Jean Ray
- Saint-Judas-de-la-Nuit - Alma
Après des contes
noirs du golf forts dispensables, passons sans transition au dernière roman connu de Jean Ray, Saint-Judas-de-la-Nuit. Sa rédaction prit cinq ans,
dont témoignent un prélude et des documents préparatoires fournis
en appendice par l’érudit Arnaud Huftier. C’est en quelque sorte l'Alph-Art du
Maitre gantois avec une construction en mosaïque et des intrigues parallèles mais gravitant toutes autour d’un personnage maléfique.
Trois étudiants qui dérobent
livres et manuscrits de bibliothèques savantes pour arrondir leurs fins de mois,
se retrouvent en possession du grimoire de Stein, un parchemin rédigé par Judas Stein von Ziegenfelsen, surnommé l’Ange
triste, autrement dit le Diable. Mais avant d’avoir
pu en étudier le contenu, le manuscrit disparaît. L’un des protagonistes devenu
homme d’église passera le reste de son existence à le rechercher. Un jour,
un de ses anciens condisciples, herboriste de son état, lui confie les mémoires d’un
jeune homme alias Saint-Judas-de-la-Nuit. Celui-ci a été approché et adoubé par
Stein, lui conférant de redoutables pouvoirs…
Ainsi donc, comme Dieu,
le Diable aurait ses Saints . Il y a comme un soupçon d'anticléricalisme dans cet ouvrage… On ne se lasse pas des univers hauts-moyenâgeux
de Jean Ray, même si ce texte impose plusieurs lectures pour en parfaire
la compréhension. La seule évocation de la ville de Nuremberg suscite en soi de
désagréables réminiscences, mais l'auteur en rajoute une couche : « La
châsse de Saint-Sébald à Nuremberg dite « Monument Saint Sébald » est
placée au milieu du chœur de la petite église qui porte son nom. Elle est toute
couvertes de lames d’or et d’argent. Sa base est soutenue par d’énormes
escargots et chargée de figures d’enfants qui jouent avec des insectes et s’entourent
de chiens. Mais les douze statues d’apôtres, qui sont adossées aux colonnes à l’entablement
de la châsse, sont figures effrayées ou menaçantes, probablement parce que les
candélabres sont soutenus aux quatre angles, par des figures nues de sirènes,
aux formes allongées et fuyantes, évoquant des pensées de tentation … »
On retrouve l’art de la
dualité propre à l’écrivain : chacun des éléments de cet univers porte sa
zone d’ombre. Quand Jean Ray évoque la mer, c’est au travers du soupirail d’une chapelle
ancienne. La matérialité la plus insignifiante, culinaire par exemple, prélude
à une incursion dans l’au-delà. On retiendra aussi dans la rubrique « Autres
textes », deux trouvailles, l’excellente « Storchhaus ou la maison
des cigognes » dédiée à Henri Vernes et l’honorable « Merry-go-round ».
Une maison carnivore et un manège d’enfant aux chevaux de bois inquiétants…Que
faut-il de plus ?
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