Victor
Lavalle - La ballade de Black Tom - Le Bélial’
La vie de Charles Thomas Tester n’est pas ce
qu’on pourrait appeler un jardin de roses. Surtout quand on en endosse la peau d’un noir américain vivant
à Harlem en 1924. Peu désireux d’emprunter les pas d’esclaves salariés de ses
parents (sa mère est morte à la tâche), le jeune homme fait sembler de jouer de
la guitare offerte par son père pour gratter quelques sous. Dans la quête de
gains plus substantiels, ses errances le portent parfois ailleurs, dans le
Queens par exemple. Il fait commerce de livres avec une vieille dame
inquiétante au nom de divinité égyptienne, ou anime les soirées d’un certain
Robert Suydam, un riche excentrique versé dans les sciences occultes. Mais le
plus grand danger de ces quartiers aisés restent les Blancs et les flics qu’il
convient d’éviter afin de ne pas subir coups ou vexations.
La ballade de Black Tom est la première œuvre traduite de Victor
Lavalle, écrivain new-yorkais né en 1972, auteur de quatre romans et d’un
recueil de nouvelles. Le romancier s’attaque ici à une nouvelle de HP Lovecraft « The Horror Red
Hook » dont il propose une relecture. Il ne s’agit pas de n’importe quel
challenge. Le texte du reclus de Providence est un condensé de phobie raciste
et de peur de la modernité.
Peur, voilà le maître
mot. Lavalle opère un premier renversement en lui substituant un autre vocable,
la haine. Celle qu’éprouve le jeune Tester, un de ces noirs issus de la
« Tour de Babel » aux « dialectes blasphématoires » -
pour reprendre les expressions de Lovecraft - à l’égard de l’establishment
blanc. On retrouve entre autres, les personnages de Ma Att, de Suydam, du
policier Malone. Dans le récit originel, le grand auteur fantastique avait
représenté l’inspecteur sous les traits d’un homme intelligent et sensible.
Victor Lavalle en fait sobrement un flic blanc un plus malin que les autres. Le
récit est composé de deux parties, la première portée par le héros, la seconde
par Malone, car Tester, élève de Suydam, devient Black Tom, personnage hors
champ aspiré dans une réalité supérieure. Autre renversement, la novella de
Lavalle s’achève à Chepachet là où démarre la fiction de Lovecraft.
Quel but poursuit Black Tom ex Charles Thomas Tester ? La dernière parole proférée à Malone le
révèle : « Je préfère cent fois Cthulhu aux monstres que vous êtes ».
Comme l’a remarqué Jean-Daniel Brèque, échanger un tyran contre un autre
c’était déjà le propos de James Tiptree dans « The women men don’t
see ».
L’auteur a particulièrement
réussi les scènes de terreur dans la maison de Robert Suydam et les sous sols des
trois immeubles de Red Hook. Dans ce qui constitue un des
meilleurs « Une Heure-Lumière » publié à ce jour, Victor
Lavalle rend un hommage appuyé et critique à son illustre aîné. Innombrables en
effet sont les mondes. Un univers suffit à peine à faire émerger la vie, mais
toute vie s’éclaire de mille univers.
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