dimanche 30 juin 2019

Jean Ray, entre réalité et légende (7)


Jean Ray - Saint-Judas-de-la-Nuit - Alma




Après des contes noirs du golf forts dispensables, passons sans transition au dernière roman connu de Jean Ray, Saint-Judas-de-la-Nuit. Sa rédaction prit cinq ans, dont témoignent un prélude et des documents préparatoires fournis en appendice par l’érudit Arnaud Huftier. C’est en quelque sorte l'Alph-Art du Maitre gantois avec une construction en mosaïque et des intrigues parallèles mais gravitant toutes autour d’un personnage maléfique.



Trois étudiants qui dérobent livres et manuscrits de bibliothèques savantes pour arrondir leurs fins de mois, se retrouvent en possession du grimoire de Stein, un parchemin rédigé par Judas Stein von Ziegenfelsen, surnommé l’Ange triste, autrement dit le Diable. Mais avant d’avoir pu en étudier le contenu, le manuscrit disparaît. L’un des protagonistes devenu homme d’église passera le reste de son existence à le rechercher. Un jour, un de ses anciens condisciples, herboriste de son état, lui confie les mémoires d’un jeune homme alias Saint-Judas-de-la-Nuit. Celui-ci a été approché et adoubé par Stein, lui conférant de redoutables pouvoirs…



Ainsi donc, comme Dieu, le Diable aurait ses Saints . Il y a comme un soupçon d'anticléricalisme dans cet ouvrage… On ne se lasse pas des univers hauts-moyenâgeux de Jean Ray, même si ce texte impose plusieurs lectures pour en parfaire la compréhension. La seule évocation de la ville de Nuremberg suscite en soi de désagréables réminiscences, mais l'auteur en rajoute une couche : « La châsse de Saint-Sébald à Nuremberg dite « Monument Saint Sébald » est placée au milieu du chœur de la petite église qui porte son nom. Elle est toute couvertes de lames d’or et d’argent. Sa base est soutenue par d’énormes escargots et chargée de figures d’enfants qui jouent avec des insectes et s’entourent de chiens. Mais les douze statues d’apôtres, qui sont adossées aux colonnes à l’entablement de la châsse, sont figures effrayées ou menaçantes, probablement parce que les candélabres sont soutenus aux quatre angles, par des figures nues de sirènes, aux formes allongées et fuyantes, évoquant des pensées de tentation … »



On retrouve l’art de la dualité propre à l’écrivain : chacun des éléments de cet univers porte sa zone d’ombre. Quand Jean Ray évoque la mer, c’est au travers du soupirail d’une chapelle ancienne. La matérialité la plus insignifiante, culinaire par exemple, prélude à une incursion dans l’au-delà. On retiendra aussi dans la rubrique « Autres textes », deux trouvailles, l’excellente « Storchhaus ou la maison des cigognes » dédiée à Henri Vernes et l’honorable « Merry-go-round ». Une maison carnivore et un manège d’enfant aux chevaux de bois inquiétants…Que faut-il de plus ?

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