dimanche 30 mars 2025

L’Automate de Nuremberg

Thomas Day - L’Automate de Nuremberg - Le Bélial’ Collection une heure lumière

 

 

 

Pour certains écrivains, la fiction est un terrain d’inspiration au même titre que le réel. La littérature holmésienne née après la disparition de Conan Doyle en constitue un des meilleurs exemples. En France René Reouven, dans la même veine d’inspiration, édifia une œuvre que l’on ne saurait réduire au terme de pastiche. Thomas Day, dont l’alter ego fut d’ailleurs son éditeur chez Lunes d’encre, lui rend hommage dans une uchronie L’Automate de Nuremberg au cœur d’un XIXe siècle réinventé.

 

Dane une Europe sous emprise Napoléonienne après la chute de Moscou en 1834, le tsar Alexandre 1er libère l'automate de son service. Melchior Hauser a été conçu par son père Viktor Hauser, mécanicien de génie et alchimiste comme Johann Georg Faust, inspirateur du légendaire Faust de Goethe. Des rouleaux encastrés dans son torse lui permettent selon de jouer aux échecs ou de s’entretenir en plusieurs langues avec ses interlocuteurs. Sa principale faiblesse réside en la présence indispensable d’un tiers pour remonter son mécanisme à l’aide d’une clef. Il a deux frères l’un, pur esprit enfermé dans une bouteille comme dans le conte de Grimm, l’autre l’ énigmatique Kaspar Hauser, qui défraya la chronique bavaroise et fit l’objet d’un film de Werner Herzog en 1974. Melchior après avoir vainement cherché son Geppetto de père, débarque en Angleterre où ses brevets intéressent un certain George Stephenson « père du chemin de fer anglais ».

 


Un peu perdu dans ce tourbillon d’allégeances et d’inventions, rappelons que le personnage de Melchior est inspiré de l’Automate joueur d’échecs création ingénieuse de Johann Wolfgang von Kempelen et Johann Nepomuk Maelzel. Cette célèbre falsification inspira au moins deux textes, L’automate de E.T.A Hoffman, récit extrait des contes des Frères Sérapion où deux amis sont mis en présence d’un oracle mécanique, et une enquête d’Edgar Poe, Le Joueur d'échecs de Maelzel.

 

La novella de Thomas Day, publiée initialement en 2006, se dévore d’une traite. Curieusement, si les images de Blade Runner reviennent en mémoire, une phrase a attiré mon attention page 21 « L’esprit n’est ni liquide, ni solide, c’est un éther qui peut, sans doute, passer de corps en corps… ». J’y ai vu, mais ce n’est que mon avis, une préfiguration de la nouvelle de Ted Chiang « Expiration ».

26 commentaires:

Christiane a dit…

Formidable choix !

Christiane a dit…

J'ai commencé à lire. Ça me plaît beaucoup. Donc cet automate est libre de choisir son chemin mais il doit être remonté avec une clé sinon il meurt. Il semble penser. Est-ce un leurre dû à la boîte d'enregistrements qu'il a à l'intérieur de lui. Mais sa question n'est pas dans cette boîte, ni la réponse. A-t-il une âme ? Qui peut lui répondre ? Pourquoi a-t-il comme unique bagage un jeu d'échecs ? Gaspard Hauser... Il voulait être celui qu'un jour il avait été, soit être libre.
Tout cela est passionnant. J'adore !
Je pense à la mort du robot dans 2001,odyssée de l'espace l'homme le débranche parce qu'il ne peut échapper à ce qui est programmé en lui.. Comment s'appelle ce robot ?
L'âme... D'où lui vient cette question ? Oui,Blade Runner aussi et l'autre sous la pluie qui meurt en se souvenant de ce qu'il a vu.
Et nous, avons-nous une âme ? Qu'est-ce que l'âme ?
Ah c'est bien, très bien. Plein d'énigmes dans une seule question et ça change la mort.

Christiane a dit…

J'y vois un peu plus clair ! Il s'appelle Melchior. Il a été créé pour gagner des parties d'échecs. Il veut rencontrer son créateur pour lui poser sa question.
Soudain je pense au personnage douloureux de Mary Shelley. Lui aussi ne comprenait pas tout de la vie qui lui avait été donnée. Frankenstein....
Bon, je reprends ma lecture.
Pour l'instant le fond historique du Napoléon conquérant imaginaire m'est indifferente.

Christiane a dit…

L'histoire découverte par un journal tenu par l'automate, c'est tout à fait surprenant car l'écriture demande une conscience des évènements. Donc dès le départ cet automate est très humain dans une coque de robot. Comme si un être humain était prisonnier de cette enveloppe mécanisée, très sophistiquée.
Y a-t-il un rapport philosophique avec nos questions sur la liberté. Sommes-nous libres, nous, les humains ? Le surmoi fait-il de nous des êtres sous influence ? Les dictats des religions, de la morale, de la société sont-ils carcans ?
Ah Napoléon , j'ai compris ! Un dictateur serait très intéressé par ce robot stratège.

Christiane a dit…

Donc Viktor Hauser est son créateur. Son fils Kaspar est brièvement évoqué page 29.
Il lui a donné un seul sens : la vue - monochrome et floue - et des possibilités d'apprentissage restreintes : manier les pièces aux échecs, les distinguer, manier la plume pour écrire - seulement en allemand et en russe -, un peu le français et le latin - , lire sur les lèvres prononcer quelques mots utiles dans la vie de tous les jours ou quand il affronte un adversaire aux échecs. Il possède un cylindre mémoriel très limité. Le plus perfectionné et célèbre automate, joueur d'échecs à la cour du tsar. Et il cherche à retourner à Nuremberg pour retrouver son créateur.
C'est vrai ce que dit Soleil vert au début de son billet : "Pour certains écrivains, la fiction est un terrain d’inspiration au même titre que le réel. "
Cette fiction-là est troublante. On s'attache très vite à cet automate.
C'est terrible cette autonomie qui dépend d'un ressort qui doit être remonté. Vie de prisonnier.... Igor, son compagnon de voyage y pourvoit. Étrange compagnon, très inquiétant.
Soudain Dieu envahit l'espace du livre, page 24.
Je ne m'y attendais pas. C'est le quatrième journal.
Un dieu qui lui ordonnerait de tuer Kaspar Hauser, l'enfant sauvage qui s'est échappé et détruire l'automate, c'est-à-dire lui. De quel Dieu s'agit-il ? Prend-il son créateur pour un Dieu ? Il doute : "D'où me vient cette certitude brûlante que Dieu existe, si ce n'est de Dieu lui-même ? "
Igor ne croit ni en Dieu ni au diable. Il pense que "le mal prend source dans l'homme et nulle part ailleurs."
Une vision. Il a la certitude qu'il peut voler comme un archange.
Les hommes aussi s'inventent des dieux.
C'est un conte très philosophique. Soleil vert a choisi un livre redoutable et passionnant. Tout s'y passe vite. J'ai peur que ce roman (nouvelle ? conte?) soit trop bref. Je voudrais qu'il dure longtemps....

Christiane a dit…

https://fr.wikipedia.org/wiki/Turc_m%C3%A9canique
Et pourquoi pas interroger cette gravure que Soleil vert a glissé dans son billet ?

Christiane a dit…

Le roman de Thomas Day est citée à la fin de la notice qui n'enlève rien au charme de ce conte : L'automate de Nuremberg.

Christiane a dit…

cité

Christiane a dit…

Alors là ! Je ne dirai pas ce que je découvre page 31. Voilà qui bouleverse le roman dont je ne dévoilerai pas la suite mais comme j'ai envie, moi, de la découvrir ! Trop fort ce Thomas Day !

Christiane a dit…

Cette fiction-là me plaît plus que d'autres, pourquoi ? C'est un conte philosophique mâtiné de polar et de poésie. Beaucoup d'action mais sur socle de questionnement, d'énigmes.
Même inspiration que d'autres fictions qui m'ont hantée agréablement où l'homme et le robot échangent leur mal de vivre. Où Dieu est seulement un possible. Où la géographie est comme un palimpseste de notre monde connu, juste décalé par un rêve. Chirico, Dali, Magritte, Hopper, ... les grands ensorceleurs.

Christiane a dit…

Dans Blade Runner, ce célèbre monologue quand Roy le replicant va mourir après avoir sauvé Deckart. Une scène d'une grande beauté sur les toits, sous la pluie.
" - J’ai vu tant de choses que vous, humains, ne pourriez pas croire. De grands navires en feu surgissant de l’épaule d’Orion. J’ai vu des rayons fabuleux, briller dans l’ombre de la porte de Tannhäuser. Tous ces moments se perdront dans l'oubli... comme... les larmes... dans la pluie. Il est temps de mourir. »
Le début du cahier huit du conte de Thomas Day ressemble étrangement à ce monologue, mais se termine comme le Centaure de John Updike par un rêve de bond dans les étoiles.

Christiane a dit…

Livre terminé. Je n'ai pas aimé la fin mais c'est le droit du romancier de faire ce qu'il veut des personnages. Beaucoup aimé la première moitié. Merci Soleil vert.

Christiane a dit…

Oh, vous l'aviez mis ce lien, désolée !

Anonyme a dit…

Je pensais à la chouette de Blade Runner. SV

Christiane a dit…

Ah, le meurtre c'est le troisième frère ....

Christiane a dit…

La chouette de Tyrell ? Je pensais à cette licorne origami en métal que le policier laisse partout. Des symboles obscurs. Je crois que la licorne peut être un lien entre l'humain et le robot : l'androïde, un être double un peu comme Melchior. Balthasar est plein de haine. Il tue, il tue, il tue. Je préfère Melchior et ses questions. Kaspar Hauserest tristounet dans ce conte je préfère celui, extraordinaire, de Peter Handke, un héros romantique malmené par ce dressage éducatif. Quant au père de ces créations affolantes, il est très proche du docteur Frankenstein de Mary Shelley.
Mais pourquoi lorgner sur les rois mages ?
C'est chouette... Ce conte. Merci !

Christiane a dit…

"Melchior était originaire de Perse, Gaspar (également appelé Caspar ou Jaspar) d'Inde et Balthazar d'Arabie."

Christiane a dit…

Ce livre m'a apaisée et pourtant il écorche. Mais il y a sous les mots un lac calme. Qui est Thomas Day ?

Christiane a dit…

J'ai repris le livre. Quelque chose m'échappait. Il y a deux histoires, deux narrateurs. Ayant glissé de lune à l'autre , j'étais surprise du changement de comportement de Mel hier. Balthasar arrive dans qu'on y prenne garde. Puis les deux histoires se nouent (mais pas comme je l'aurais voulu. J'aurais aimé ....

Christiane a dit…

l'une - Melchior

Christiane a dit…

Quand Melchior sort du monde du gris et peut nommer les couleurs, ce qu'il dit du vert est sidérante. Les expressionnistes allemands ont fait le même constat du vert rendu lisible par les couleurs qui s'y opposent. Ah, ces rouges flamboyants, ces mers qui ne sont plus bleues, ni le ciel. Ces visages culbutés de couleurs invraisemblables.ed impressionnistes, en douceur avaient senti ce mystère des noces secrètes des couleurs et de la lumière.
La façon aussi dont Melchior utilise sa mémoire, la travaille. Sa découverte du cinquième doigt, le pouce qui permet la préhension.
Son passage difficile ressemble à celui de Hal dans 2001, l'Odyssée de l'espace.
Chez nous les êtres humains, le coeur est autonome . Il peut continuer à battre un peu, une fois le cerveau éteint.
La clé du ressort pour le robot c'est un signe quand le moral est en berne chez les humains. Un signe qui relèvent.
Et puis, le robot grandit. C'est une volonté d'être plus semblable aux etresy humains qu'il côtoie. Balthasar n'a pas ces tentations, lui , il squatte les corps des autres !

Christiane a dit…

Au fur et à mesure que l'automate Melchior apprend le monde le lecteur est apaisé.
C'est très proche de la pièce de Peter Handke, Gaspard.
La conscience de soi, c'est un grand désordre.
L'imaginaire de Thomas Day n'est qu'une sorte de décalage avec le réel. Don automate raconte notre histoire pour la perception de nous-mêmes.

Christiane a dit…

son automate

Christiane a dit…

sidérant - les impressionnistes - qui relève - êtres

Christiane a dit…

Une couleur posée sur la toile provoque autour d'elle un halo coloré de la couleur qui lui est complémentaire, modifiant sa tonalité. Les peintres ont souvent une conscience instinctive de ce phénomène. ( Le café la nuit de Van Gogh. Il disait : - J'ai cherché à exprimer avec le rouge et le vert les terribles passions humaines. La salle est rouge sang et jaune sourd, un billard vert au milieu, quatre lampes jaune citron au rayonnement orangé et vert. C'est partout un combat et une antitithèse des verts et des rouges....")
La couleur n'existe pas réellement. Je pense aux daltoniens. ..
Certitudes qui sont à ébranler. Newton n'a-t-il pas en faisant passer un rayon lumineux à travers un prisme, réussi à faire apparaître des bandes de couleurs différentes ?Fabricant d'arc-en-ciel...

Christiane a dit…

Je trouve intéressante cette variation sur l'automate joueur d'échecs et ce croisement avec d'autres livres lus et films vus sur ce thème de l'androïde, des automates si proches de l'humain.
Le récit est un peu court. On y prend goût mais l'auteur a veillé à ce qu'aucune suite ne soit possible. Il faut donc vivre cette lecture comme un éclat de beauté énigmatique très réussi.