mercredi 25 janvier 2023

Jean Ray, entre réalité et légende (9)

 

Jean Ray - La cité de l’indicible peur - Alma

 

 

 

A la faveur d’un héritage tombé du ciel, Sigma Triggs, bon à rien sympathique, commis jusqu’alors aux écritures dans un poste de police du sud Londonien, part en retraite dans sa ville natale d’Ingersham. Une rente confortable et une jolie maison l’y attendent. Celle-ci offre une vue imprenable sur la grand-place, les commerces qui la bordent, l’hôtel de ville, tous lieux propices à une mise en scène théâtrale d’envahissements de revenants dont l’écrivain gantois s’est fait le spécialiste.

 

Publié en 1943, la même année que Malpertuis, le second roman de Jean Ray, La cité de l’indicible peur opère un renversement thématique, passant d’un fantastique mythologique à une histoire d’épouvante policière, du huis clos d’une demeure à celui d’une petite ville. A la faveur d'un succès personnel, l'arrestation d'un habitant un peu trop imbibé de la légende de La bête du Gévaudan, ou de la lecture du Chien des Baskerville, notre apprenti détective voit s'ouvrir les portes de la bonne société, avant qu'un nouveau mystère mette à mal ses maigres compétences de limier. Le final qui dégonfle le soufflet mélodramatique élaboré minutieusement par l'auteur a été diversement apprécié. Il présente cependant quelques analogies avec le petit chef d’œuvre cinématographique de Christian Jacques, Les disparus de Saint-Agil. Outre le dévoilement d’un pot au rose commun, les deux fictions brodent sur l’interprétation surnaturelle de faits délictueux. Faux héros, célébré comme un superintendant de Scotland Yard, Sigma Triggs prend eau dans la panique générale, avant que son ex-supérieur survenu sur le théâtre des opérations ne jette une lumière holmésienne sur les décès.

  

Maigret hume les rancunes. Pas Jean Ray. Parfois porteurs de secrets, ses personnages sont pittoresques mais sans profondeur, intégrés à un décorum flamboyant. Lovecraft emporte le lecteur dans un autre monde, le créateur de Malpertuis ouvre le soupirail de l’au-delà dans des maisons bourgeoises, à la fin d’un repas délicieux. La délectation est l’antichambre des ténèbres.

 


Moins abouti que Malpertuis, La cité de l’indicible peur démonte le théâtre de l’horreur. La prose gouteuse comme d’habitude emporte le morceau.

 

 

 

Morceaux choisis.

 

Les commerces :
« La mercerie des dames Pumkins, où l'on vend, outre de roides étoffes et de durs lacets, des bonbons à la menthe et à l’anis ainsi que des papillotes de chocolat ; même, aux dires des mauvaises langues, on y servirait de petites liqueurs douces aux clientes. 
La boucherie Freemantle, connue pour ses pâtés de veau et de jambon, ses gigots piqués de lard et ses sau­cisses à la mode des Midlands, à la chair rose parfumée de gros poivre, de thym et de marjolaine.
La boulangerie-pâtisserie du jovial Revinus, maître incontesté en puddings, cakes, muffins, scones, darioles grasses, gaufres à la cannelle, massepains d'Italie aux pistaches. »

 

 

La boutique de l’apothicaire : 
« Il revit les deux hauts comptoirs parallèles, de chêne lustré, surchargés de flacons, de bocaux, de pots de faïence brillante ; il refit connaissance avec le monde compliqué des densimètres à longues tiges de verre, des mortiers en cuivre et en gros grès d'Irlande, des cornues et des matras à cols de cigogne, des serpentins à distiller. La pancarte était toujours en place, annonçant à la clientèle qu'on avait, toutes prêtes, des décoctions d'orge, de chiendent et de réglisse, de la limonade cuite et gazeuse, de l’eau panée, fondante, chalybée, hémosta­tique, de magnanimité, de gruau et de goudron, ainsi que des sirops diacodes et de capillaire, des emplâtres agglutinatifs, du laudanum de Sydenham. 
Dans les bocaux à casque, Triggs reconnut les grisailles carminatives, laxatives, purifiantes et cautérisantes de menthe frisée, du serpolet, du carfi, de la dentelaire. Des bottes de simples avaient gardé leur place aux solives, laissant fuser de menus nuages de poussière à chaque souffle d'air. 
M Triggs aspira cet air et le retrouva familier, chargé de senteurs aigres, acres et douces de mélisse, d'iode, et de valériane ; d'une tourie dépouillée de sa vannerie aux trois quarts remplie d'eau de matthiole, s’échappait une capiteuse odeur de violiers, qui parut être au détective, le parfum même de sa jeunesse. »

 

Un lunch :

« Que faudra-t-il leur servir ? demanda Molly, maussade. Vous servirez des biscuits de Savoie à raison de trois par personne, une livre de couque de Hollande au miel et aux épices, coupée en tranches minces, un pot de jam aux abricots et une coupe de marmelade d'oranges au sucre candi. Vous poserez sur la table le carafon de brandy aux cerises et la bouteille d'élixir à la menthe. Plus tard, ces dames souperont ainsi que le digne M. Doove, qui sera des nôtres.
- Il y a un gigot froid, une salade de hareng et de lai­tances à la moutarde, du fromage d'Ecosse et du pain mol­let, récita Molly »

89 commentaires:

Christiane a dit…

Chic, ça bouge ! La couverture du livre est réussie. Ah ces corbeaux ! Et cette plongée vertigineuse sur tours et immeubles d'Ingersham. Des noirs et blancs superbes et les lettres jaunes de l'éditeur et du nom de l'écrivain.
De qui cette couverture ?
Les extraits goûteux loin de l'épouvante. Une note sur Malpertuis que je vais m'empresser de lire
Cela me rappelle, le soir, Le chien des Baskerville sur le vieux poste de TSF dont l'oeil lumineux perçait l'ombre de la chambre. Délices de ce qui faisait peur alors qu'on ne craignait rien, blottis dans nos lits.
Aucun joueur de flûte signalé. C'est bon pour moi.

Christiane a dit…

Superbe note pour Malpertuis. Je vois qu'en 1977, c'est le même illustrateur.
Bref, j'ai envie de lire les deux !

Christiane a dit…

Voilà mes délices d'adolescente :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Ma%C3%AEtres_du_myst%C3%A8re

Christiane a dit…

Ça vaut le coup d'œil !
Vous l'avez vu le film de Mocky adapté du roman avec Bourvil et F.Blanche ?
Il y a une photo de sa ville de Gand dans le déroulé de wiki qui évoque assez la couverture du livre. Le dessinateur serait bien belge aussi....

https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Ray_(%C3%A9crivain)

Christiane a dit…

Ingersham semble plus flamande qu'anglaise, non ?

Christiane a dit…

Les habitants de cette ville semblent - d'après vos extraits , plus intéressés par la nourriture et les banquets que par les meurtres, non ?

Christiane a dit…

Ce lien ( Place des libraires) permet de mieux comprendre la situation des éditions belges pendant la guerre et celle en particulier de Jean Ray.
De plus le début du roman est offert gratuitement.
Voilà de quoi occuper mon attente jusqu'au demain où les deux romans de Jean Ray me seront disponibles.


https://www.placedeslibraires.fr/livre/9782362791796-la-cite-de-l-indicible-peur-jean-ray/

Christiane a dit…


La description de la ville d'Ingersham a de quoi inspirer un dessinateur !

"Ingersham déconcerte le visiteur non averti en ressemblant davantage à un village des Flandres qu’à une villette du Middlesex ou du Surrey ; il semble avoir été conçu bien plus par les dessinateurs des images d’Épinal que par des constructeurs de cités.
(...) quelques vieilles maisons à perrons et à pignons en casque à mèche, une mignonne église au clocher affûté comme un crayon d’écolier,
(...)et un hôtel de ville splendide datant du début du XIVe siècle.
Cet édifice d’un art sombre et grandiose, énorme et massif, écrase de sa hautaine majesté les frêles maisons tassées dans son ombre"...

Christiane a dit…

Le portrait de Sigme Triggs est également irrésistible. Quelle plume !

"À cinquante ans passés, on le trouvait toujours à sa même place dans Swan Lane, gras à lard, rose et souriant ; son nez en boule de gomme chaussé de fines lunettes d’or et une jaquette d’étrange confection, à bourrelets aux hanches, le faisaient ressembler à un Pickwick en vertugadin, grossièrement agrandi au pantographe.'

Anonyme a dit…

Vous êtes sévère pour un auteur qui a beaucoup pratiqué le conte fantastique alimentaire et dont on est tenté de sauver ces deux romans. Pour les couvertures, le Malpertuis en poche n’était pas mal non plus, et celle de l’Indicible en Néo Cette intégrale de Ray joue sur les mêmes couleurs bois pour tous les titres, et ce parti-pris est un peu lassant. De plus, fallait-il vraiment y éditer le plus que mediocre St Judas? Là pour le coup, les personnages s’affaissent sous leur insignifiance. Il y a quelque chose dans ce Gothique de Ray qui me semble venir de Michel de Ghelderode, cet autre dramaturge gothique à tort oublié, et qui jouissait alors d’une grande faveur tant en France qu’en Belgique, ceci a une époque où les décors étaient très figuratifs, le cinéma n’ayant pas encore détrôné le théâtre, où celui-ci conservant une grande puissance de réactivité…Et dans Ghelderode, il y a aussi des fêtes foraines et leur envers, des villes à double vie ( la figure du bordel illustre l’une d’elles), un cortège de grotesque et de royal parfois ensorien., une œuvre fantastique, aussi, illustrée par le magnifique recueil Sortilèges, et tout autrement par «La Flandre est un songe » Bien à vous. MC

Christiane a dit…

Un écho imprévu de l'actualité ? "Entre réalité et légendes"... ce roman de Jean Ray...

"Sur ce, Sigma Triggs atteignit l’âge de cinquante-cinq ans et les trente années de bons et loyaux services qui lui donnaient droit à la retraite.
Il hésita à la prendre ; il manquait encore quelques centaines de livres au capital qu’il avait toujours désiré atteindre avant d’aller planter ses choux."

Christiane a dit…

Et là, je suis ravie...


"La nuit, il fut tiré de son sommeil par trois coups sourds frappés à la tête de son lit et, dans un rai de lune filtrant par les rideaux mal joints, il vit un...."

Hâte de prendre en mains ce livre de Jean Ray.

Christiane a dit…

Beau commentaire, M.C. j'ai hâte de lire ce livre

Christiane a dit…

Nicolas Tellop raconte ici dans une très longue lettre son attachement aux oeuvres de Jean Ray. Et donne même le nom de l'illustrateur ainsi que deux liens : France Culture et un entretien avec Pierre Dumayet.
Ce lecteur un peu mélancolique est très attachant.


https://diacritik.com/2016/05/20/redecouvrir-jean-ray-les-contes-du-whisky-la-cite-de-lindicible-peur/

Christiane a dit…

Eh oui, il est belge et talentueux. Sur le net on peut voir beaucoup de ses créations dont cette couverture.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Philippe_Foerster

Christiane a dit…

Quelques planches de ce dessinateur sacrément doué.

https://www.2dgalleries.com/artist/philippe-foerster-3571

Christiane a dit…

Le lien Ina dans la lettre de Nicolas Tellop (ci-dessus) est à ouvrir. Une merveille. Dumayet face à Jean Ray à propos de ses "Oeuvres complètes"
Quel talentque celui de Dumayet ! Et quelles réponses incroyables de ce contrebandier qui pendant ses traversées pour fourguer son bon whisky faisait des mathématiques. Il explique qu'elles sont à la base de ses personnages, de ses histoires fantastiques.
De plus il a un visage tellement émouvant et souriant et un accent propice à rouler ses mots cailloux. A ne pas rater. C'est superbe. Le lien est tout en bas de la lettre.
Lectures pour tous - 06.11.1963 - 13:02 - vidéo

Christiane a dit…

Jean Ray face à Dumayet me fait penser à Buster Keaton. Même gravité de borderline.

Christiane a dit…

Chic. Jait réussi à copier le lien. Cet entretien est extraordinaire.
Il me fait penser à Paul Edel.

https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i11243623/jean-ray-a-propos-de-ses-oeuvres-completes

Anonyme a dit…

Il a existé en effet un Jean Ray «  complet ( ?)  » publié de son vivant. Remercions-le de son gout pour un autre grand fantastiqueur: Maurice Renard. « Le Péril Bleu »reste un très grand livre et un cas quasi oulipien avec ses deux parties titrées Ou? Comment? Qui? Pourquoi? Et. Ou, Comment, Qui, Piurquoi….

Christiane a dit…

Je viens de regarder un très beau film sur la 14 : "Notre petite sœur" de Hirokazu Kore-Eda.
Aussi grave et léger qu'une fleur de cerisier.

Christiane a dit…

Je crois que je ressentirai beaucoup de joie à lire ces deux ouvrages chroniqués par Soleil vert.
J'aurais bien aimé écouter Jean Ray encore plus longtemps.
"Lecture pour tous" offrait un tel silence pour cueillir la parole des écrivains. Ici, Pierre Dumayet vraiment à l'écoute et souriant tant son invité a du charme.

Vous connaissez bien des livres, M.C...
J'imagine que vous passez beaucoup de temps un livre à la main.
Écrivez-vous ?

Christiane a dit…

Je les ai. Ils sont superbes.
"La cité de l'indicible peur" par Alma avec la superbe couverture de Philippe Foerster qui se continue délicieusement sur les rabats..
Arnaud Huftier a fait aboutir un beau livre et a signé une postface que je n'ai pas encore lue.
"Malpertuis" est lui édité par Espace Nord avec une couverture superbe de Romain Renard et une postface de Jacques Carion et Joseph Duhamel
Je vais donc profiter de ce temps pluvieux et froid pour me glisser dans des heures de lecture horrifiantes et rieuses.

Christiane a dit…

"Ils sont là !
Que s'est-il passé ? On ne le sait... La Grande Peur est venue."

Superbe amorce du mystère.

Christiane a dit…

Il y a quelque chose qui ne colle pas. Jean Ray dans ce roman aligne des faits-divers possibles qui se devraient horrifiants mais avec désinvolture. Il en profite pour écrire avec recherche, précision, talent. Il donne dans ce genre que le public attend : du surnaturel, des fantômes, du mystère mais son attention se délecte dans les descriptions du réel : paysages, personnages, boutiques, repas.
Son personnage principal, Sigma Triggs est enquêteur par hasard, trouvé des assassins par hasard, profite d'une notoriété sans aucun rapport avec ses capacités réelles.
Ses fantômes vengeurs, on n'y croit pas réellement et c'est bien ainsi.
Pendant ce temps, il s'adonne à l'écriture et elle est goûteuse.
La survie financière pour cette période difficile de sa vie l'oriente vers ce qu'il sait faire de mieux : feuilletonner et dans le goût du jour. Les lecteurs sont en attente de ces histoires de maisons hantées, de fantômes, de crimes bien sanglants. Lui , c'est un esthete tel qu'il apparait face à ce rusé et fin limier, Pierre Dumayet.
J'aime le dernier chapitre très philosophique , la postface et la couverture.
C'est un écrivain très sympathique et qui écrit bien, un sacré manipulateur un peu marionnettiste.
Je ne regrette pas ce voyage.

Christiane a dit…

Un de ces passages où les personnages sont bien croqués. Une scène de polar, tranquille :
(On vient de découvrir un mort...)
"- J'opte pour la mort naturelle, déclara le vieux Cooper, mais ne pourrai me prononcer formellement qu'après l'autopsie.
- Mort naturelle... Eh oui ! sans doute, marmotte M.Triggs qui se vit déjà soulagé de futures responsabilités.
- Il a un drôle d'air, opina le sergent Lammle ; puis il se remit à sucer son crayon.
- Il avait le cœur faible, affirma l'apothicaire Mycroft. Je lui ai vendu quelquefois des toniques.
- Je me demande ce qu'il peut bien regarder comme cela, dit le sergent Lammle. Je veux dire : ce qu'il a regardé comme cela avant de mourir (...)
Le crayon du sergent passa de sa bouche dans ses cheveux."

Christiane a dit…

Une autre scène de crime bien tranquille :
"Les yeux de la jeune fille s'embuèrent derrière ses lunettes.
- Le pauvre, comme vous le dites, Monsieur Triggs, répondit-elle tristement. Nous laimions bien ; il nous faisait toujours des prix de faveur.
- Il est mort d'une bien étrange manière, dit le détective.
Miss Livina frissonna.
-oh oui ! je me demande...
On raconte qu'il est mort de peur. Je me demande ce qui a pu être l'objet de cette terreur. C'était un homme tranquille et calme à qui l'on ne pouvait pas refuser un certain sens pratique, malgré son amour immoderey des vieilles choses ; il est vrai que j'ai partagé cette passion du beau antique avec lui. Mais..."

( Pour un peu ils seraient prêts à déguster le five o'clock !)

Christiane a dit…

Bon, vous voulez avoir peur ? Une montée d'adrénaline...
"Mais... minuit quarante-cinq, colonel... Voici le quart d'heure qui sonne !
- Malédiction ! rauqua-t-il... La voilà !
D'un doigt qui tremblait comme un rameau dans l'ouragan, il indiquait un coin feutré d'ombre en répétant :
- La voilà !... La voilà !...
Je ne vis rien, mais un étrange malaise oppressant ma poitrine.
- L'ombre... L'ombre de minuit quarante-cinq... La voyez-vous ?
Je tournai les yeux vers l'endroit qu'il désignait, mais n'y vis rien d'insolite. Je lui en fis la remarque.
Il baissa doucement la tête.
- Sans doute, murmura-t-il, vous ne pouvez la voir. Elle est tellement légère, tellement subtile, l'ombre de minuit quarante-cinq. Mais vous pouvez l'entendre.
- Une ombre qui fait du bruit ?
- Un spectre qui frappe... qui frappe affreusement.
J'écoutai et alors je commençai à ressentir les premières atteintes de cette peur irraisonnée, abjecte, abominable, qui vous enlève tout moyen de défense.
Je ne voyais rien, en effet, mais j'entendais.
C'était une suite de coups lointains, espacés, très sourds, horribles, un pilonnement étouffé, opérant sur un rythme infernal."

Christiane a dit…

Un peu d'humour après cette grande peur ?

" - Ils courent ! Mon Dieu, même cette énorme dondon de Bubsey ! begaya Triggs. De quelle folie subite ces gens viennent-ils d'être frappés ?
Il vit une petite vieille, en chapeau Greenaway, fuir en clopinant sous la pluie et prendre la même direction.
- Miss Tistle, de l'Armée du Salut, expliqua le domestique ; elle, au moins, ce n'est pas la peur qui la fait sortir de chez elle. La chère âme, elle va supplier les gens qui vont se réunir au cabaret de ne pas boire des boissons fortes, mais de se contenter de thé et de limonade.
- "Ils" viendront peut-être ce soir... murmura Mrs. Snipgrass.
- "Ils", hurla Triggs. Ah ça, voulez-vous me dire ce que l'on veut dire par "Ils" ?
- On ne sait rien, dit le domestique, tout bas. Nous, on ne les a jamais vus, mais nos parents ont parlé d'eux et nos grands-parents, et ils en ont eu peur, affreusement peur, Sir.
- Ce n'est pas parce qu'on ne peut les voir qu'ils n'existent pas, sanglota sa femme.
- Des fantômes ? demanda Triggs en frissonnant."

Christiane a dit…

Une dernière intervention.(après je rends l'antenne à Soleil vert et à ses lecteurs.)
C'est un extrait de l'excellente postface de Arnaud Huftier.
"Si l'on se trompe, en effet, dans "La cité de l'indicible peur", c'est uniquement au niveau des apparences : on prend les personnes et les histoires pour ce qu'elles ne sont pas, et on ne cherche pas à en connaître l'essence ou à comprendre le sens. La seule chose qui possède désormais une quelconque importance, c'est le jeu sur le paraître."

Anonyme a dit…

Voir aussi « Le Psautier de Mayence », du même. Je n’avais pas remarqué l’accent sur la Grande Peur qui, du coup, évoque ici Renard et les Terrreurs du Bugey,..

Anonyme a dit…

La Ville d’ Ys se rappelle à moi dans la Relation du Père Ceriziers sur les campagnes de Louis XIV : «  depuis que nous avons perdu notre par-ys »dans un état tardif et francophile du mythe, Paris est en effet pareille à Ys l’engloutie, Il faut que je vérifie si Ceriziers n’est pas Nantais ou Qq chose comme ça .,,,

Christiane a dit…

"Le péril bleu" de Maurice Renard. Je découvre... Jean Ray dans l'épilogue que certains trouvent bâclé, donne à cette "grande peur" une explication raisonnable -mis à part un certain fantôme qui pour lui existe bien mais n'est pas malveillant et n'est responsable d'aucune des turpitudes qui se sont abattues sur cette petite ville anglaise.
Dans l'entretien avec Pierre Dumayet, il évoque un fantôme qui apparaît parfois dans sa vie, toujours le même et pas malveillant...
A-t-il lu Maurice Renard ? A-t-il vraiment voulu faire un roman horrifique ? Il me semble plutôt parodique et c'est cela qui est passionnant. C'est en ce roman, un écrivain, sûr de son métier même si les histoires regroupées dans ce roman partent un peu dans tous les sens. Mais il a voulu que ce soit toute une ville qui s'affole sous le joug d'une autosuggestion collective.
Pour moi, il n'y a pas d'entités démoniaques dans cette "grande peur" de Jean Ray.
J'affinerai mes impressions dans "Malpertuis", roman pour lequel Soleil vert a laissé une belle chronique ( voir le lien bleu) et qui a été écrit, je crois, à la même époque..

https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_P%C3%A9ril_bleu

Anonyme a dit…

Mais il n’y en a pas non plus , de Grande Peur, dans Maurice Renard, ou plutôt c’est le public qui crée l’entité. Laquelle est en réalité fort différente de ce à quoi on s’attend!

Christiane a dit…

trouvé - avec

Soleil vert a dit…

Pas de problème Christiane

Christiane a dit…

Merci.

Christiane a dit…

C'est étrange. Je viens de lire un de ces textes dont Paul Edel a le secret.
Le désir et le temps. Le désir d'un homme jeune tiraillé entre deux jeunes femmes.
Le désir qui n'est plus qu'un souvenir. Comme le bol qui porte le nom de l'une des deux.
Mais j'ai un problème.
Je crois comprendre que la femme du personnage c'est Aline, celle qui regardait la baie près de lui, celle qui retrouve un fond de glace au chocolat alors que des années plus tard il est rêveur et fermé.
Sa femme qui sent le savon de Marseille, dont les cheveux ont pris une teinte grise, évoque Gisèle, l'amie goûteuse qui passait à demi nue devant eux en riant avant de se baigner. Cette amie c'est Gisèle.
Mais alors pourquoi, à deux reprises dans le dialogue, elle dit à son mari : - Tu l'aimais bien Aline ?
N'aurait-elle pas dû dire : - Tu l'aimais bien Gisèle ?
Est-ce un lapsus ? Ou est-ce moi qui me perd entre les deux, la désirée en secret, l'amoureuse épousée ?
N'empêche que c'est du grand Edel celui qui sait écrire la naissance du désir.

Anonyme a dit…

Effectivement, texte curieux et beau, l’un n’empêche pas l’autre…

Christiane a dit…

Ce serait alors la voix de l'homme se souvenant qu'il aimait "Aline"... Autrefois... d'où l'emploi de ... l'imparfait ( bien nommé).
Il y aurait donc deux voix, celle d'Aline, sa femme, l'interrogeait sur Gisèle. Celle de l'homme en voix off regardant sa femme un peu moche maintenant et se souvenant qu'il l'aimait bien... Aline...
C'est vrai que grâce à ces voix se superposant, enfermant chacun dans son souvenir, le temps ne passe pas. Ils sont là tous les trois, pas tout y fait présents, tous à l'imparfait....
Joli commentaire de Rose qui a compris encore autre chose.
Et vous, réactif comme toujours, avez le temps de donner deux interprétations. C'est extra !

Christiane a dit…

Malpertuis.
La mort de l'oncle Cassave criant après ceux qui osent entrer, apeurés, dans sa chambre, c'est un beau début de roman. Sa rapacité, son goût de l'or, sa méfiance, ses jurons dont croqués de main de maître comme ses doigts griffus qui raclent les draps.
Le vieillard est d'excellente humeur.
Jacques, le narrateur, est le seul qui dit je . Il observe, écoute.

Jacques traverse les noirs souterrains pas éclairés jusqu'à la cuisine où il se réjouit de reconnaître la chanson du beurre et le claquement des gaufriers.
La vieille bonne Élodie lui a réservé quelques gaufres bien sucrées.
Le docteur Sambucque tout en savourant ces délices tient en main fermement la constation de décès et le permis d'inhumer AD hoc, prêts et dûment signés.
Nancy, la froufroutante apparaît, préfère les crêpes qu'elle dévore goulûment et se demande quand l'oncle va mourir.

Réponse : " Fleur de mes songes, répond le vieux médecin, vous adressez-vous à Esculape où à Térésias ? Au guérisseur ou au guetteur d'étoiles ?"

Et voilà, j'avais bien lu en exergue une citation de Hawthorne :
"Vous aurez beau batir des églises, jalonner les chemins des chapelles et de la croix, vous n'empêcherez pas les dieux de l'ancienne Thessalie de réapparaître à travers les chants des poètes et les livres des savants."

Tout cela me plaît. Quel beau samedi commence !

Christiane a dit…

sont -constatation -

MC a dit…

Banville, dans les Exiles, imagine le Départ et le retour des Dieux. Mais l'entre-deux?

Christiane a dit…

"(...)Eux, les grands exilés, les Dieux. Ô misérables !
Les chênes accablés par l’âge, et les érables
Les plaignent. Les voici.(...)
Et tous les autres Dieux foulant la terre esclave
S’avancent. Tous ces rois marchent, marchent sans bruit.
Ils marchent vers l’exil, vers l’oubli, vers la nuit,
Résignés, effrayants, plus pâles que des marbres,
Parfois heurtant leurs fronts dans les branches des arbres,
Et, tandis qu’ils s’en vont, troupeau silencieux,
La fatigue d’errer sans repos sous les cieux
Arrache des sanglots à leurs bouches divines,
Et des soupirs affreux sortent de leurs poitrines."

Oui, je me souviens. Ce jour-là, le ciel devint vide. Il restait la nuit, le silence...
Où etaient-ils allés ? Qu'étaient-ils devenus ?

Je pense aux gravures de Gustave Doré pour "La Divine Comédie" de Dante. "L'Enfer" et ses cercles de douleur.
"La grande réserve du mal dans l'univers"...
Un poème de la cruauté, de l'horreur. Le gigantesque entonnoir de l'enfer... Oui, de ce poème aussi je me souviens.

Ici la maison horrifiante de Malpertuis.

Et Lucifer enfoncé dans la glace et ses ailes qui battent un vent glacé. Voyage initiatique pour les exilés. Traverser comme entrer en soi.

Seul Virgile pourra apaiser Dante.

Votre question ouvre tous les possibles.
Voilà les dieux prisonniers de cette maison infernale... Ayant perdu le chemin de l'Olympe. Dieux et hommes oublieux... Sauf ceux dans cette maison qui nourrissent, virevoltent, consolent.
Un livre tout à fait fascinant qui remorque tant de livres lus, tant d'exils , tant d'enfer dont celui d'Auschwitz... Des guerres...
J'aime beaucoup votre question.
L'oubli des dieux... L'exil des dieux...


Christiane a dit…

Mais l'exil est souvent source d'uchronie dans la science-fiction. Et plus avant
Beaucoup plus avant
Justement au temps de la Grèce Antique, les dieux ont tout pouvoir sur le temps.
Ainsi dans l'Odyssée où Ulysse est maintenu hors de sa terre par les dieux, il y a cette halte près de Calypso. Le temps du retour déformé par la magicienne le fait vivre dans un autre espace-temps. Le temps ne s’écoulera de la même façon pour Pénélope restée à Ithaque. Ulysse demeure dans le souvenir du temps passé. Mais il se sent différent en revenant à Ithaque.

Christiane a dit…

L'abbé raconte ses voyages dans les îles grecques, à la recherche d’« on ne sait quoi de puissant et de fantastique » (les dieux ?), et révèle que Cassave voulait donc capturer les dieux réfugiés sur une des îles grecques.
Les mettre tous ensemble dans la maison de Malpertuis. Aie aïe aie !
Métamorphoses et temps instable, haines, jalousies et amours contrariés vont mettre une drôle d'ambiance entre ces murs !!!



Christiane a dit…

Mais ces hôtes étranges semblent hésiter entre être humains ou dieux. Parfois, ils ont oublié, ne savent plus qui ils sont. Il est fort Jean Ray. Très doué pour installer le surnaturel , le fantastique. Que veut-il nous dire par ce roman ?

La convergence des parallèles a dit…

La chronique est excellente (elle donne envie; cela ne saurait tarder). Le fil des commentaires itou. Cà fait longtemps que je n'ai pas touché un Jean Ray (que j'adorais). Très longtemps. J'ai abandonné l'auteur à la relecture d'un Harry Dickson qui ne m'a pas re-procuré les sensations initiales (il m'a semblé perdu sur le fil du temps qui efface).

Une excellente adaptation radiophonique (2 épisodes) des "contes du whisky" sur France Culture, rayon "Fictions" doit être encore disponible.

Ray appartient à la lignée Fantastique belge (romans et surtout nouvelles) d'une certaine époque (que l'on retrouve abondamment en Marabout F noir qui ne supporte que très mal le temps (dans son sens propre) qui les assaille). Leur point commun: les épilogues déconcertants en queues de poisson inattendues

Soleil vert a dit…

Merci.
J'ai aussi le volume "Les 25 meilleures Histoires noires et fantastiques" chez Marabout, avec l'inénarrable préface d'Henri Vernes, qui retranscrit la bio fantasque que s'était inventée l'auteur. Une synthese ici

https://www.valeursactuelles.com/culture/jean-ray-le-maitre-des-effrayants-vertiges

"À 15 ans, il s’est embarqué sur un cargo sur lequel il a navigué en mer de Chine, se livrant notamment au commerce de la nacre. Il a ensuite participé au rum row, “l’avenue du rhum”, cette grande foire à l’alcool qui s’est tenue durant la Prohibition sur des navires à la limite des eaux territoriales américaines et qui a donné lieu à quelques fusillades de légende rapportées notamment par Pierre Mac Orlan dans les Pirates de l’avenue du rhum (1924). On le surnommait “Tiger Jack” pour sa façon de se bagarrer en rugissant. Dans son dos, trois cicatrices de balles témoignaient de cette vie d’aventurier dont les seuls moments de repos étaient ceux passés au bordel à dompter les créatures. En 1925 enfin, cabossé, il rompt avec cette vie, achète une machine Underwood et entame une carrière d’écrivain."

Ne me manquent que les contes noirs du golf, inferieurs au reste.

Anonyme a dit…

Henri Vernes aussi était un grand fabulateur, et parfois un bon fantastiqueur. Et ne pas oublier Thomas Owen, dans cette école belge….

La convergence des parallèles a dit…

Thomas Owen: Lefrancq Ed., 4 "Oeuvres complètes". J'ai le 2. Des omnibus.

La convergence des parallèles a dit…

Le problème des Marabout collectionnés (et peut-être encore plus des F) est qu'ils supportent physiquement très mal le temps qui passe (humidité, moisissures, couvertures qui craquèlent, volumes qui enflent..!). Leur faut du sec et un minimum de chaleur. La soluce: la mise sous sachets serrés.
Autre caractéristique des F: leurs unes de couv très typées F qui ne laissent aucun doute sur les contenus.

Christiane a dit…

31mn de bonheur pour les trois connaisseurs que vous êtes :

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-nuits-de-france-culture/arnaud-huftier-jean-ray-cherche-dans-ses-recits-les-traces-du-sacre-que-l-on-ne-veut-plus-voir-6923449

Christiane a dit…

Les contes du whisky / France Culture :


https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/fictions-samedi-noir/1ere-partie-3617844

Christiane a dit…

Désolée, ce dernier lien (Les contes du whisky) est inactif.

Anonyme a dit…

Oui, c’est l’intégrale Omnibus. Convergence etc. Puisque j’en ai parlé ailleurs en bien , mieux vaut ne pas voir le Voyage dans la Lune version Pelly qui se donne actuellement à l’Opera Comique, et se contenter de l’enregistrement. On ne s’expose pas ainsi à des dialogues refaits, un orchestre de bastringue, et des voix médiocres, le parti-Pris étant de faire valoir la… Maîtrise d’ enfants de l’Opera Comique!

La convergence des parallèles a dit…

Citation Christiane: "Désolée, ce dernier lien (Les contes du whisky) est inactif." >>>> Les deux parties sont trouvables sur You Tube.

Christiane a dit…

Consolée ! Merci, la convergence...

Je reviens d'une longue marche dans le soleil d'hiver. J'ai vu des arbustes ouvrir des petites feuilles improbables quand d'autres plus prudents ont renvoyé les sèves vers les racines. Vu une corneille solitaire. Quelques marcheurs bonnet en laine et écharpes.
Rentrant je découvre page 141, en exergue du chapitre 6 "Le cauchemar de la Noël", deux citations qui rendent la peur et les interdits utilitaires pour les dieux :
"Qui veut troubler les desseins divins par des discours sans connaissance ?" (Zacharie)
"Que seraient les dieux sans l'épouvante ?" (imitation de l'Ecriture)
Pour les interdits, il s'agirait selon Jacques Carion et Joseph Duhamel, de l'interdiction de connaître le surnaturel.
Mais un des personnages, Jean-Jacques, dit que "la peur est attirante, fascinante. Qu'elle est le piment des ténèbres, de l'angoisse."
Et les préfaciers d'en conclure que dans ce roman de Jean Ray, "tous les personnages - et avec eux le lecteur - sont partagés entre deux sentiments : la hâte de savoir et la peur de savoir." et introduisent alors l'idée de superstition.
J'ai fait de cette postface une préface pour mieux savourer ce roman.

Christiane a dit…

Alors d'où vient le surnaturel pour Jean Ray ?
Les mêmes préfaciers proposent :
"Il y a chez Jean Ray une manière de concurrence entre deux types d'explication des phénomènes étranges : ils sont l'expression d'une dimension surnaturelle, toujours terrible, qui peut se comprendre par des notions comme le pli dans l'espace ou dans le temps, la quatrième dimension, où, dans le cas de ce roman, la survie des dieux ; mais, parallèlement ou en même temps, le diable apparaît comme le fondement d'un surnaturel non divin, envers et contestation de la loi de la création selon Dieu. L'auteur oscille entre ces conceptions."
Le surnaturel est l'expression d'un sacré en quête de merveilleux. Comme si les choses effrayantes qui se passent dans ses romans et qui parfois semblent n'avoir aucun sens en ont un ailleurs.
Je ne peux m'empêcher d'évoquer "Le maître et Marguerite" de Mikhaïl Boulgakov et "Un nommé Jeudi" de G K Chesterton (roman découvert grâce à M.C.). Des romans policiers qui ressemblent à des cauchemars métaphysiques.
Ces romans sont des jeux entre le lecteur et l'auteur, se demandant pour quelles raisons l'auteur a-t-il mis son personnage face à telle ou telle épreuve. Pourquoi a-t-il inventé tel stratagème ? De vrais bals masqués quand en plus comme dans Malpertuis interviennent des metamorphoses !
Dans les romans de Jean Ray, il y a aussi beaucoup de faits de la vie quotidienne. Cela donne un grand réalisme à ses romans lié à la sauvagerie de ses fictions.

Christiane a dit…

Ainsi, "L'abbé Doucedame, (...), a bien voulu me parler d'un certain "pli dans l'espace" pour expliquer la juxtaposition de deux mondes essentiellement différents dont Malpertuis serait un abominable lieu de contact." page 98

MC a dit…

Oui, mais la, c'est l'explication vaille que vaille par une interprétation de la Relativité dont on a beaucoup abusé depuis. Robert Amadou parle quelque part des marieurs du temps et de l'espace. Il me semble que c'est dans sa préface aux Fantomes de Trianon. Soit le livre de Mrs Moberly_ et Jourdain, ou deux anglaises se retrouvèrent ou se crurent transportées autour de 1900 à l'époque de Marie Antoinette... Dans les aneries sans nombre d'Amadou,la formule vaut d'etre retenue pour sa pertinence.
Pas sur que Chesterton entre dans ce schéma là. Plutot un esprit à paradoxes comme Berkeley...

Christiane a dit…

Bonjour, M.C.
La citation du livre de Chesterton (comme de celui de Boulgakov) se rapportait au commentaire précédent : "le diable apparaît comme le fondement d'un surnaturel non divin, envers et contestation de la loi de la création selon Dieu."
Mais autant pour moi, c'est au second livre de Chesterton que vous aviez évoqué ("La Sphère et la croix") que je pensais, celui où se tient un dialogue pas ordinaire, à bord d'un dirigeable qui survole Londres, entre le professeur Lucifer et le moine Michaël, soit l'amorce d'un débat contradictoire entre l'athée et le croyant. Pour "Le nomme Jeudi", il s'agirait plutôt d'anarchisme avec ces faux policiers portant tous un nom qui est un jour de la semaine et Dimanche, le recruteur, en qui voir plutôt le dieu Pan que le Dieu chrétien. Mais je vous l'accorde bien volontiers, Chesterton a le goût du paradoxe.

Christiane a dit…

Entre la première et la deuxième partie se glisse un intercalaire de quelques pages.
Le cambrioleur du début y reprend la parole pour nous conter la capture d'étranges êtres sur une île du groupe des Cyclades, voisine de Paros. Ces êtres redoutables ont nécessité des pouvoirs magiques donnés par Cassave "versé dans beaucoup de sciences mystérieuses" pour être capturés.
Ils sont à bord d'un bateau qui à l'approche de l'île rocheuse subit une tempête effroyable.
On apprend que Cassave a pris livraison de la cargaison maudite pour l'entreposer dans la maison maudite de Malpertuis.
Le narrateur semble deviner le repoussant mystère de cette maison.

Puis commence la deuxième partie.
On retrouve les mémoires de Jean-Jacques Grandsire.
Le livre est habilement construit.
Le cambrioleur nous livre peu à peu le contenu de ces feuillets trouvés dans une gaine d'étain caché dans la bibliothèque monacale du couvent des Pères Blancs qu'il venait de cambrioler
Quatre liasses de feuillets, quatre diaristes dont Jean-Jacques Grandsire est le premier.

Christiane a dit…

cachée

Christiane a dit…

Ah, je suis bien aise quand j'en trouve un dans les jeux de mots que prise Jean Ray.
Ainsi pour Prométhée l'astuce est délicieuse. (page 190)
" Mon pauvre ami gisait sur le plancher noir et gluant de sang, dans une affreuse nudité, une atroce blessure béant à son flanc maigre.
J'essayai de tendre vers lui une main secourable, mais il fit un geste de refus.
Ses bras esquissèrent un geste d'impuissance et retombèrent avec un bruit de fer. Je vis alors que d'énormes chaînes le tenaient rivé au sol.
- Lampernisse, suppliai-je, dis-moi...
Il râlait hideusement.
- Promettez... murmura-t-il.
- Oui, oui, tout...
Il ouvrit des yeux vitreux et me sourit.
- Non... ce n'est pas cela... de la lumière ! Oh miséricorde !
Il retomba sur le côté, les yeux clos, le flanc palpitant."

Je m'amuse beaucoup comme Jean Ray a dû bien s'amuser en écrivant son roman.

Christiane a dit…

Mais il n'y a pas que les homophones, cette deuxième partie est pleine de métamorphoses. Ovide n'est pas loin !

Christiane a dit…

Le deuxième diaristes apparaît page 203. C'est un abbé du monastère des Pères Blancs : Dom Misseron.. c'est lui qui gardait dans ses archives les mémoires de Jean-Jacques Grandsire.

Christiane a dit…

Eh non non non ! Un seul diariste ,JJG, dont les feuillets sont roulés dans cette gaine d'étain . Les autres narrations sont des compléments d'enquête dûs à des rencontres dont celle de ce religieux.

Christiane a dit…

Vous terminez votre billet sur Malpertuis par ces lignes :
"Publié en 1943, Malpertuis et ses Dieux grecs réduits en esclavage par des Puissances Maléfiques, métaphorise en quelque sorte l’agonie de la pensée rationnelle durant les sombres années d’avant-guerre et le conflit mondial qui suivit. C’est là toute sa force."
Vous pourriez développer votre pensée, Soleil vert ?

MC a dit…

L 'interdit divin majeur en la matière c 'est la Goétie, l'évocation des morts pour connaitre l'avenir, depuis le passage biblique ou Saul consulte la Pythie d'Endor pour faire venir l'ame de Samuel...
Ce qui n'a pas empeché, j'en suis bien d'accord, une foultitude de branchements sur l'Au-Delà via la Sorcellerie,, la Possession, ou la Kabbale. (La chrétienne comme l'autre!) Mais en principe, c'est interdit! Qu'on se le dise!
MC

Christiane a dit…

M.C.
Vous écrivez : "j'en suis bien d'accord, une foultitude de branchements sur l'Au-Delà via la Sorcellerie,, la Possession, ou la Kabbale. (La chrétienne comme l'autre!) Mais en principe, c'est interdit! "

Je viens de terminer le livre. Final grandiose. Quelle bataille fulgurante !
Ce qui est étrange c'est que pour arriver à ce final il me fallait lire, page 211, - hasard du calendrier - :
"Nous sommes au dernier jour de janvier (...) Jour de la Purification ; nous nous préparons à fêter dignement, le lendemain, la Chandeleur.
- Cette fête me remplit d'une joie un tantinet païenne, n'est-ce pas celle de la lumière ?"

Et là arrive la nuit terrible où tout est révélé du projet démoniaque du cupide Quentin Moretus Cassave, docteur en sciences occultes.... de la secte des Rose-Croix... de ce traité de démonologie augmenté d'un aperçu sur la Kabbale...
Des baudruches aux apparences humaines...
De l'influence du Malin... Le statut du diable est posé. Malpertuis, la maison du Malin... car Cassave a fait alliance avec lui.

Ils furent donc enlevés à leur patrie millénaire... gardés captifs dans une nef nauséabonde ... Jusqu'à...

C'est dans ces pages aussi que Jean Ray inscrit une belle méditation sur les hommes et les dieux. Sur la mort des dieux...
"Les dieux doivent leur existence à la croyance des hommes. Que cette fois s'éteigne et les dieux meurent."

Quel beau final dont je ne dévoilerai rien par respect pour les futurs lecteurs de ce livre si bien écrit, si palpitant.
J'ai réussi à faire le point sur les quatre voix : le manuscrit de Jean-Jacques Grandsire, le récit du cambrioleur, celui du frère Morin et le manuscrit final, très court, de l'abbé Doucedame.
O, la belle rencontre avec Eisengott... Et celle terrible avec les abominables Euménides.
Très très grand livre.
Soleil vert a des intuitions lumineuses.

Christiane a dit…

Après toutes ces lectures sombres, je me régale en regardant une fois encore Tueurs de dames d'Alexander Mackendrick
Avec Alex Guinness, Peter Sellers, et l'adorable vieille de Katia Johnson.
Cette vieille maison bancale vaut bien Malpertuis. Le professeur Marcus a dû plaire à Jean Ray. Tous ces crimes commis par inadvertance. Les trains ont du bon...
1955 et pas une ride !

MC a dit…

Eisengott: le Dieu de Fer?
MC

Christiane a dit…

Non, Zeus !

Christiane a dit…

Elégant , il rame. L’homme, a retiré sa veste mais porte encore son chapeau ! Le cadrage est presque brutal, photographique comme si on était à bord, assis, face à lui .
Et la lumière, puissante, ample, libre, venant de l'extérieur, ici jouant sur l'eau. Ailleurs sur les parapluies, la ville ou dans un appartement bourgeois avec les raboteurs et racleurs de parquet. Caillebotte moins connu que les autres peintres impressionnistes, un peu différent. Un travail photographique pour le cadrage. Ici le rameur se souvient peut-être d'une passion nautique pour l'aviron. Donc, il y en aura 33 à Orsay. Le premier Caillebotte, c'est au Louvre que je l'ai découvert . Il y a si longtemps... Comme vous, je me réjouis de cette acquisition. Le musée d'Orsay est tellement étrange avec sa structure de gare, sa grande horloge, ses verrières ouvrant sur la Seine. On marche dans la grande travée jusqu'à l'escalier qui mène à ces trésors. Et le temps n'existe plus...

Anonyme a dit…

Oui,bien sûr, mais c’est la traduction littérale en allemand! Dans les Harry Dickson de Ray, il existe une « Cité de l’Etrange Peur », pour comparaisons au coin du feu….MC

Anonyme a dit…

Séduisant point de départ. Il existe dans l’Isle of Dogs, quartier victorien et mal famé de Londres, une petite ville très tranquille ou le crime n’a pas prise. On meurt autour, pas dedans. Pourquoi? C’est un peu le seizième enclave dans Pigalle ou Soho! Précisons que cette isle of dogs a vraiment existé, on la trouve entre autres chez Anne Perry….

Christiane a dit…

Ce qui est fantastique dans ce film "tueur de dames" c'est le peu de poids des paroles de cette vieille dame quand elle se rend au commissariat. Elle passe pour une mytho qui vit dans sa bulle. Or elle ne cesse de témoigner de la vérité. La disparition presque magique des cinq bandits se joue sur un pont envahi de fumée à chaque fois qu'un train passe dessous. Et il y en a beaucoup avec des wagons de transports vides qui se remplissent au rythme de la chute des corps
Pendant ce temps elle dort dans son fauteuil. Situation absurde, comique, extravagante, comme ce concerto qui scande les réunions du club de malfrats. Elle les croit musiciens puis comprend. Et là, le hasard et la loi de Newton sur la chute des corps font le reste ... C'est très anglais. Superbe.

Anonyme a dit…

Totalement échevelé ! Je n’en dis pas plus pour celles et ceux qui veulent le lire…

Anonyme a dit…

Cela dit, un fauteuil y joue un grand rôle, et. les vieilles dames ne sont pas des saintes, loin de là! Reste que la Cité de l’indicible peur parait classique en comparaison….

Christiane a dit…

Totalement échevelé... Oui, c'est tout a fait cela !

Christiane a dit…

'les vieilles dames ne sont pas des saintes, loin de là!"
Oui, comme dans "Arsenic et Vieilles Dentelles " 1941/ Franck Capra.

Christiane a dit…

Mais dans Malpertuis, Jean Ray fait de l'éternité des dieux grecs un écho du temps passé comme une réverbération, une répétition libérée de la chronologie.. . Une nuit immense où flottent des lambeaux de dieux fanés qui ne voulaient pas mourir.
A la fin du roman le temps est arrêté, suspendu, égaré. La petite ville a retrouvé sa tranquillité...
Une mise à mort sanglante dont le rituel perdure au-delà du temps.
Plus près de nous le Christ crucifié dans la haine et la souffrance comme tant d'hommes...
Je comprends maintenant le fin du billet de Soleil vert : "Publié en 1943, Malpertuis et ses Dieux grecs réduits en esclavage par des Puissances Maléfiques, métaphorise en quelque sorte l’agonie de la pensée rationnelle durant les sombres années d’avant-guerre et le conflit mondial qui suivit. C’est là toute sa force."
Je me souviens de Job, celui qui a bravé le visage terrifiant -ou terrifié- de Dieu.. Je me souviens de l'Enfer de Dante au bout duquel ne survit que la poésie.

Merci, Soleil vert de protéger vos lecteurs bavards. On se sent bien ici au coeur d'une bibliothèque infinie.
Qu'importe si ce sont des livres de sable que le temps détruira...
Borges écrivait dans un poème, "Le sablier" :
"Dans la minute du sable, je crois sentir le temps du cosmos. L'histoire que la mémoire enserre en ses miroirs ou que dissout le magique Léthé."

Anonyme a dit…

Je ne sais pas qui doit l’avoir de Soleil Vert ou de moi, mais oui, je l’ai en Marabout. C’est un curieux roman qui commence par une apothéose laïque d’un savant qui ressemble, je l’ ai dit ailleurs, beaucoup à Einstein. En revanche, ça se termine assez mal… Perrochon, qu’on peut soupçonner d’avoir bricolé un roman réaliste rural pour le Goncourt, montre de quoi il est capable. C’est autre chose que du Jose Moselli ou du Max-Andre Dazergues….

Christiane a dit…

Vous avez toujours une longueur d'avance. Comment faites-vous ? Bien sûr c'est votre réponse à Rose , après l'annonce de Soleil vert , qui a déclenché mes recherches.

Christiane a dit…

Closer (sur la même chaîne...) donne à découvrir une blessure profonde de Michel Houellebecq.

Anonyme a dit…

Marivaux parlait quelque part du «troupeau des singes littéraires ». Pas sûr que Houellebecq n’en fasse pas partie quand il nous joue ce couplet là…Bonne soirée. MC

Christiane a dit…

Oui, M.C., mais c'est Closer. Une voix sérieuse sur ce blog de borderline. Je lui dois l'annonce de quelques belles expos. De plus, il intervient rarement. Je ne sais où il a pêché ces confidences de M.H.... Hors le personnage, effectivement théâtral de M.H., je sais pour avoir côtoyé tant d'enfants que le lien de l'enfant à la mère après la naissance amorce une vie affective différente selon ce que l'enfant perçoit et reçoit. Être mère n'est pas simple. Être nouveau-né non plus. L'autonomie à gagner sur la sécurité de la tendresse. Le père, quand il est présent, ce n'est pas toujours le cas,... inscrira son empreinte plus tard, considéré comme la loi, celui qui parle, la force et la patience, une autre sorte de tendresse, celle des socles sur lesquels on construit. S'il verse dans la brutalité, l'alcool, la misogynie alors tout est raté.
Plus tard quand tout est mis en place, les portes s'ouvrent sur sa vie d'adulte que l'on souhaite équilibrée, épanouie. Parfois, un vrai parcours du combattant, une solitude mélancolique.

Anonyme a dit…

Je ne mets pas en cause Closer lui-même, simplement l’anecdote rapportée. Où elle est vraie, ou elle est fausse, et sciemment instrumentalisée. Il faudrait voir d’où elle vient . Ce qui a été demandé, je crois. Je suis d’accord sur le pb de la mauvaise mère, mais j’y soupçonne une volonté de pathos. C’est mon avis , encore une fois. On peut-être d’un autre! Bien à vous. MC. ( PS beaucoup marine avec Max Millet sur Guy Rosolatob, Etc….)