Leigh Brackett - Le Grand Livre de Mars - Le
Bélial’
Leigh Brackett revient. Le Bélial’ réédite treize ans après, dans la collection Kvasar, une compilation des aventures de son personnage emblématique, Éric John Stark. Elle fut complétée par un deuxième omnibus en 2014 : Stark et les Rois des étoiles.
Le Grand Livre de Mars contient trois récits et un recueil :
L 'Épée de Rhiannon
Le Secret de Sinharat
Le Peuple du Talisman
Les Terriens arrivent
Elle est agrémentée par une préface de Michael Moorcok, une postface de Charles
Moreau et une bibliographie d’Alain Sprauel, le tout rassemblé dans une très
belle livrée non pas rouge, mais rose fuchsia conçue par Guillaume Sorel !
Admiratrice des œuvres
d’Edgar Rice Burroughs, Mars fut le premier jardin de Leigh Brackett. Avant la
publication de The Sword of Rhiannon
en 1949, elle soumit en 1940 à la
revue Astounding une première nouvelle intitulée « Martian Quest ».
Elle épousa Edmond Hamilton qui collabora, ainsi que Ray Bradbury, à un autre
cycle, celui de Skaith. Mélanges de science et de fantasy, ses histoires
construites de façon rigoureuse, révèlent une styliste non négligeable. Il
suffit de l’écouter : « … il
savait qu’il avançait dans un désert où le vent lui-même avait oublié le nom
des morts qu’il pleurait ».
Pour paraphraser Moorcok, on pressent ici la poésie des Chroniques Martiennes et les fascinations minérales de Vermillion Sands. Leigh Brackett rejoint au panthéon des écrivaines ses contemporaines
Catherine Moore ou Judith Merrill. Happée par Hollywood suite à la parution d’un
roman policier, elle rédigea les scenarii de plusieurs célèbres westerns et surtout un premier jet de L'Empire contre attaque !
L'Épée de Rhiannon conte les mésaventures d’un
archéologue aventurier (déjà !) sur Mars. Alors qu’il sort d’un bar de la
ville de Jekkarta, un voleur tente de vendre à Matt Carse un objet pillé dans
une tombe. Il s’agit, selon la légende, de l’épée de Rhiannon, l'arme d'une divinité très
ancienne et maudite. Désireux d’en savoir plus il explore les lieux de la
découverte, mais le pilleur le projette dans un vortex temporel. Carse émerge
dans une Mars rajeunie d’un million d’années. Les sables ont disparu, un océan
borde désormais l’antique cité portuaire. Le voyageur se retrouve instantanément
mêlé à un conflit qui oppose deux cités, Sark et Khondor. De plus, comme dans Le
livre de Ptath de A.E Van Vogt ou L’ile des morts de R. J. Zelazny un
dieu habite son esprit. Les deux font alors cause commune, l’un pour réintégrer
le monde de son époque, l’autre pour rompre la malédiction dont l’ont frappé
les Quiru, ses frères. Bien sûr, les personnages masculins machistes, caricaturaux,
sentent leur époque. Mais la narration rondement menée et les Hybrides ne
manquent pas de charme.
Adieu Matt Carse, place à Éric John Stark un mercenaire
natif de Mercure et en rupture de ban sur Mars. Rattrapé par la patrouille en l’occurrence
le chef d’une sorte d’agence interplanétaire, il échange sa liberté contre la
promesse de s’opposer aux agissements d’un chef barbare. Kynon, c’est son nom, fait
appel à la pire engeance du système solaire et aux habitants des villes des
Bas-Canaux (dont Jekkarta) pour envahir Les Terres sèches de Mars
et se constituer un empire. Il promet la vie éternelle à ses troupes, un secret
détenu par un ancien peuple disparu, les Ramas. Infiltré dans la bande, Stark
fait route à travers le désert martien vers l’antique cité de Sinharat. Un
mauvais coup d’une vieille connaissance vénusienne le sépare lui et la compagne
de Kynon de la troupe. Bérild femme mystérieuse et inquiétante les sauve en les
menant à un mystérieux point d’eau. Enfin parvenu dans la ville, Stark découvrira
Le secret de Sinharat. Un récit sans temps mort qui a pris au fil du
temps la délicieuse patine des textes d’avant-guerre. Guillaume Sorel
comprendra, j’espère, que j’ai rêvé des guerriers de Frazzeta et imaginé une Sinharat
dessinée par Alex Raymond.
Ayant achevé sa mission Éric John Stark
fait route vers la Calotte Arctique martienne (1). Il emmène avec lui un voleur blessé à mort. Le
moribond lui fait promettre de ramener à la cité de Kushat un talisman dérobé
par ses soins. Il décède et sur son chemin Stark croise la route d’une bande de
brigands dirigée par un barbare masqué. Ciaran a décidé de s’emparer de Kushat
et de son talisman. Capturé et torturé le héros s’échappe, rentre dans la ville
dont les habitants restent persuadés que la fausse amulette en leur possession
les protège de toute attaque. Dans la furie des combats menés par le héros du Peuple
du talisman, Leigh Brackett
retrouve le souffle de Robert E. Howard. Etonnantes aussi ces femmes altières, guerrières,
reines comme dans L'Épée de
Rhiannon ou meneuses d’hommes ici,
adversaires dans un premier temps, puis amicales ou séductrices. Leurs
affrontements avec Stark ne seraient-elles pas des parades nuptiales entamées à
la pointe de l’épée ?
Exit Éric John Stark,
que l’on retrouvera dans Le cycle
de Skaith : Les Terriens arrivent compile cinq nouvelles. A l’image des Chroniques Martiennes de Ray Bradbury elles ont pour cadre la
colonisation de Mars par la Terre. L’une d’entre elles « La route de
Sinharat » y fait explicitement allusion. Martiens et humains s’affrontent
sur un projet de réhabilitation d’une cité ancienne. Deux textes me semblent
émerger d’un corpus par ailleurs remarquable : « La malédiction de
Bisha » et « Les derniers jours de Shandakor ». Le
premier raconte le drame d’une petite martienne qu’un terrien tente de sauver d’un
rituel sacrificatoire. D’une grande richesse thématique il anticipe « Ceux
qui partent d’Omélas » de Le Guin, évoque les antagonismes entre
tradition et modernisme que développera ultérieurement un Resnick au meilleur
de sa forme et l’émotion de certaines fictions de Ken Liu. Le second évoque la
découverte d’une cité perdue. Un anthropologue fait connaissance d’un des
derniers représentants d’une ethnie martienne inconnue. Excité à la perspective
d’une découverte majeure, l’homme de sciences découvre une cité fortifiée au
milieu d’un désert. Des brigands rodent autour des remparts. Parvenu dans les
murs il découvre un spectacle fabuleux d’individus chamarrés se livrant à d’intenses
activités. Soudain trois femmes s’avancent vers lui et le traversent. Elles ne
l’ont pas entendu crier. Pour qui a lu L’invention de Morel de Bioy
Casares, l’analogie est frappante. Certes, dans le récit de Leigh Brackett
subsistent quelques personnages réels alors que tout est illusion chez l’auteur
argentin. De même l’anthropologue détruit la machine alors que le naufragé
choisit de s’insérer dans la fantasmagorie. Mais quelle trouvaille de l’écrivaine !
Comme le souligne Charles Moreau, Bradbury a imaginé une Mars poétique alors que Brackett en livre une version épique. Néanmoins la poésie suinte de tous les textes de cet omnibus. Ils racontent la résurgence d’un passé nostalgique ou glorieux au sein d’un monde moribond. Par l’entremise de ce magnifique ouvrage, l’épouse d’Edmond Hamilton laisse un message : tous les lecteurs de science-fiction viennent de Mars.
(1) L’état des connaissances des planètes du système solaire, à l’époque, autorise toutes les fantaisies.
Fiche corrigée le 09/10/23
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