lundi 8 mai 2023

Spam

Jacques Mucchielli - Spam - Les règles de la nuit

 

 

« Je ne comprends pas pourquoi j’ai peur d’égarer les gens quand je suis avec eux, c’est absurde » MS-B

 

 

Pour le dixième anniversaire de la disparition de Jacques Mucchielli survenue en 2011, les éditions Les règles de la nuit avaient réuni en un volume des nouvelles publiées en revue, en anthologie et des inédits. Les proches ont apporté leur pierre au recueil, au premier chef Caroline Vaillant pour les illustrations et Léo Henry, le compagnon de cordée, pour les notices.


 

Jacques Mucchielli c’est avant tout pour moi Yama Loka Terminus - dernières nouvelles de Yirminadingrad, une uchronie/dystopie sur une ville imaginaire située au bord de la mer Noire au sein d’un monde qui n’aurait pas connu la chute du mur de Berlin. Inspirés par les écrits d’Antoine Volodine et la trilogie de béton de James Graham Ballard, Léo Henry et l’auteur de Spam avaient insufflé un nouveau souffle au genre. Trois autres recueils formant un cycle avaient suivi auxquels s’étaient joint d’autres écrivains.


 

Si certains textes comme « Journal anticipé d’un écrivain mythomane » ou « Nom lieu » rejoignent ou flirtent avec le corpus précédemment cité, les autres témoignent de l’inventivité de Mucchielli. Dans « Vermilion Dust » rédigé à l’occasion d’un numéro de Bifrost consacré à Ballard, des agents gouvernementaux investissent l’univers de Vermillion Sands pour règlementer l’activité artistique des résidents - en fait remettre tout le monde au travail. Ce basculement d’une utopie en dystopie m’a rappelé le désarroi des Buster Keaton et consorts mis au pas par la machinerie Hollywoodienne au début des années 30.


 

Dans le même ordre d’idée [« And the tattling of many tongues »] raconte les efforts d’Edgar Allan Poe et de Thomas Dunn English pour remettre en marche les aiguilles du Temps. Une balade au sein de l’Eternité, l’Alcherina australien. Moins convainquant que le précédent, quoique bourré de références littéraires. « L’or des fées » - un inédit - est une bonne surprise. Un privé enquête sur une fraude bancaire commise par une entreprise de loisirs virtuels. Il affronte l’IA maitre des lieux dans un fac-similé de Disneyland.


 

On retrouve le Mucchielli des dystopies avec « Spam » : un soldat rescapé d’une guerre meurtrière réintègre le civil et découvre une société sécuritaire vouée à l’éradication des marginaux et au lavage des cerveaux par la pub pour les autres. Un autre combat débute. « Le sixième sens » raconte un braquage qui vire au désastre. Comme « Spam » un récit percutant, efficace. J’ai cité l’autofiction « Journal anticipé d’un écrivain mythomane » ; elle relate la vie imaginaire, fantasmée de l’auteur. On y découvre une autre de ses facettes, l’humour.


 

Les autres textes ne déméritent pas, mais à côté des indispensables notules de Léo Henry, et du fragment d’un roman perdu, j’ai eu un coup de cœur pour les quelques pages d'introduction de Maheva Stephan-Bugni et son message lumineux : on meurt de la distraction des autres.



SOMMAIRE NOOSFERE


1 - Maheva STEPHAN-BUGNI, A l'ammoniaque, pages 7 à 13, préface
2 - Spam, pages 17 à 37, nouvelle
3 - Journal anticipé d'un écrivain mythomane, pages 41 à 58, nouvelle
4 - Il est cinq heures..., pages 63 à 69, nouvelle
5 - Le Sixième sens, pages 73 à 83, nouvelle
6 - Shrapnel memento, pages 87 à 96, nouvelle
7 - L'Or des fées, pages 101 à 130, nouvelle
8 - Nom lieu, pages 135 à 148, nouvelle
9 - Ce qu'ils savent de Paris, pages 153 à 164, nouvelle
10 - (« And the tattling of many tongues »), pages 169 à 190, nouvelle
11 - Vermilion Dust, pages 195 à 212, nouvelle
12 - Moins de toi, pages 215 à 264, extrait de roman
13 - Léo HENRY, Notice, pages 267 à 270, notes


48 commentaires:

Christiane a dit…

Soleil vert, vous écrivez : "Pour le dixième anniversaire de la disparition de Jacques Mucchielli survenue en 2011, les éditions "Les règles de la nuit" avaient réuni en un volume des nouvelles publiées en revue, en anthologie et des inédits. Les proches ont apporté leur pierre au recueil, au premier chef Caroline Vaillant pour les illustrations et Léo Henry, le compagnon de cordée, pour les notices.
J'ai trouvé ce témoignage émouvant.




https://lesreglesdelanuit.net/site/blog/spam-le-recueil-de-jacques-mucchielli

Soleil vert a dit…

Merci
Je ne suis pas content de ma dernière phrase, mais je ne trouve pas la bonne formulation

Christiane a dit…

Il est mort bien jeune. C'est toujours injuste ces morts prématurées.
Je la trouve bien votre dernière phrase. Cette idée de cordée est belle.

Christiane a dit…

Vous écrivez : "j’ai eu un coup de cœur pour les quelques pages d'introduction de Maheva Stephan-Bugni et son message lumineux : on meurt de la distraction des autres."
Pourriez-vous élucider cette idée de distraction des autres ?

Anonyme a dit…

Pas lu, hélas !

Anonyme a dit…

MC

Christiane a dit…

Je suis ailleurs, cher Soleil vert. Je lis à rebours, puis en remontant l'étrange palimpseste de Paul Edel. Ses amis qui reviennent le hanter joyeusement et terriblement puisqu'ils ne sont plus là. L'occasion de piétiner rageusement la madeleine de Proust.
Ce sont des pages lentes, floues. Présence obsédante de Virginia Woolf et de la mer et des brumes de l'alcool et de la rumeur pailleuse des enfants à l'arrière de la voiture ou des raclements des brosses à mousse qui l'astiquent dans une station de lavage. Il y a les soirs, les pins. Comme c'est triste et beau et envoûtant. Une langue qui se défend d'être lisible s'accordant aux tête-à-queue de la songerie.
J'avais faim de lire la chair de l'écriture vacillante car saisie à sa naissance. Les amis, la mer, écrire.... toute sa vie.

Christiane a dit…

piailleuse

Christiane a dit…

Janssen J-J écrit sur la RdL :
"Jason, un nouveau beau morceau de nostalgie sur la plage d’Edel… De superbes bribes de souvenirs. La quintessence d’un peintre vieillissant au sommet de son art."

Christiane a dit…

Un chatoiement de soie comme les kimonos du quai de Branly. (Exposition que vous aviez signalée)
Mirage de ces vêtements somptueux, bien réels qui parent des corps absents....
Des vêtements vides qui appellent des fantômes.

Christiane a dit…

Sauf que ce n'est pas "raclements" mais "crépitement", mot employé pour la deuxième fois et toujours dans le souvenir d'un bruit d'eau, d'abord sur la vitre de la voiture à Gotland puis dans cette chute d'eau mousseuse dans la station de lavage. On dirait qu'il pleut dans les mots de Paul Edel. Toute une pluie de souvenirs.
Voyez-vous, Soleil vert, c'est passionnant de revenir lire ce texte. Il y a une musique là-dedans. C'est autant un plaisir d'écoute que de sensations érotiques dues aux chairs de femmes à peine dévoilées par des robes aux étoffes souples (épaules, cuisses...). Mais tout est fantasme, habite dans les mots, dans les rêves. Ça tangue dans ses souvenirs. JJJ a vu juste en parlant d'un peintre. Les deux toiles somptueuses comme des arrêts images dans le texte sont comme un miroir des mots.
C'est un plaisir égoïste que de prolonger la lecture de ce texte alors que vous venez de mettre en ligne un billet qui fait mémoire d'un écrivain intéressant. Désolée, enfin pas tout à fait. Je ne résiste guère au plaisir de savourer un texte. C'est comme le gâteau à la crème que le jeune ado ne peut s'empêcher de dévorer dans ce grand film dont le nom m'échappe soudainement.
Ah c'est bien d'être ici toute immergée dans les textes. Quel plaisir d'être lecteur !

Christiane a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Christiane a dit…

Le film dès le début nous fait suivre trente années de la vie d'un groupe de gangsters, surtout axé sur l'un d'entre eux que l'on découvre enfant avec un entourage majoritairement d'origine italienne.

Christiane a dit…

A propos des toiles utilisées par Paul Edel dans ses billets, une découverte : les toiles de l'artiste norvégienne Anna-Eva Bergman (1909-1987) presque abstraites, peintes de couleurs pures et de camaïeux de bleu. Je vois qu'une exposition en cours présente son œuvre au musée d'art moderne de Paris

Christiane a dit…

Et les blancs lumineux de Joaquin Sorolla... Souvent des femmes en robe blanches claquant dans le vent. Scènes de bord de mer.
Pour la femme au jardin, je ne sais. facture impressionniste. Peut-être un artiste anglais...

Christiane a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Christiane a dit…

Soleil vert,
Vous m'avez fait découvrir un roman de JO Walton ("Où ce que vous voudrez") dont je relis ce soir le premier chapitre.
C'est un personnage qui parle de à son auteur. C'est aussi ce que ressent le lecteur en imaginant la naissance des personnages.
"Ce brouillard grisâtre est l'une des choses les plus anciennes qu'elle conserve en elle. L'une de ses plus anciennes pensées d'enfant. Quand elle veut créer un personnage, elle entre dans cette substance qui se met à tourbillonner autour d'elle (...) les volutes s'épaississent et se solidifient, prennent forme, adoptent la consistance qu'elle choisit de leur donner. (...) Ce n'est qu'une simple brume, ronchonne-t-elle . C'est le lieu de tous les possibles.. (...) C'est la source, la fondation, l'origine. C'est la vallée des ombres, le crépuscule des rêves entrelacés."
C'est ce qui réunit jo Walton, Virginia Woolf, Jacques Mucchielli, Paul Edel, Pierre Assouline ... et les lecteurs que nous sommes.

Christiane a dit…

de son auteur

Christiane a dit…

Mais pour le cinéma, cela devient très compliqué. Il faut que de cette brume naisse une rencontre avec le corps, le visage, la voix d'un acteur et pour certains une grâce pour incarner un personnage.
Par exemple, j'aime quand Adèle Haenel prête son silence intérieur au "portrait de la jeune fille en feu" sous la main de potier de Céline Sciama. Elle y est bouleversante et ce portrait impossible est une belle leçon de peinture.
Il n'y a alors plus de lecteur mais un spectateur rêveur qui s'évade dans un monde infini , disparaissant dans le noir d'une salle, fasciné par la blancheur floconneuse des visages sur l'écran.
Il y a aussi naissant de cet art des chants d'oiseaux, des hurlements de loups...
Des allégories voilées, un monde paradoxal, une imitation du réel faite de faux-semblants.
Quand l'illusion se dissipe l'acteur ne coïncide plus avec ce faux réel. Seule reste une porosité. Deux droites parallèles rêvant de de rejoindre dans l'infini.
Au spectateur de traverser la transparence de la toile par son regard de lecteur... Comme le personnage de Paul Edel en quête du regard de Bergman à Gotland.
On peut aussi remonter jusqu'aux imagiers de l'antiquité. Des morts dont on prolongeait la présence. Des images funéraires...
A Pompéi, un portrait de femme dit de "Sapho", munie d'un stylet, songeuse, cherchant des mots...
Les portraits du Fayoum, ces visages peints sur les momies. Un regard frontal qui vous fait face . Ils étaient peint pour accompagner le mort dans l'au-delà ...
Parfois, juste un piano à queue entouré de feutre gris comme cette trace de Joseph Beuys au Centre Pompidou qui dut sa survie sur une civière à une couverture de feutre.
Et puis au loin, là-bas, la grotte Chauvet. Cette iconographie du paléolithique où le signe de mêle aux silhouettes. Là aussi des affrontements dont la roche a gardé le secret.
"Le propre du visible est d'avoir une doublure d'invisible..." (Merleau-Ponty - "L'oeil et l'Esprit")

Christiane a dit…

peints

Christiane a dit…

Tout me revient du grand beau film de Sergio Leone ,"Il était une fois en Amérique". Une musique lente au saxo. La jeune fille danse dans un grenier, dans une poussière dorée. Il la regarde par un petit trou dans le mur. Il s'appelle David. Une bande gosses dans le quartier juif de New York qui courent, heureux d'un mauvais coup. Bars enfumés. Les gosses vont et viennent désoeuvrés. Ça ressemble à Brooklyn. Les docks. Le pont si reconnaissable avec ses hautes poutres métalliques. Ds carrioles, des chevaux.. Quelques camions. Beaucoup de fumées. Quartier industrieux La musique revient, sifflée ou égrenée sur un piano ou toujours ce saxo obsédant. La musique est belle. David aime lire. Il rêve sur Martin Eden enfermé dans les toilettes.
La fille entre, il la désire comme un jeune ado désire une fille. Et c'est là qu'elle lui dit : apporte-moi une charlotte aux fraises et tu pourras me faire tout ce que tu veux !
Quel souvenir, venu de si loin. Toute la poésie drue de l'enfance qui bascule dans l'adolescence .
Donc il est là tout embêté camouflant le papier froissé de la charlotte aux fraises qu'il a dévorée....
Pour l'instant c'est tout ce qui me revient du film. De Niro vieilli revivant son enfance, ses amis. Et la musique.
Lui aussi, ses amis....
Peut-être que c'est le texte de Paul Edel qui a fait surgir de ce film ces images qui pourraient aussi s'écrire : Mes amis....

Christiane a dit…

Ce dont je ne voulais pas me souvenir : le plus petit de la bande est tué par un coup de pistolet de l'autre gang. Vengeance. David le justicier part en prison. Ses copains desolesy regardent le fourgon qui entre dans la prison. Film dur, magnifique, sans concession.

Christiane a dit…

Un autre point commun avec le texte cité, dans le film de Sergio Leone, toute la vie de David est déroulée. Et cette amitié si importante pour lui le laisse seul. Ils sont tous morts. Enfin, il le croit... et la femme qu'il aime (mal)est perdue pour lui.
En plus, il y a eu trahison...
Vieillissant, mélancolique, seule une fumerie d'opium dans le quartier chinois devient le lieu possible où il dérive dans des rêves ou ses souvenirs.
Du grand cinéma que Jazzi défend bec et ongles. Comme il a raison.

Ce pont de Brooklyn, si beau est souvent en fond d'écran. La musique d'Ennio Morricone reprend inlassablement le même thème, déchirant quand il est joué à la flûte de pan.

Christiane a dit…

J'ai fini par regarder le film de Sergio Leone. Qu'il est long ! Je n'avais pas dû le voir dans sa version longue !
Comme la mémoire déforme la trace d'un film vu il y a si longtemps... Ces deux scènes existent mais comcernent deux gamins du groupe différents et deux fillettes également différentes .
L'un romantique et respectueux, l'autre bien éveillé pour son âge...
Au final, cette scène est vraiment mineure, juste amusante.
Ce dont les vies de David et Max qui charpentent le film. Max trahissant David, hélas.

Christiane a dit…

Étrange comme ce film "Il était une fois l'Amérique" de Sergio Leone est venu se superposer au texte de Paul Edel.
Deux histoires d'amitié qui traversent le temps.
J'ai effacé les commentaires concernant "Les Affranchis" de Scorsese. Fausse piste. Rien à voir avec le film de Sergio Leone.
Ces deux films vus il y a si longtemps...mais seul celui de Sergio Leone a un rapport avec l'ambiance des textes de Paul Edel .

Christiane a dit…

concernent

Christiane a dit…

Soleil vert, en tête de votre billet vous choisissez une citation : "Je ne comprends pas pourquoi j’ai peur d’égarer les gens quand je suis avec eux, c’est absurde »
Elle est donc de Maheva Stephan-Bugni (initiales) qui signe la préface pour une des nouvelles du recueil : "A l'ammoniaque".

C'est très mystérieux cette citation.
Qui parle ?
Jacques Mucchielli , l'auteur de "Spam - Les règles de la nuit", je suppose.
Comme si elle écrivait de son oeuvre : Un labyrinthe n'est pas un lieu où l'on se perd mais d'où on ressort perdu.
Ce serait donc des nouvelles pleines de faux-semblants ?

Christiane a dit…

Un labyrinthe, pas un dédale. Un labyrinthe a une entrée et une sortie prévues par celui qui l'a conçu. Un chemin à trouver, une progression logique.
Un dédale n'offre aucune issue prévue. C'est un piège où l'on s'égare.

Christiane a dit…

Vous écrivez dans le billet concernant "Yama Loka Terminus" :

"Jacques Mucchielli, offre en miroir à nos journées
(...), la vision d’un univers délétère et désespéré, le nôtre peut- être demain. Lieu dystopique par excellence, (...) les récits croquent des lieux improbables où des personnages en proie à la déréliction errent dans des labyrinthes existentiels et fuient."
C'est votre texte qui m'a fait penser à ces labyrinthes mais aussi les nouvelles de Kafka qui modifient les repères du temps et de l'espace, notamment en décalant habilement les chapitres pour mieux égarer son lecteur.
Quant à Borges son labyrinthe est infini comme s'il ne désirait pas en sortir ni que le lecteur s'en sorte.

MC a dit…

Anna Eva Bergman , c est aussi Madame Jean Arp...
MC , de passage.

Christiane a dit…

Hans Hartung ?

Christiane a dit…

Magnifique film documentaire de 50 mn sur Arte tourné dans l'atelier d'Anna Eva Bergman.
https://www.arte.tv/fr/videos/112309-000-A/anna-eva-bergman-peintre-alchimiste-de-la-lumiere/

Anonyme a dit…

A côté de lectures de genre, ai récupéré un recueil des derniers poèmes d'Aragon à la nrf (Adieu et autres poèmes. Publié en 2022. C'est tres fort. Avec le pléiade consacré à Bonnefoy, un événement.SV

Christiane a dit…

Vous êtes en bonne compagnie ! Merveilleux achats.
"Y a-t-il vraiment un temps où tout commence ? un temps d'ouvrir les yeux ? un jour qui n'a point de veille, et découvrir la douceur de toucher, comme le cri, cette protestation d'avant les mots, comme les larmes ? Je n'ai pas toujours su que j'existais, cela s'est produit sans que je sache pourquoi, comment.
Quand je me retourne pour voir derrière moi ce qui fut, j'ai peur. Le passé me tourne la tête. Et j'ai de lui-même vertige plus que cette chute en avant que vous appelez l'avenir."
Aragon - "Théâtre/ Roman" (Gallimard)

Christiane a dit…

Les textes lus (par Charlotte Rampling) sont d'elle. Elle explique pourquoi elle a décidé de quitter Hans Hartung pour se consacrer à son art, à la réflexion. Des toiles sont vraiment bien filmées. Une grande beauté.
Puis ils se retrouvèrent quinze ans plus tard et ne se quittèrent plus.
Je crois que ce couple d'artistes intellectuels a eu raison de se quitter un temps pour aller vers eux-mêmes sans l'influence de l'autre.

Christiane a dit…

Aviez-vous lu ce billet bouleversant ?

https://larepubliquedeslivres.com/sur-une-idee-de-recit-dyves-bonnefoy/

Christiane a dit…

"L' Arrière pays" pour revivre le temps et le lieu de l’enfance...

Christiane a dit…

Une des pensées mystérieuses de ce livre, "L' Arrière pays " d'Yves Bonnefoy :
"Et je dirai d'abord que si l'arrière-pays m'est resté inaccessible - et même, je le sais bien, je l'ai toujours su, n'existe pas - il n'est pas pour autant insituable, pour peu que je renonce aux lois de continuité de la géographie ordinaire et au principe du tiers exclu."
Inaccessible... N'existe pas... Et pourtant , il est situable par la parole poétique, par le regard porté sur la peinture du Quattrocento, par un temple de bois japonais, par les sables rouges.

Christiane a dit…

"Il me semble dans ces moments qu'en ce lieu ou presque : là, à deux pas sur la voie que je n'ai pas prise et dont déjà je m'éloigne, oui, c'est là que s'ouvrait un pays d'essence plus haute, où j'aurais pu aller vivre et que désormais j'ai perdu."
"L' Arrière pays"

Christiane a dit…

C'est bien de replacer les poètes parmi nous. Leur passé ne cesse de colorer le présent.
Comme Anna Eva Bergman quand elle travaille ses toiles comme si elle avait un burin. Elle peint en sourdine, estompe et parfois marque la toile de stries blanches. Un halo les entoure. Nuances d'or de ces collages à la feuille d'or, éclairant une nuit charbonneuse.
"Cette terre va si noir", écrivait Yves Bonnefoy.
J'ai besoin de l'écriture des origines en mots ou en couleurs. Ça dit l'obscur.
J'aime que Pierre Assouline ait travaillé sur "L'Echarpe rouge". L'anamnèse de Yves Bonnefoy. ("La longue chaîne de l'ancre")...
Ce sont des artistes de la transmutation, de la séparation, de la réparation.
Pierre Assouline, dans "Vies de Job" ne dit-il pas : "Quand on écrit, on n'est plus de monde. Quand on lit aussi." ?
Et, plus loin : " Le roman a embrumé la biographie. Le partage des eaux entre la fiction et l'enquête s'est brouillé et je désespère de jamais en sortir"...
A la fin de son livre , il rapporte une anecdote qui éclaire aussi votre blog, Soleil vert :
"Un jour, le journaliste Pierre Lazareff emmena son ami Blaise Cendrars par le bras, le seul qui lui restait, et demanda sur le ton de la confidence au poète de "La Prose du transsibérien et de la petite Jehanne de France" :
"Entre nous, l'as-tu jamais pris, ce fameux train ?
- Quelle importance puisque je vous l'ai fait prendre à tous ?"

Christiane a dit…

Ce décalage, cette étrangeté que je rencontre parfois dans le genre science-fiction, je les ai trouvées aussi dans cet essai d'Aragon (Théâtre/Roman).
Ainsi cette page pourrait être le début d'une nouvelle dont la citation que vous avez choisie au début de votre billet pourrait être l'exergue.
C'est dans un pli du livre nommé "L'Anonyme".

"L'histoire de ma vie aura été celle d'un autre qui n'existe pas plus que moi. L'histoire de sa vie est celle de nos rencontres. Le récit de ces rencontres garde toujours le caractère dérisoire d'un rêve dont on ne se souvient pas, mais dont on cherche à se souvenir. Parfois j'ai le sentiment que ce personnage me suit, j'ai presque peur de lui. Que me veut il ? Puis voilà soudain que c'est lui qui me fuit, qui m'évite, m'échappe. Je retourne dans les quartiers où je l'ai rencontré, où j'ai du moins le sentiment de l'avoir rencontré... Je ne l'y retrouve jamais. Il surgit ailleurs. Nous n'avons pas de lieu de rendez vous. De longues périodes se passent sans qu'il surgisse sur mon chemin. Ou moi sur le sien. (...)
Après tout, lequel des deux suis-je ? Il y a des jours où je doute de moi... Si je n'étais que l'imagination de l'autre ?(...)
L'étrange est que je n'ai pu, à part quelques mots une fois où deux, jamais fixer, c'est à dire écrire, ce qu'il m'avait dit. Comme si nos rencontres étaient toujours demeurées des silences."

Christiane a dit…

trouvés

Christiane a dit…

Et l'élucidation de l'essai, du titre de l'essai "Théâtre/Roman", vient, dans la foulée de cet homme double et plus :
"D'autant que ma vie à moi est d'écrire. Non pour le théâtre, c'est-à-dire un lieu qui existe, en dehors de moi. Mais pour un théâtre de moi, d'en moi. Où je suis tout, l'auteur, l'acteur, la scène où je ne vends rien à personne, je suis mon propre et seul interlocuteur. Qu'on entende bien que, lorsque je dis le Théâtre, le Théâtre est le nom que je donne au lieu intérieur en moi où je situe mes songes et mes mensonges. Il faudrait tout relire de ce point de vue. Ou tout déchirer. Tout, j'entends par là aussi bien ce qui est attribué à l'acteur que ce dont j'avoue être l'auteur. (...)
C'est un jeu d'intermittence, assurément, mais peut-être que toute cette machinerie n'est construite que pour me permettre à la fois de me montrer, me mettre en scène, - et je connais bien cette force cachée, mal refoulée en moi d'un certain exhibitionnisme, - sans avouer mon identité, me mêlant à des marionnettes au point d'avoir l'air de n'être que l'une d'elles."
Vous avez dit science-fiction ? Diable d'homme !

Christiane a dit…

https://seamussweeney.files.wordpress.com/2018/05/scf6537.jpg


Renato offre sur la RdL cette superbe photo de Borges aveugle reconnaissant un visage par le toucher.
Dans le même temps je relis le dernier chapitre de "Matière et mémoire" de Bergson

Il interroge longuement l'importance du toucher dans la conscience du volume, du relief.
Lui est-il possible de revenir à l'image impossible (cécité) par la mémoire tactile de ce qu'il a touché ?
Inversement une fable crée la confusion. On demande à quatre individus qui ont les yeux bandés de toucher une partie d'un éléphant. Tous faisant appel à cette mémoire tactile donneront des réponses erronées parce que partielles. Dureté, souplesse, partie cernable par deux mains ou pas. Aucun ne reconnaîtra un éléphant.
Récemment vous nous avez offert une nouvelle de science-fiction où un être humain sorti des décombres de l'explosion de son vaisseau spatial et toujours sur terre, se croit arrivé sur une autre planète et s'invente un monde faux et horrifiant à partir de ses souvenirs. Ainsi le tracteur devient un monstre robot.
Tout cela est passionnant. La science fiction repose souvent sur ces décalages dûs à la superposition de la mémoire sur la matière à reconnaître.
"On allègue, il est vrai, que la vue finit par devenir symbolique du toucher, et qu'il n'y a rien de plus, dans la perception visuelle des rapports d'espace, qu'une suggestion de perceptions tactiles. Mais comment la perception du relief coïncide -t-elle avec le simple souvenir d'une sensation du toucher ?(...)
On établira qu'une surface, où les jeux d'ombre et de lumière de l'objet en relief sont plus ou moins bien imités, suffit à nous rappeler le relief, mais encore faut-il, pour que le relief soit rappelé qu'il ait d'abord été pour de bon perçu."
"Matière et mémoire" - Bergson
Cher Soleil vert, vous m'entraînez dans des recherches imprévues.

Christiane a dit…

Peut-on oublier des souvenirs qu'on n'a jamais eus ? Qu'est-ce qui peut remplacer la mémoire ? La littérature, l'art...
Une de mes raisons de m'être attardée sur "Le Nageur" de Pierre Assouline ou sur les romans et textes de Paul Edel (JP.A), de Sebald, de W.Benjamin.
C'est une course de vitesse avec la mort qui fait basculer cette mémoire dans l'oubli.
Proust a merveilleusement écrit sur la mémoire involontaire (et là à nouveau des associations sensorielles).
Alors, l'anticipation ? assez catastrophique dans la SF !
Mélancolie et incertitude des fragments de la mémoire. Ironie de la mort. Humour grinçant du théâtre de Beckett.

Christiane a dit…

Mais la fiction arrête la fuite du temps car elle nous transporte hors du temps dans un présent immédiat qui n'est qu'une illusion.
Extraordinaire "W ou le souvenir d'enfance" de G.Perec. Deux textes alternés, un imaginaire, l'autre, un récit autobiographique de sa vie d'enfant pendant la guerre.
(Avec en exergue une pensée de R.Queneau :
"Cette brume insensée où s'agitent des ombres, comment pourrais-je l'éclaircir ?")

Christiane a dit…

Dans votre colonne de droite figure les noms des blogs que vous aimez bien et vous avez beau y noter les trois saisons du blog de Paul Edel, je n'ai pas trouvé ce que je cherchais et ma mémoire est pleine de trous. Il a évoqué a plusieurs reprises le dernier roman de Virginia Woolf, "Entre les actes". Impossible de retrouver ces textes. Tant de textes !!!
Et pourtant je sais dans un trou de ma mémoire qu'il avait saisi remarquablement la particularité de ce roman. Car de cette représentation donnée lors d'une fête champêtre en plein air et où les villageois sont invités, une annonce sur l'affiche est remarquable : il sera servi du thé entre les actes.
Paul Edel avait souligné ce roman rêvé qui s'écrit dans ces entractes, infiniment plus intéressant que la pièce en elle-même..
La représentation est sans cesse interrompue par un autre spectacle : ces gens entre eux qui bavardent, rient, se disputent, baillent, somnolent... se lèvent, passent et repassent entre les arbres. Un auditoire très inattentif, passionnant à observer, à ecouter....
La pièce ? Qu'importe l'intrigue.... Les mots flottent dans l'air. Le vent se lève. Des vaches débonnaires broutent, une averse éclate.
C'est la grange qui est importante où l'auditoire se précipite entre les actes. "Cliquetis d'assiettes, brouhaha des voix."
On y parle de la guerre, des vêtements, des chiens, des exilés... Miss La Traube grince des dents et froisse son manuscrit. Son auditoire lui échappe. Elle le maudit. Son astuce : les miroirs présentés malicieusement, révélateurs. Tous chercheront à échapper à eux-mêmes sauf une qui sort "sa houppette et se bichonne" !
Virginia Woolf crée un rapport très percutant entre le théâtre et la vie.
Un peu comme cette quête d'Aragon dans son essai "Théâtre//Roman".
La vie superbe, incohérente, faite de fragments.
Un peu aussi comme dans cet autre texte que PE écrivit un jour où il dégustait un café en terrasse et où il notait des bribes de conversations de gens immobiles ou passant. Il y avait des trous, des phrases inachevées...
Et le lecteur devient spectateur de ce théâtre là.

Christiane a dit…

Voici cette histoire - métaphore :
"Il était une fois 6 aveugles qui vivaient dans un village. Un jour les habitants leur dirent « il y a un éléphant dans le village ». N’ayant aucune idée de ce qu’est un éléphant, ils décidèrent d’aller toucher l’éléphant, faute de pouvoir le voir, afin d’en savoir plus.

« L’éléphant est un pilier » dit le premier en touchant sa jambe.
« Mais non, il est comme une corde » dit le second en touchant sa queue.
« Mais voyons, il est comme la branche épaisse d’une arbre » dit le troisième en touchant sa trompe.
« C’est un grand éventail » dit le quatrième en touchant son oreille.
« C’est comme un mur énorme » dit le cinquième en touchant son ventre.
« C’est une grosse pipe » dit le dernier en touchant sa défense.
Ils commencèrent à débattre, chacun étant certain de détenir la vérité sur l’éléphant. Un sage qui passait par là, entendit leur conversation et leur dit : »vous avez tous dit vrai, la raison pour laquelle ce que chacun de vous décrit est différent, est que vous avez touché une partie différente de l’animal ».
Il furent tous heureux d’avoir pu raconter la réalité…"