Robert Silverberg - Les Temps parallèles - Marabout -
Le Bélial’
La littérature de science-fiction entretient un
rapport singulier avec le Temps. A la différence des autres genres romanesques,
elle ne se résout pas à un constat d’impuissance. Elle n’hésite pas à en
déchirer la trame. Ses personnages surfent sur la quatrième dimension ou en
font un terrain de jeu, plus communément dénommé « voyage dans le
temps ». Robert Silverberg s’est illustré sur ce thème avec plusieurs
romans et nouvelles : Les Masques du Temps, Les déserteurs
temporels … Homme d’une grande culture historique, féru de lettres
classiques, il transpose dans l’infini des temps révolus, des angoisses et
interrogations contemporaines.
2059 : Jud Elliot, jeune homme de vingt-quatre
ans las d’un travail d’assistant juridique, file à la Nouvelle Orléans s’engager
dans le Service Temporel. Une nouvelle industrie touristique est née, offrant à
des vacanciers fortunés un saut dans le passé à la rencontre d’évènements
exceptionnels sous la houlette de guides. Une patrouille temporelle - clin
d’œil à Poul Anderson - contrôle l’activité de ces derniers, rétablissant si
besoin est, la trame de l’Histoire, supprimant d’éventuels paradoxes provoqués
par des voyageurs imprudents ou malfaisants. Diplômé d’Histoire byzantine, Jud,
après quelques essais, embarque ses premiers clients dans la ville de
Constantinople.
La traduction
du titre du roman (édition Marabout et ultérieures) est un contre-sens.
« Les temps parallèles » suggère l’existence d’univers alternatifs.
Or la VO Up the line affirme le contraire. Il s’agit bien d’une unique
ligne temporelle que les guides et patrouilleurs s’engagent à préserver. Robert
Silverberg emprunte la voie difficile des paradoxes à résoudre, dans la veine
des nouvelles de l’anthologie Histoires de voyages dans le temps qui
réunissait les spécialistes du genre. Le plus inattendu de ces nœuds gordiens
n’est pas celui énoncé jadis par René Barjavel mais l’effet d’accumulation
engendré par la contemplation des plus grands évènements historiques, comme la
scène de crucifixion du Christ. Le Golgotha devient progressivement aussi
peuplé que la Place de la Bastille dans ses grandes heures.
Gare au guide qui perd un touriste ou s’avère de leur
fausser compagnie pour se livrer à des commerces frauduleux ou séduire une
beauté levantine ! Gare également au guide qui tente de corriger ses propres errements au risque d'élargir l'éventail des possibles ! C’est pourtant le travers dans lequel tombe le naïf
Jud, bien aidé en cela par un confrère, un certain Metaxas, qui non content de
dresser son arbre généalogique, se fait un devoir de copuler avec ses aïeules.
Les Temps parallèles se lit comme une
histoire d’amour impossible, une plongée brillamment documentée de l’Histoire
de Byzance et Constantinople. Mais c’est aussi un livre érotique, sans tabou, genre
alimentaire auquel se livrait l’auteur des Chroniques de Majipoor sous
différends pseudos. Tout à sa passion avec une très lointaine parente, Jud dans
la continuité d’Œdipe demeure aveugle aux conséquences de sa liaison et en
subit le châtiment.
Plus qu’une illustration involontaire des mœurs des
années 60, Robert Silverberg livrait avec Les Temps parallèles une
vision très personnelle du thème. Le Temps, objet de tous les fantasmes,
terrain d’exploration du Désir. Ce roman très hot, qui offre une représentation
de la gente féminine pas toujours heureuse, tient cependant toujours la route.
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