Liu Cixin - La mort immortelle - Actes Sud
La mort immortelle clôt une imposante trilogie romanesque
de Liu Cixin parue en Chine au cours de la période 2006-2010. Inspiré par les
écrits d’Arthur Clarke, l’écrivain a conçu une épopée rattachée au courant hard
SF. Le premier volet Le problème à trois corps dévoilait progressivement le projet d’invasion de la Terre par des
envahisseurs dont le monde natal était menacé d’effondrement gravitationnel. Le
second La forêt sombre racontait la lutte
désespérée de l’Humanité contre cet ennemi technologiquement très supérieur, lutte
qui aboutissait à une paix armée. La mort
immortelle débute sous les auspices heureux d’une nouvelle ère de
prospérité et d’échange entre les deux anciens belligérants. L’armistice vole
en éclats le jour où une jeune scientifique du XXe siècle sortie d’hibernation prend
le relais du détenteur de l’arme de dissuasion. Les Trisolariens saisissent
alors cette opportunité pour lancer une attaque contre la Terre. Mais rien ne se
passe comme prévu pour les agresseurs.
Les huit cent
pages de La mort immortelle
justifient le qualificatif « d’imposant », l’ouvrage étant vendu
toutefois au prix serré de vingt-six euros. Rançon de cette industrialisation,
la bavarde et décriée quatrième de couverture du Problème à trois corps a été reproduite à l’identique en version
Poche chez Babel… Mais revenons au roman. L’énigmatique titre en forme d’oxymore
reçoit une explication page 506 : « Cette nuit où j’ai eu fini de construire mon phare, quand je l’ai
regardé au loin briller sur la mer, tout est soudain devenu clair : la
mort est le seul phare qui reste à jamais allumé. Peu importe où tu navigues,
tu finis toujours par te rendre dans la direction qu’il t’indique. Tout a une
fin. Seule la Mort est immortelle. » Une ambiance
crépusculaire parfois morbide imprègne le récit ou plutôt l’ensemble des récits
de l’ouvrage. (1) Elle atteint un premier pic avec l'évocation de
la Grande Crise où dans la panique générale une loi sur l’euthanasie est
proclamée. Liu Cixin rappelle astucieusement les évènements décrits dans les
deux premiers volumes en créant le personnage de Cheng
Xin qui n’est autre que la fille de Ye Wenjie. Cette jeune scientifique
participe au programme Escalier qui échouera à envoyer un représentant de l’espèce
au contact des Trisolariens. Sa renommée ne cesse de grandir au point de la propulser
un temps au rôle de Porte-épée c'est-à-dire dépositaire de l’arme de dissuasion
de la forêt sombre. Par le biais d’hibernations successives elle traverse les époques
pour finir par échouer dans un futur inimaginable de dix-sept milliards d’années.

Ce point mérite une réflexion.
La science-fiction, on le sait s’écrit au présent. Après quelques années de vicissitudes
en Chine, elle connaît un vif succès, encouragé par les autorités. La
dénonciation des excès de la Révolution culturelle par l’auteur dans Le problème des trois corps ne doit pas
faire illusion. Si le rôle fondateur du président Mao-Tse-Toung dans la
création de la république populaire chinoise ne prête pas à discussion, les
erreurs de la révolution culturelle et du Grand Bond en avant sont
officiellement reconnues. La science-fiction est-elle alors devenue un instrument
de propagande en Chine ? La question court. Mais inversement la dictature de
la transparence totale imposée par les trisolariens ne renvoie-t-elle pas à nos
propres pratiques occidentales d’exigence d’une vie sociale sans ombre contraignant
récemment les réseaux sociaux à un début de marche arrière ? Dans ce contexte Les contes de Yun Tianming
ne fournissent ils pas un exemple de grille métaphorique à tout être humain prisonnier
d’un système politique coercitif mais désireux néanmoins de s’exprimer ?
L’intrigue de
La mort immortelle surfe sur deux thèmes, le déclin inéluctable des
civilisations et la lutte inlassable pour la survie. Rien de fondamentalement nouveau
pour le lecteur de romans anglosaxons, preuve que la science et les
littératures qu’elle inspire rapprochent les peuples. Sur le fond le roman de Liu
Cixin se ressent de sa longueur. Mais les éléments réflexifs qu’il développe
sur l’Histoire et l’Univers font que la trilogie dans son ensemble est
incontournable.
(1) Bien que l’auteur s’en défende :
6 commentaires:
Immortel ,comme l'album posthume de Bashung,excellent d'ailleurs!
Merci pour vos chroniques passionnantes sur cette trilogie !
Je me suis rendu compte que des questions posées sur mon blog n'avaient pas été publiées et versées dans les spams. J'ai essayé d'y répondre, bien des mois plus tard...
Ca a été la grande bagarre sur certains forums pour cette trilogie (la qualité de la traduction etc.) que j'ai défendue bec et ongles.
Merci de votre appréciation.
Merci à vous, cela me touche.
Les rééditions Babel (des T1 et T2) ont peut-être permis de supprimer certaines coquilles (je crois que c'était surtout la relecture qui était incriminée sur le forum du Belial' ^^)
La qualité de la traduction est toujours à l'appréciation des lectrices et des lecteurs, c'est le jeu ! Et la majorité des critiques sont constructives ;)
Terre errante a l'air de bien partir aussi.
Il semblerait. Je suis agréablement surpris. La nouvelle est pleine de poésie, mais je craignais que le temps écoulé depuis sa publication atténue un peu l'intérêt qu'on pourrait lui porter. Son côté naïf et sincère a, j'ai l'impression, touché les blogueurs qui ont écrit une chronique sur le livre.
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