jeudi 21 février 2019

Le quatuor de Jérusalem - 2


Edward Whittemore - Jérusalem au Poker - Ailleurs & Demain





Le second livre du cycle du quatuor de Jérusalem a pour cadre, on n’ose dire pour intrigue tant Whittemore se joue de la littérature et de ses conventions, une partie de poker qui s’étale sur douze ans. L’enjeu du tournoi ? Rien moins que le contrôle de la Vieille Ville. Des trois participants Joe O’ Sullivan Beare alias Prêtre Jean, dernier rejeton d’une famille de rebelles irlandais, est connu des lecteurs du volume précédent. Un temps déguisé en vétéran de la guerre de Crimée, il gagne désormais sa vie en vendant des articles religieux. Cairo Martyr est un musulman noir descendant d’esclaves. Il doit sa bonne fortune à l’égyptien Ménélik Ziwar archéologue génial et inconnu et compagnon d’errance de feu Plantagenet Strongbow, aristocrate anglais inénarrable qui parcourut l’Orient nu et affublé d’un cadran solaire. Ménélik, connaissant le sous-sol égyptien comme personne, invite le jeune Cairo Martyr à se lancer dans le commerce fructueux de poudre de momie. Munk Szondi, si vous m’avez suivi jusque-là, complète le trio. Ce juif ashkénaze issu d’un clan matriarcal hongrois dont le business s’étend dans tout l’ancien empire ottoman vient enquêter sur le rachat de celui-ci (!) par l’inévitable Plantagenet Strongbow. Pendant ce temps en Albanie, Nubar, le dernier rejeton des Wallenstein rendu fou par l’absorption de vapeurs de mercure dans sa quête de la pierre philosophale, s’informe des péripéties du tournoi grâce à un réseau d’acheteurs d’écrits de Paracelse convertis en espions.



Cette interminable partie nourrie d’aussi interminables palabres et souvenirs entre trois amis représentant les trois monothéismes religieux, ne ressemble à aucune autre, si ce n’est à un plaidoyer pour, je cite Whittemore, « une ville Sainte pour tous ». Un Orient des rêves et des contes comme l’exprime l’extrait suivant : « Le printemps prochain, lorsque Cairo ira rendre visite à Sophia, j'emporterai cette boîte en Egypte. Je choisirai un dimanche plaisant à mes yeux, et je retournerai dans le restaurant crasseux en bord de Nil où s'est déroulée leur conversation de quarante ans, ou dans un autre de cet acabit si celui-ci a disparu. Je commanderai du vin et de l'agneau aux herbes, et je m’empiffrerai, puis je me carrerai dans mon siège et passerai l'après-midi à écouter Ménélik et Strongbow deviser comme ils le faisaient jadis. Je les écouterai raconter une nouvelle fois l'incroyable histoire du Moine blanc du Sahara et de ses neuf cents enfants, celle de la Pierre de Numa qui scandalisa l'Europe et que Strongbow avait introduite dans un temple de Karnak, et je ne manquerai pas de taper du poing sur la table, de commander de nouvelles carafes de vin et de m'ébaudir avec eux en écoutant ces vieux contes, ces contes merveilleux. Comment Ménélik fît entrer l’étude de Strongbow en Egypte dans les entrailles d'un gigantesque scarabée de pierre, com­ment Strongbow gagna l'Hindu Kuch à pied, puis alla jusqu'à Tombouctou, toujours à pied, comment Ménélik s'aménagea une somptueuse retraite au sommet de la pyramide de Chéops, pour découvrir ensuite qu'il était sujet au vertige et choisir de se retirer dans le sarcophage de la mère de Chéops, la loupe de Strongbow à la main. Et comment Strongbow trouva enfin la paix sur une colline du Yémen, dans la modeste tente de la fille d'un berger juif. Des histoires d'empires qu'on achète et qu’on revend, l'histoire d'un inconnu qui fut le plus grand érudit de son époque, un ancien esclave si brillant qu'il parlait une langue morte depuis onze cents ans, l'histoire d'un jeune explorateur qui entama son hadj en s'écriant qu'il avait jadis aimé en Perse. Et tout le reste, tous les vieux contes merveil­leux qu'ils se sont partagés. Sans oublier leur ultime réunion, lorsqu'ils sont venus passer un dernier dimanche après-midi ensemble dans cette gargote au bord du Nil. Tous deux âgés de plus de quatre-vingt-dix ans, sachant tous deux qu'ils allaient bientôt partir, ce qu'ils firent en effet, à quelques mois d’écart, juste avant la Grande Guerre. Tout, vous dis-je. Tout le vin, toute la viande, et tous les contes qui jamais ne s’arrêtaient, car jamais ils n’en étaient rassasiés. »



Plus long que le premier opus, dont il est en partie l’écho, Jérusalem au Poker m’a semblé moins digeste surtout à l’entame de la quatrième partie. Mais si selon Pessoa « la littérature est la preuve que la vie ne suffit pas », le réel lui adresse néanmoins parfois des clins d’œil inattendus. En témoigne l’absurde prologue mettant en scène un couple d’aristocrates vieillissant se livrant à des galipettes au sommet de la pyramide de Chéops, - qui semble t’il a inspiré des émules danois. S’agissait-il de lecteurs de Whittemore ?

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