Hirsh Sawhnet présente - Delhi noir - asphalte city
Annulé cette année, le
salon Livre Paris devait mettre à l’honneur l’Inde. C’était l’opportunité de
rencontrer des auteurs du sous-continent et de poser des jalons de lecture. En ce
qui me concerne le peu d’œuvres parcourues évoquant le pays natal de Kipling
dépasse le nombre encore plus infinitésimal d’ouvrages rédigés par des indiens.
Comme si en quelque sorte Victor Hugo résumait à lui tout seul la littérature française.
Pour rétablir un semblant de balance, cédant à une compulsion d’achat de type pifométrique
exotique, j’ai jeté mon dévolu sur
une anthologie de nouvelles ayant pour cadre la ville de Delhi. Ecrites dans l’esprit
des polars noirs elles complètent une collection conçue par l’éditeur Asphalte dont
les titres mettent en avant une capitale.
Chacun des vingt et un récits se déroule dans un
quartier spécifique de cette cité. Une carte les localise en début de volume.Elle ravira les amateurs de psychogéographie
à la Debord. Plus prosaïquement, les
différents textes révèlent une nation secouée par la violence et les auteurs n’y
vont pas de main morte. On peut stratifier cette noirceur en trois couches (1)
: les collusions sanglantes entre acteurs politiques et économiques, les heurts entre communautés religieuses,
- une spécificité bien indienne -, une panoplie de meurtres dont quelques échos
- comme les viols collectifs - parviennent à la presse occidentale, le tout sur fond de corruption généralisée et d’inégalité sociale.
Dans ce dernier volet, le croustillant « Cobras
sifflants » de Nalinaksha Battacharya raconte la résistance acharnée qu’oppose
une « femme au foyer » prête à tout pour s’octroyer un petit pré
carré de liberté, à un flic pervers et corrompu. Paradoxalement par un effet de
renversement le personnage rebelle de Mukta unie à un mari impuissant et secouant la férule de sa belle-mère pour rejoindre son amant, lève le voile sur un pan de la condition féminine asiatique : le mariage
arrangé et la réclusion matriarcale (2). A côté de ce texte qui n’aurait
pas déplu à James Tiptree, « Dernier entré, premier sorti »
de Irwin Allan Seally met en scène un conducteur de rickshaw, justicier auto
proclamé contre des agressions sexuelles nocturnes subies par de jeunes femmes dans l'espace vert de Delhi Ridge. Ces deux nouvelles ne masquent
pas le fait que dans l’anthologie, les personnages féminins font la navette
entre rôle de mère soumise et prostituée, comme Sakira, la mère maquerelle
de « L’Aunty des chemins de fer » de Mohan Sikka. Mais fera remarquer
l’amateur de polars, le titre n’évoque-t-il pas celui d’un roman célèbre Le
Dalhia noir de James Ellroy ?
Les montagnes de détritus de Bhalswa |
La cerise sur le gâteau s’appelle « Abattage
sélectif » de Manjula Padmanabhan. Dans un Delhi futuriste une
humanité policée et une population déshéritée réfugiée dans des terrils de
déchets monstrueux s’affrontent à coup d’épidémies réciproques. Un récit de
science-fiction honorable, vous savez cette littérature qui parle de notre
présent… Bref, en dehors des considérations de genre, Delhi noir constitue
un anti-guide tout à fait intéressant.
Les nouvelles
•L’homme du passé Omair Ahmad
•Cobras sifflants Nalinaksha Bhattacharya
•La Pension Siddharth Chowdhury
•Comment j’ai perdu mes habits Radhika Jha
•Stationnement Ruchir Joshi
•L’Arnaque Tabish Khair
•Crise de rage Palash K. Mehrotra
•Menu fretin par Meera Nair
•Abattage sélectif Manjula Padmanabhan
•Les murs de Delhi Uday Prakash
•Gautam sous un arbre Hirsh Sawhney
•Dernier entré, premier sorti Irwin Allan Sealy
•L’Aunty des chemins de fer Mohan Sikka
•Juste un mort de plus Hartosh Singh Bal
Les lieux
•Ashram vu par Omair Ahmad
•K. Puram vu par Nalinaksha Bhattacharya,
•l’université de Delhi vue par Siddharth Chowdhury
•Lodhi Gardens vu par Radhika Jha
•Nizamuddin West vu par Ruchir Joshi
•Jantar Mantar vu
par Tabish Khair
•Defence Colony vu par Palash K. Mehrotra
•l’Inter State Bus Terminal vu par Meera Nair
•Bhalswa vu par Manjula
Padmanabhan
•Rohini vu par Uday
Prakash
•Green Park vu par Hirsh
Sawhney
•Delhi Ridge vu par Irwin Allan
Sealy
•Paharganj vu par Mohan Sikka
•Gyan Kunj vu par Hartosh Singh
Bal
(1) L’anthologiste a subdivisé le recueil en trois
parties. Pour faire court, les flics, les jeunes, les murs de la ville. Mon
ressenti est autre.
(2) Sur la place des femmes dans la société traditionnelle indienne on pourra lire l’histoire de « Madame Fatima », une championne d’Echecs sans nom.
2 commentaires:
Le dernier livre - et le seul je crois - que j'ai lu sur l'Inde était une bouse sans nom. Je suis donc un peu refroidie, mais tu donnes envie d'ouvrir ces livres.
L'inde c'est une terra incognita littéraire pour moi.
Le recueil donne une image assez terrifiante des lieux, à la fois moderne et ancrée dans des préjugés ancestraux.
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