mercredi 29 avril 2020

Delhi noir


Hirsh Sawhnet présente - Delhi noir - asphalte city



                                                                                                       



Annulé cette année, le salon Livre Paris devait mettre à l’honneur l’Inde. C’était l’opportunité de rencontrer des auteurs du sous-continent et de poser des jalons de lecture. En ce qui me concerne le peu d’œuvres parcourues évoquant le pays natal de Kipling dépasse le nombre encore plus infinitésimal d’ouvrages rédigés par des indiens. Comme si en quelque sorte Victor Hugo résumait à lui tout seul la littérature française. Pour rétablir un semblant de balance, cédant à une compulsion d’achat de type pifométrique exotique, j’ai jeté mon dévolu sur une anthologie de nouvelles ayant pour cadre la ville de Delhi. Ecrites dans l’esprit des polars noirs elles complètent une collection conçue par l’éditeur Asphalte dont les titres mettent en avant une capitale.


Chacun des vingt et un récits se déroule dans un quartier spécifique de cette cité. Une carte les localise en début de volume.Elle ravira les amateurs de psychogéographie à la Debord. Plus prosaïquement, les différents textes révèlent une nation secouée par la violence et les auteurs n’y vont pas de main morte. On peut stratifier cette noirceur en trois couches (1) : les collusions sanglantes entre acteurs politiques et économiques, les heurts entre communautés religieuses, - une spécificité bien indienne -, une panoplie de meurtres dont quelques échos - comme les viols collectifs - parviennent à la presse occidentale, le tout sur fond de corruption généralisée et d’inégalité sociale.


Dans ce dernier volet, le croustillant « Cobras sifflants » de Nalinaksha Battacharya raconte la résistance acharnée qu’oppose une « femme au foyer » prête à tout pour s’octroyer un petit pré carré de liberté, à un flic pervers et corrompu. Paradoxalement par un effet de renversement le personnage rebelle de Mukta unie à un mari impuissant et secouant la férule de sa belle-mère pour rejoindre son amant, lève le voile sur un pan de la condition féminine asiatique : le mariage arrangé et la réclusion matriarcale (2). A côté de ce texte qui n’aurait pas déplu à James Tiptree, « Dernier entré, premier sorti » de Irwin Allan Seally met en scène un conducteur de rickshaw, justicier auto proclamé contre des agressions sexuelles nocturnes subies par de jeunes femmes dans l'espace vert  de Delhi Ridge. Ces deux nouvelles ne masquent pas le fait que dans l’anthologie, les personnages féminins font la navette entre rôle de mère soumise et prostituée, comme Sakira, la mère maquerelle de « L’Aunty des chemins de fer » de Mohan Sikka. Mais fera remarquer l’amateur de polars, le titre n’évoque-t-il pas celui d’un roman célèbre Le Dalhia noir de James Ellroy ?


Les montagnes de détritus de Bhalswa 
Le second volet consacré aux heurts interreligieux contient le meilleur récit du recueil. « L’homme du passé » de Omair Ahmad fait référence à un souvenir douloureux de l’Histoire de l’Inde, les massacres de milliers de Sikhs en 1984 consécutifs à l’assassinat d’Indira Gandhi perpétré par ses gardes du corps après l’attaque du Temple d’Or. Engagée par un collectionneur d’art Sikh pour retrouver un homme responsable de crimes anciens, une détective tombe dans un piège. On retourne au premier registre avec le très bon « Gautam sous un arbre » de Hirsh Sawhney qui dévoile les noces nauséeuses de la politique et des entreprises et l’instrumentalisation des jeunes gens par des êtres de pouvoir, thème déjà abordé dans « L’Aunty des chemins de fer » déjà cité. L’urbanisation galopante a aspiré une multitude d’indiens hors de leurs campagnes, les plongeant dans un « struggle for life » comme en témoigne « Menu fretin » de Meera Nair.


La cerise sur le gâteau s’appelle « Abattage sélectif » de Manjula Padmanabhan. Dans un Delhi futuriste une humanité policée et une population déshéritée réfugiée dans des terrils de déchets monstrueux s’affrontent à coup d’épidémies réciproques. Un récit de science-fiction honorable, vous savez cette littérature qui parle de notre présent… Bref, en dehors des considérations de genre, Delhi noir constitue un anti-guide tout à fait intéressant.




Les nouvelles






L’homme du passé Omair Ahmad
Cobras sifflants Nalinaksha Bhattacharya
La Pension Siddharth Chowdhury
Comment j’ai perdu mes habits Radhika Jha
Stationnement Ruchir Joshi
L’Arnaque Tabish Khair
Crise de rage Palash K. Mehrotra
Menu fretin par Meera Nair
Abattage sélectif Manjula Padmanabhan
Les murs de Delhi Uday Prakash
Gautam sous un arbre Hirsh Sawhney
Dernier entré, premier sorti Irwin Allan Sealy
L’Aunty des chemins de fer Mohan Sikka
Juste un mort de plus Hartosh Singh Bal





Les lieux



Ashram vu par Omair Ahmad
K. Puram vu par Nalinaksha Bhattacharya,
l’université de Delhi vue par Siddharth Chowdhury
Lodhi Gardens vu par Radhika Jha
Nizamuddin West vu par Ruchir Joshi
Jantar Mantar vu par Tabish Khair
Defence Colony vu par Palash K. Mehrotra
l’Inter State Bus Terminal vu par Meera Nair
Bhalswa vu par Manjula Padmanabhan
Rohini vu par Uday Prakash
Green Park vu par Hirsh Sawhney
Delhi Ridge vu par Irwin Allan Sealy
Paharganj vu par Mohan Sikka
Gyan Kunj vu par Hartosh Singh Bal






(1)   L’anthologiste a subdivisé le recueil en trois parties. Pour faire court, les flics, les jeunes, les murs de la ville. Mon ressenti est autre.

(2)   Sur la place des femmes dans la société traditionnelle indienne on pourra lire l’histoire de « Madame Fatima », une championne d’Echecs sans nom.

2 commentaires:

Ed a dit…

Le dernier livre - et le seul je crois - que j'ai lu sur l'Inde était une bouse sans nom. Je suis donc un peu refroidie, mais tu donnes envie d'ouvrir ces livres.

Soleil vert a dit…

L'inde c'est une terra incognita littéraire pour moi.
Le recueil donne une image assez terrifiante des lieux, à la fois moderne et ancrée dans des préjugés ancestraux.