mercredi 5 décembre 2018

La mort immortelle


Liu Cixin - La mort immortelle - Actes Sud





La mort immortelle clôt une imposante trilogie romanesque de Liu Cixin parue en Chine au cours de la période 2006-2010. Inspiré par les écrits d’Arthur Clarke, l’écrivain a conçu une épopée rattachée au courant hard SF. Le premier volet Le problème à trois corps dévoilait progressivement le projet d’invasion de la Terre par des envahisseurs dont le monde natal était menacé d’effondrement gravitationnel. Le second La forêt sombre racontait la lutte désespérée de l’Humanité contre cet ennemi technologiquement très supérieur, lutte qui aboutissait à une paix armée. La mort immortelle débute sous les auspices heureux d’une nouvelle ère de prospérité et d’échange entre les deux anciens belligérants. L’armistice vole en éclats le jour où une jeune scientifique du XXe siècle sortie d’hibernation prend le relais du détenteur de l’arme de dissuasion. Les Trisolariens saisissent alors cette opportunité pour lancer une attaque contre la Terre. Mais rien ne se passe comme prévu pour les agresseurs.



Les huit cent pages de La mort immortelle justifient le qualificatif « d’imposant », l’ouvrage étant vendu toutefois au prix serré de vingt-six euros. Rançon de cette industrialisation, la bavarde et décriée quatrième de couverture du Problème à trois corps a été reproduite à l’identique en version Poche chez Babel… Mais revenons au roman. L’énigmatique titre en forme d’oxymore reçoit une explication page 506 : « Cette nuit où j’ai eu fini de construire mon phare, quand je l’ai regardé au loin briller sur la mer, tout est soudain devenu clair : la mort est le seul phare qui reste à jamais allumé. Peu importe où tu navigues, tu finis toujours par te rendre dans la direction qu’il t’indique. Tout a une fin. Seule la Mort est immortelle. » Une ambiance crépusculaire parfois morbide imprègne le récit ou plutôt l’ensemble des récits de l’ouvrage. (1) Elle atteint un premier pic avec l'évocation de la Grande Crise où dans la panique générale une loi sur l’euthanasie est proclamée. Liu Cixin rappelle astucieusement les évènements décrits dans les deux premiers volumes en créant le personnage de Cheng Xin qui n’est autre que la fille de Ye Wenjie. Cette jeune scientifique participe au programme Escalier qui échouera à envoyer un représentant de l’espèce au contact des Trisolariens. Sa renommée ne cesse de grandir au point de la propulser un temps au rôle de Porte-épée c'est-à-dire dépositaire de l’arme de dissuasion de la forêt sombre. Par le biais d’hibernations successives elle traverse les époques pour finir par échouer dans un futur inimaginable de dix-sept milliards d’années.



La mort immortelle présente deux caractéristiques. En premier lieu tous les codes, tous les feux de la littérature de hard science classique passent au vert. Personnages stéréotypés à l’image de Cheng Xin sorte de bon petit soldat qui saute d’un état émotionnel à l’autre comme un lutin de dessin animé, longues descriptions d’artefacts gigantesques, et surtout quelques pistes passionnantes comme le concept d’un mode de propulsion par déformation de la courbure de l’espace, un concept d’invisibilité basé sur le ralentissement de la vitesse de la lumière ou encore une arme terrifiante qui bidimensionnalise ses cibles quelque soient leur taille (2) (rendez-vous page 629 et suivantes). La seconde caractéristique concerne le corps du texte. Liu Cixin agrémente ou alourdit (c’est selon) son propos d’inclusions narratives, de mini-récits parfois incongrus souvent bien menés. L’ouvrage démarre ainsi par le récit de la chute de Constantinople. Les contes de Yun Tianming attirent également l’attention. Il s’agit d’histoires imaginées par l’amoureux transi de Cheng Xin dont le cerveau est recueilli après quelques années d’errance dans l’univers (sic !) par les Trisolariens. Sous la surveillance des intellectrons il tente de fournir quelques pistes de survie à ses compatriotes au moyen de contes de fée bourrés de métaphores.



Ce point mérite une réflexion. La science-fiction, on le sait s’écrit au présent. Après quelques années de vicissitudes en Chine, elle connaît un vif succès, encouragé par les autorités. La dénonciation des excès de la Révolution culturelle par l’auteur dans Le problème des trois corps ne doit pas faire illusion. Si le rôle fondateur du président Mao-Tse-Toung dans la création de la république populaire chinoise ne prête pas à discussion, les erreurs de la révolution culturelle et du Grand Bond en avant sont officiellement reconnues. La science-fiction est-elle alors devenue un instrument de propagande en Chine ? La question court. Mais inversement la dictature de la transparence totale imposée par les trisolariens ne renvoie-t-elle pas à nos propres pratiques occidentales d’exigence d’une vie sociale sans ombre contraignant récemment les réseaux sociaux à un début de marche arrière ?  Dans ce contexte Les contes de Yun Tianming ne fournissent ils pas un exemple de grille métaphorique à tout être humain prisonnier d’un système politique coercitif mais désireux néanmoins de s’exprimer ?



L’intrigue de La mort immortelle surfe sur deux thèmes, le déclin inéluctable des civilisations et la lutte inlassable pour la survie. Rien de fondamentalement nouveau pour le lecteur de romans anglosaxons, preuve que la science et les littératures qu’elle inspire rapprochent les peuples. Sur le fond le roman de Liu Cixin se ressent de sa longueur. Mais les éléments réflexifs qu’il développe sur l’Histoire et l’Univers font que la trilogie dans son ensemble est incontournable.







(1)   Bien que l’auteur s’en défende :




6 commentaires:

Anonyme a dit…

Immortel ,comme l'album posthume de Bashung,excellent d'ailleurs!

Gwennaël Gaffric a dit…

Merci pour vos chroniques passionnantes sur cette trilogie !
Je me suis rendu compte que des questions posées sur mon blog n'avaient pas été publiées et versées dans les spams. J'ai essayé d'y répondre, bien des mois plus tard...

Soleil vert a dit…

Ca a été la grande bagarre sur certains forums pour cette trilogie (la qualité de la traduction etc.) que j'ai défendue bec et ongles.
Merci de votre appréciation.

Gwennaël Gaffric a dit…

Merci à vous, cela me touche.
Les rééditions Babel (des T1 et T2) ont peut-être permis de supprimer certaines coquilles (je crois que c'était surtout la relecture qui était incriminée sur le forum du Belial' ^^)
La qualité de la traduction est toujours à l'appréciation des lectrices et des lecteurs, c'est le jeu ! Et la majorité des critiques sont constructives ;)

Soleil vert a dit…

Terre errante a l'air de bien partir aussi.

Gwennaël Gaffric a dit…

Il semblerait. Je suis agréablement surpris. La nouvelle est pleine de poésie, mais je craignais que le temps écoulé depuis sa publication atténue un peu l'intérêt qu'on pourrait lui porter. Son côté naïf et sincère a, j'ai l'impression, touché les blogueurs qui ont écrit une chronique sur le livre.