lundi 4 mars 2019

Moi ce que j’aime c’est les monstres - Livre premier



Emil Ferris - Moi ce que j’aime c’est les monstres - Livre premier - Monsieur Toussaint Louverture






La jeune Karen Reyes vit avec sa mère et son frère Deeze dans un appartement situé au sous-sol d’un immeuble de Chicago. En 1967 le quartier populaire d’Uptown n’a rien à voir avec celui célébré dans la chanson de Mark Robson. C’est l’Amérique de la violence raciale et des luttes des minorités pour leurs droits. Une tempête sociale qui culminera un an plus tard avec l’assassinat de Martin Luther King dont rend compte Emile Ferris dans son roman graphique. Les Reyes ont pour proches voisins un vieux marionnettiste et le couple Silverberg. Lorsque Anka Silverberg décède, officiellement d’un suicide, Karen décide de mener sa propre enquête. Elle met alors progressivement à jour le passé douloureux de la victime.


La gestation et la publication de Moi ce que j’aime c’est les monstres résultent d’un triple combat : successivement une lutte contre une méningo-encéphalite ayant pour conséquence une paralysie partielle des membres de l’auteur, un travail de création étalé sur six années, et quarante-huit refus d’édition. Le premier tome de l’ouvrage sort enfin en 2017 aux Etats-Unis et en 2019 en France. Le succès publique et critique est immédiat. Une dizaine de prix tombe dont pour le seul espace francophone, le Grand Prix de la Critique et le Fauve d’or au festival d’Angoulême 2019.



Ouvrir ce roman ou cette bande dessinée - mais comment qualifier une œuvre artistique aussi originale dans son domaine que l’architecture sans règle du Palais Idéal du facteur Cheval - confronte le lecteur à une expérience graphique éblouissante. L’ensemble se présente sous la forme d’un volume au format 21X27 de 416 pages imitant un cahier à spirale. Chaque feuille est une découverte. Des pastiches de couvertures de magazines d’horreur inaugurent les chapitres, des portraits pleine page alternent avec des reproductions de toiles de peintures célèbres … A coup de stylos-billes, de feutres, Emile Ferris crayonne à la manière de Crumb. D’autres influences ont été signalées dont celles de Maurice Sendak, Art Spiegelmann.


Frida Kahlo-La Colonne Brisée (autoportrait)
Passé le choc initial, on découvre, se faufilant entre les images, un texte, des dialogues, une histoire habilement menée qui fait la part belle à l’imaginaire et au quotidien de Karen. La jeune fille dévore les revues d’horreur et endosse le personnage d’un loup-garou, peuplant le monde réel de monstres issus de ses lectures ou de ses songes. Quel adolescent (e) ne rêve d’incarner son héros(ine) favori(te) ? Le thème de la monstruosité prend aussi chez Ferris une autre dimension, celui du rapport de l’artiste à son corps qu’avait si cruellement représenté Frida Kahlo. Le corps comme prison c’est le cœur d’un tableau de Paul Delvaux cité par l’écrivaine, représentant des sirènes corsetées en robes austères. On pense aussi à Anka Silverberg dont la chair, dans le Berlin de l’entre deux guerres, est livrée à la prostitution.
Paul Delvaux-Le village des Sirènes (détail)


Moi ce que j’aime c’est les monstres prend mine de rien les chemins du récit initiatique. Karen Reyes découvre et se confronte peu à peu aux horreurs du réel : une mère malade, un frère terreur de son quartier, coureur de jupon aussi bienveillant qu’inquiétant, le chemin de croix de Mme Silverberg entre prostitution et déportation, et le mépris des pauvres gens. Reste un refuge ultime : l’Art, la peinture des grands-maitres, auxquelles l’a initié Deeze.



L’éditeur français a réalisé un travail fantastique sur ce chef d’œuvre, jusqu’ à l’idée d’une couverture bénéficiant d’un pelliculage dit « soft touch » ou « peau de pêche » qui donne au visage tourmenté d’Anka une douceur réservée aux anges.

6 commentaires:

Ed a dit…

Ah ca a l'air intéressant. Déroutant en tout cas !

Soleil vert a dit…

ça sort effectivement de l'ordinaire de la production BD voir romanesque habituelle !

Greg a dit…

D'accord avec Ed .Mais l'art comme thérapie c'est incontestable.
Félicitations pour ton blog et tes chroniques.

Soleil vert a dit…

merci beaucoup … en 2020 (si Cthulhu le veut) j'entamerai ma 50è année de lecture SF

Greg a dit…

Cthulhu..j'ai jamais su le prononcer.. ou en me gargarisant alors.

Soleil vert a dit…

Et tu fais bien : le prononcer c'est l'invoquer :-)