Henry James - Le Tour d’écrou & Le Motif dans le
tapis - Le Livre de Poche/
Les deux textes inaugurant mon incursion dans
l’univers du romancier et novelliste Henry James dérogent paradoxalement à la
description d’une « Figure majeure du réalisme littéraire anglo-saxon du XIXe
siècle », ou réputé comme tel. Le Tour d’écrou est un court roman
fantastique conforme au canon des classiques du genre : un château ou
manoir au sein d’un parc hanté par des revenants. Quant au second, « Le Motif
dans le tapis », bien que rédigé deux ans auparavant, il semble s’inscrire,
par son sujet autoréflexif - l’énigme d’une œuvre littéraire - en plein XXe
siècle. A l’inverse ces récits révèlent des schémas récurrents des créations
de James : une narration conduite par le personnage principal, le gout de
l’introspection, du monologue intérieur, la thématique du secret.
Un certain Douglas entreprend la lecture d’un mémoire
rédigé par une institutrice rencontrée 10 ans plus tôt. Le manuscrit relate les
épreuves qu’elle traversa, alors jeune, dans une vieille demeure familiale du
Comté d’Essex en Angleterre. Elle y exerça la fonction de gouvernante auprès de
deux jeunes orphelins. Leur tuteur et oncle installé à Londres lui délégua
toute autorité. Sur place, elle fit connaissance de Mrs Grose, l’intendante, assistée
d’une domesticité conséquente. Elle fut aussitôt subjuguée par la beauté et la
gentillesse de Miles et Flora, neveu et nièce de son employeur. Les jeux de la
séduction traversent d’ailleurs le récit, dont l’héroïne constitue
l’épicentre : les sentiments de Douglas à son égard, l’attrait exercé sur
elle par l’oncle des bambins et sa fibre maternelle. Cette ambiance glamour
connait un premier accroc avec l’épisode de Miles chassé de l’école pour des
motifs jamais clairement éclaircis puis un second avec le mystère du décès de
l’ancienne gouvernante Mrs Jessel. C’est alors que les fantômes maléfiques de celle-ci
et de Peter Quint un ancien domestique font leur apparition… Le Tour d’écrou ,
adapté au cinéma en 1961 par Jack Clayton sous le titre Les Innocents, s’inscrit
dans la thématique de la possession et fut un des premiers textes à porter un
regard inquiétant sur les enfants. Porté par une dentelle d’écriture, le récit
tient tout entier dans un monologue intérieur ponctué de quelques échanges avec
Mrs Grose et de questions sans réponses avec les petits. Un sentiment
d’étouffement envahit le lecteur. Est-on égaré par l’imagination de l’héroïne,
tout ceci est-il réel ? Pressentiments, suggestions et angoisses propulsent
l’intrigue vers son dénouement tragique. Bref, du grand art.
Les grands romans sont comme ces cristaux qui brillent différemment selon leur angle d’exposition à la lumière. De nouvelles lectures engendrent de nouvelles interprétations. Une façon de dire qu’ils sont inépuisables. Mais s’ils paraissent l’être, une autre explication surgit alors : le principe qui a présidé à leur création n’a pas été révélé. C’est le sujet de la longue nouvelle « Le Motif dans le tapis ». Un critique littéraire, George Corvick, charge un de ses confrères de publier un papier sur le dernier ouvrage de l’écrivain Hugh Vereker. Quelques jours plus tard, son article dans « Le Middle » achevé, le jeune homme a l’opportunité d’une conversation avec l’auteur. Celui-ci a lu son compte-rendu et lui explique que bien que n’étant pas dénué de qualité, il passe à côté de l’essentiel, d’un motif caché qui commande chaque ligne, choisit chaque mot jusqu’à la virgule de tous ses ouvrages. Quelque chose d’invisible et d’essentiel. Vereker se refuse à en dire plus laissant le critique sur sa faim et plantant en lui les germes d’une obsession d’autant plus cruelle qu’elle sera sans issue. Corvick, à qui il raconte l’entrevue, se met aussitôt à la tâche. Parti en Inde pour des raisons professionnelles, il envoie un câble à son ami lui annonçant avoir résolu l’énigme. Hélas, entre temps marié, et de retour en Europe, il disparaît dans un accident de circulation. Sa femme a-t-elle eu connaissance du secret du motif ? Comparé à « La lettre volée » d’Edgar Poe, « Le Motif dans le tapis » se souvient des critiques portées à l’œuvre d’Henry James. Hugh Vereker se réjouit-il de cette espèce de course à l’échalotte déclenchée par ses confidences ? Le narrateur, proche un temps du Graal, voit s’éloigner au fil des évènements l’objet de sa recherche. C’est là que se situe l’autre angle d’approche du texte. Vereker, par ses demi-révélations amplifiées par quelques accidents impondérables, initie une exclusion du jeune homme du cercle des érudits, pire, des rédacteurs du Middle. Au fond le romancier instruit une forme de Procès en incompétence à l’égard de son interlocuteur désormais enfermé dans une cellule obsessionnelle. Ici se situe, à mon sens, la modernité de ce texte.
1 commentaire:
P.S : Henry James champion des énigmes ?
Dan Simmons associe Sherlock Holmes et l'écrivain dans son dernier roman Le cinquième cœur
Enregistrer un commentaire