Jean-Philippe Jaworski - Gagner la guerre - Folio SF
Entrant dans la ville de Bourg-Preux, après avoir fui de façon rocambolesque Ciudalia pour échapper à un châtiment suprême et livré un combat titanesque dans la forêt de Cluse, don Benvenuto, spadassin et homme de main du Podestat Ducatore craque. Le lecteur est parvenu aux deux tiers du roman et voici que le héros de l’histoire s’adresse directement à lui : « Et vous, oui, vous ! mon très cher lecteur ! Vous vous prélassez bien au chaud sur votre coussiège favori ou dans la cathèdre de votre cabinet de lecture, en tournant d'une main indolente les pages de ce volume où je risque bien de perdre ma santé, ma vie, sans compter ma réputation. Est-ce que vous mesurez seulement ce que j'ai sué d'angoisse et de labeur, sur l'ouvrage que vous avez le culot de parcourir comme un conte divertissant ? Vous vous rendez compte de ce que je risque, […] » Don Benvenuto a entrepris de narrer le récit de sa sanglante et trépidante existence, mais que nous vaut cette apostrophe en forme de mise en abyme ? Car c’est bien Jean-Philippe Jaworski qui s’exprime ici. Invité à la librairie Scylla il y a quelques années de cela, il avait évoqué les efforts consentis pour mener à terme son œuvre maitresse (un peu plus de 900 pages en format poche) et la fatigue oculaire consécutive.
Ce volume et le recueil Janua Vera qui l’avait précédé ont consacré l’auteur chef de file français d’un genre surabondant - la fantasy - où ont émergé de nouveaux talents tels Justine Niogret et plus récemment Franck Ferric. Tous ont en commun un amour immodéré des mots qu’ils ajustent à la texture de leurs récits avec une précision d’archer. Drapé dans ce genre fourre-tout, Gagner la guerre, suite de la nouvelle « Mauvaise donne » de Janua Vera, est avant tout un roman de cape et d’épée. La cité-république de Ciudalia vient de remporter une bataille navale décisive contre le Royaume de Ressine. Ciudalia évoque les villes médiévales italiennes entre podestats et seigneuries, agitées de luttes florentines pour la quête et la conservation du pouvoir. Don Benvenuto, assassin et éminence grise de Leonide Ducatore, fait la route du retour sur le navire de Bucefale Mastiggia. Le jeune aristocrate, emblème d'une illustre famille sénatoriale, s’est particulièrement distingué lors de l’affrontement final du cap Scibylos au point d’en porter ombrage au généralissime Ducatore. Les séquelles de l’action ignominieuse du narrateur susciteront les luttes de Palais et vendettas du reste du récit.
Avec Don Benvenuto Gesufal, Jaworski peint un tueur intelligent, sans état d’âme mais aux beuveries tristes. Outre l’écriture, il manifeste dès l’enfance des prédispositions pour le dessin. Mais de son apprentissage avec le célèbre artiste Macruopo il ne reste que rancœur pour un homme soupçonné de coucheries avec sa veuve de mère. Benvenuto ne sera point un Caravage, mais le bras armé d’un souverain machiavélique . Malgré sa longueur, ce texte picaresque qui alterne combats et joutes sénatoriales ne souffre d’aucun ventre mou, réservant quelques chutes à la Dumas . Il y a bien quelques sorciers et elfes heureusement réduits au juste nécessaire. Au vu des épigraphes on aimerait que l’écrivain délaisse un peu les jeux de rôles pour s’approprier les silences de Gracq ou l’érudition de Yourcenar. Il en a les moyens stylistiques. Le voici pour l’instant plongé dans un marathon celtique.
Post-scriptum : la couverture de l’édition retenue pour cette lecture aurait avantageusement remplacé celle du Giono chroniqué plus bas. Les rolistes auraient beau jeu aussi de citer Assassin’s Creed cousin éloigné de … la Guilde des Chuchoteurs de Gagner la guerre.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire