dimanche 10 juin 2018

La ballade de Black Tom


Victor Lavalle - La ballade de Black Tom - Le Bélial’








La vie de Charles Thomas Tester n’est pas ce qu’on pourrait appeler un jardin de roses. Surtout quand on en endosse la peau d’un noir américain vivant à Harlem en 1924. Peu désireux d’emprunter les pas d’esclaves salariés de ses parents (sa mère est morte à la tâche), le jeune homme fait sembler de jouer de la guitare offerte par son père pour gratter quelques sous. Dans la quête de gains plus substantiels, ses errances le portent parfois ailleurs, dans le Queens par exemple. Il fait commerce de livres avec une vieille dame inquiétante au nom de divinité égyptienne, ou anime les soirées d’un certain Robert Suydam, un riche excentrique versé dans les sciences occultes. Mais le plus grand danger de ces quartiers aisés restent les Blancs et les flics qu’il convient d’éviter afin de ne pas subir coups ou vexations.


La ballade de Black Tom est la première œuvre traduite de Victor Lavalle, écrivain new-yorkais né en 1972, auteur de quatre romans et d’un recueil de nouvelles. Le romancier s’attaque ici à une  nouvelle de HP Lovecraft « The Horror Red Hook » dont il propose une relecture. Il ne s’agit pas de n’importe quel challenge. Le texte du reclus de Providence est un condensé de phobie raciste et de peur de la modernité.


Peur, voilà le maître mot. Lavalle opère un premier renversement en lui substituant un autre vocable, la haine. Celle qu’éprouve le jeune Tester, un de ces noirs issus de la « Tour de Babel » aux « dialectes blasphématoires » - pour reprendre les expressions de Lovecraft - à l’égard de l’establishment blanc. On retrouve entre autres, les personnages de Ma Att, de Suydam, du policier Malone. Dans le récit originel, le grand auteur fantastique avait représenté l’inspecteur sous les traits d’un homme intelligent et sensible. Victor Lavalle en fait sobrement un flic blanc un plus malin que les autres. Le récit est composé de deux parties, la première portée par le héros, la seconde par Malone, car Tester, élève de Suydam, devient Black Tom, personnage hors champ aspiré dans une réalité supérieure. Autre renversement, la novella de Lavalle s’achève à Chepachet là où démarre la fiction de Lovecraft.


Quel but poursuit Black Tom ex Charles Thomas Tester ? La dernière parole proférée à Malone le révèle : « Je préfère cent fois Cthulhu aux monstres que vous êtes ». Comme l’a remarqué Jean-Daniel Brèque, échanger un tyran contre un autre c’était déjà le propos de James Tiptree dans « The women men don’t see ».
                                                                                              

L’auteur a particulièrement réussi les scènes de terreur dans la  maison de Robert Suydam et les sous sols des trois immeubles de Red Hook. Dans ce qui constitue un des meilleurs « Une Heure-Lumière »  publié à ce jour, Victor Lavalle rend un hommage appuyé et critique à son illustre aîné. Innombrables en effet sont les mondes. Un univers suffit à peine à faire émerger la vie, mais toute vie s’éclaire de mille univers.

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