais la mémoire support de la stupéfaction ne transige pas. Invité il a
quelques décennies à déjeuner par un couple dont ma femme gardait alors l’enfant,
la mère me resservit de la salade. Le mari s’interposa aussitôt :
« pourquoi le ressers tu alors qu’il n’a rien demandé ? Il faut
manger pour se nourrir, pas manger pour manger » L’interdit
culinaire me rappela aussitôt et me rappellera toujours la fameuse injonction
d’Harpagon « il faut manger pour vivre etc. » Quant au récit, entre
sorcellerie et cannibalisme, il mérite le détour. Enfin « Comment
parler aux filles pendant les fêtes » a fait l’objet d’un film dont le
synopsis peut se résumer par - je cite - « L’amour est une planète
inconnue ». Pour ma part j’y vois dans sa forme littéraire un pur texte de
Tiptree genre « Vol 747 pour ailleurs ». Bref j’aime.
Au final j’aurais préféré un recueil plus resserré (une
quinzaine de textes) autour des réussites précitées. Mais Neil Gaiman est une
mine d’informations. Saviez vous qu’Alan Moore s’est inspiré des Wold Newton
de Farmer pour ses propres histoires ? Et la façon dont l’écrivain, comme
Ellison d’ailleurs, entame ses nouvelles doit alimenter bon nombre d’ateliers
d’écriture.
SOMMAIRE NOOSFERE
1 - Introduction (Introduction, 2006), pages 9 à 35,
introduction, trad. Michel PAGEL
2 - Le Cartographe (The Mapmaker, 2003), pages 17 à 20,
nouvelle, trad. Michel PAGEL
3 - Une étude en vert (A Study in Emerald, 2003), pages 37 à
67, nouvelle, trad. Michel PAGEL
4 - La Grand'roue féerique (The Fairy Reel, 2004), pages 69
à 70, poésie, trad. Michel PAGEL
5 - La Présidence d'Octobre (October in the Chair, 2002),
pages 71 à 89, nouvelle, trad. Michel PAGEL
6 - La Chambre dissimulée (The Hidden Chamber, 2005), pages
91 à 93, poésie, trad. Michel PAGEL
7 - Les Épouses interdites des esclaves sans visage dans le
manoir secret de la nuit du désir redoutable (Forbidden Brides of the Faceless
Slaves in the Secret House of the Night of Dread Desire, 2004), pages 95 à 114,
nouvelle, trad. Michel PAGEL
8 - Le Chemin caillouteux du souvenir (The Flints of Memory
Lane, 1997), pages 115 à 119, nouvelle, trad. Michel PAGEL
9 - L'Heure de la fermeture (Closing Time, 2002), pages 121
à 137, nouvelle, trad. Michel PAGEL
10 - Devenir sylvain (Going Wodwo, 2002), pages 139 à 140,
poésie, trad. Michel PAGEL
11 - Amères moutures (Bitter Grounds, 2003), pages 141 à
168, nouvelle, trad. Michel PAGEL
12 - Les Autres (Other People, 2001), pages 169 à 172,
nouvelle, trad. Michel PAGEL
13 - Souvenirs et trésors (Keepsakes and Treasures : A Love
Story, 1999), pages 173 à 196, nouvelle, trad. Michel PAGEL
14 - Les Bons garçons méritent des récompenses (Good Boys
Deserve Favours, 1995), pages 197 à 203, nouvelle, trad. Michel PAGEL
15 - La Vérité sur le cas du départ de Mlle Finch (The Facts
in the Case of the Departure of Miss Finch, 1998), pages 205 à 228, nouvelle,
trad. Michel PAGEL
16 - D'étranges petites filles (Strange Little Girls, 2001),
pages 229 à 236, nouvelle, trad. Michel PAGEL
17 - La Saint-Valentin d'Arlequin (Harlequin Valentine,
1999), pages 237 à 249, nouvelle, trad. Michel PAGEL
18 - Boucles (Locks, 1999), pages 251 à 254, poésie, trad.
Michel PAGEL
19 - Le Problème de Susan (The Problem of Susan, 2004),
pages 255 à 266, nouvelle, trad. Michel PAGEL
20 - Instructions (Instructions, 2000), pages 267 à 269,
poésie, trad. Michel PAGEL
21 - Qu'est-ce que tu crois que ça me fait ? (How Do You
Think It Feels?, 1998), pages 271 à 281, nouvelle, trad. Michel PAGEL
22 - Ma vie (My Life, 2002), pages 283 à 285, nouvelle,
trad. Michel PAGEL
23 - Quinze cartes peintes d'un tarot de vampires (Fifteen
Painted Cards from a Vampire Tarot, 1998), pages 287 à 296, poésie, trad.
Michel PAGEL
24 - Nourrir et manger (Feeders and Eaters, 2002), pages 297
à 308, nouvelle, trad. Michel PAGEL
25 - Le Coup de l'inventeur de maladies (Diseasemaker's
Croup, 2003), pages 309 à 312, nouvelle, trad. Michel PAGEL
26 - À la fin (In the End, 1996), pages 313 à 313, nouvelle,
trad. Michel PAGEL
27 - Goliath (Goliath, 1998), pages 315 à 331, nouvelle,
trad. Michel PAGEL
28 - Pages d'un journal trouvé au fond d'une boîte à
chaussures laissée dans un bus Greyhound, quelque part entre Tulsa, Oklahoma,
et Louisville, Kentucky (Pages from a Journal Found in a Shoebox Left in a
Greyhound Bus Somewhere Between Tulsa, Oklahoma, and Louisville, Kentucky,
2002), pages 333 à 338, nouvelle, trad. Michel PAGEL
29 - Comment parler aux filles pendant les fêtes (How to
Talk to Girls at Parties, 2006), pages 339 à 357, nouvelle, trad. Michel PAGEL
30 - Le Jour de l'arrivée des soucoupes (The Day the Saucers
Came, 2006), pages 359 à 361, poésie, trad. Michel PAGEL
31 - L'Oiseau-soleil (Sunbird, 2005), pages 363 à 390,
nouvelle, trad. Michel PAGEL
32 - Inventer Aladin (Inventing Aladdin, 2003), pages 391 à
394, poésie, trad. Michel PAGEL
33 - Le Monarque de la vallée (The Monarch of the Glen,
2003), pages 395 à 461, nouvelle, trad. Michel PAGEL
34 - (non mentionné), À la rencontre de Neil Gaiman, pages
465 à 467, biographie, trad. Michel PAGEL
35 - (non mentionné), Une conversation avec Neil Gaiman,
pages 469 à 477, entretien avec Neil GAIMAN, trad. Michel PAGEL