Jérôme
Leroy - Vivonne - Folio SF
Impuissant, Alexandre Garnier regarde monter les eaux à l’assaut des murs de sa maison d’édition « Les Grandes Largeurs » dans le quartier de l’Odéon à Paris. Ce n’est pas tant le chaos climatique, la guerre civile ou les difficultés à surmonter pour rejoindre sa résidence secondaire de Trouville qui le taraudent, mais un tsunami dépressif consécutif aux souvenirs refoulés d’une vie ignominieuse. Saisi d’une jalousie remontant à l’adolescence, l’éditeur s’est en effet employé à détruire la carrière et l’existence du plus talentueux de ses auteurs, le poète Adrien Vivonne. Arcbouté comme Sisyphe au poids de ses actes malveillants, il tente alors de rassembler quelques bribes biographiques du Rimbaud du siècle, dans l’espoir d’une illusoire absolution.
Le dernier ouvrage de Jérôme
Leroy raconte, par personnes interposées, la vie et les œuvres d’un poète dont
les écrits ont transformé l’existence de ses lecteurs. L’intrigue se déroule
dans le cadre d’un monde subissant le double fouet d’un dérèglement climatique
et de l’effondrement des Etats. Dans une France libanisée, expression qui en
choquera certains, mais n’est au fond que l’extrapolation aux valeurs limites d’un constat récent, s’affrontent des milices salafistes, identitaires, zadistes et
j’en passe. Adrien Vivonne a une fille, Chimère alias Chimène, née d’une
romance avec une collaboratrice de Garnier. Elle a intégré un de ces groupes. A
l’inverse son père traverse les gouffres de l’existence avec une aimable
indifférence, une égale humeur, négligeant les coups portés, suscitant
l’admiration et l’amour de quelques femmes, dont celui de Beatrice Lespinasse,
la bibliothèque de Doncières une de ces petites localités de Province où se
réfugiait l’auteur. En dépit du couvercle posé sur ses ouvrages par Garnier,
les poèmes finissent par se répandre et leur lecture crée l’espoir d’un monde
meilleur, « La Douceur ».
Paul Signac - Au temps d'harmonie |
Si Jérôme Leroy ne se
hasarde pas en explications sur l’effondrement des systèmes politiques, il
décrit avec une touchante justesse la jeunesse rouennaise du poète dans les
années 60 et par là-même la sienne. Sa vision d’un futur proche catastrophique s’appuie
sur des allégeances sans frontières, Le troupeau aveugle de John
Brunner, Soleil vert, sans doute quelques textes de Joël Houssin. Le
Philip K. Dick du Maitre du Haut Château n’est pas loin non plus. Tout
autant que Rimbaud, Guillevic, Valery, Apollinaire, ou Le Sud de Nino Ferrer.
Mais l’odyssée d’Adrien Vivonne ne s’arrête pas là. Alors qu’une Grande Panne,
c'est-à-dire l’arrêt des systèmes de télécommunication, menace le monde d’un
effondrement définitif, un recueil, Milles visages, acquiert un statut
particulier. L’écrivain que l’on dit refugié sur une ile grecque voit affluer
ses proches et des admirateurs ; il devient Prophète, son livre, promesse de
joie.
On ne saurait mieux
exprimer la revanche de la littérature sur les avanies de l’existence. Vivonne
a obtenu Le Grand Prix de l’Imaginaire 2022, on peut s’étonner de ne pas
l’avoir vu figurer sur les listes d’autres Prix prestigieux. Coup de chapeau pour l'édition Folio SF à l'illustratrice Anne-Gaëlle Amiot.
57 commentaires:
Quel billet !
Donc Vivonne est un homme, pas une rivière enfin s'il écrit, il est un peu comme une rivière.
Donc le narrateur, un éditeur qui patauge dans un Paris inondé , tourmenté par le mal qu'il a fait à l'écrivain.
Mais le billet nous tire vers un rayonnement final des oeuvres poétiques de cet écrivain.
Le monde est ravagé par tensions politiques et guerrières.
Vous êtes certain, Soleil vert, qu'ils s'agit de science-fiction ? Cela ressemble terriblement aux convulsions de notre présent.
Hâte de découvrir ce poète au nom de rivière et son pays rêvé, la Douceur.
Chimène - Chimère m'intrigue beaucoup.
La couverture du livre, cette main, ce livre... est magnifique.
A bientôt d'ouvrir le livre et en écho à ce beau billet de vous écrire des petites choses au fil des mots, comme le bateau ivre sur une riviere dencre.
Merci.
Merci.Oui il faut que j'ajoute un ps pour l'illustratrice. SV
Les cent premières pages sont troublantes. Le prologue , un conte qui nous transporte dans l'enfer du réel. Ces exactions de terroristes qui tuent sauvagement et l'innocence d'un enfant qui traverse ce cauchemar.
Puis sans avertir, le roman, un autre roman commence. C'est juste dans les quartiers des villes que l'on connait que l'on aime, dans les livres qui font notre socle et pourtant le récit est troublant, un léger décalage et nous voici dans la rue de l'Odéon inondée alors que dans le Nord, justement, des villes sont inondées en ce moment.
Et puis un autre décalage pour faire connaissance avec Adrien Vivonne. On sent qu'il va être important et vulnérable. Un personnage hors du temps qui écrit mais dont les "oeuvres auraient pu être écrites à n'importe quel moment de sa vie." Une étrangeté "dans son rapport au monde lié à l'eau."
"La joie d'Adrien Vivonne, c'est que décidément, à lire son œuvre, l'eau joue un rôle fondamental, originel."
Étrange impression d'avoir pressenti l'importance de l'eau dans ce roman.
Pour l'instant, le récit m'échappe mais pas son atmosphère. J'avance au milieu de miroirs déformants. On avance pour rester immobile. Un chemin entre heur et malheur, un autre univers, subtil et insidieux. Le miroir des eaux. Un roman comme une éclosion traversé d'une sombre tension incandescente laissant s'épanouir certaines images oniriques.
Une machine narrative peut-être... marquée par des apparitions.
Qu'est-ce qui s'efface dans ma logique une fois la lecture commencée ?
Il est trop tôt pour comprendre, il faut s'obstiner, passer de l'autre côté du langage, franchir mes limites, suivre, confiante, Jérôme Leroy.
Les petits morceaux du puzzle s'assembleront au fil de la lecture.
Ça va bien. Je ne suis pas pressée. Ce qui est magique dans un puzzle c'est la recherche et la joie quand un morceau s'encastre à sa juste place. On est presque déçu quand tout est reconstitué. Aussi je me fais un grand plaisir à suivre les méandres de ce récit d'autant plus que des arrêts surgissent où croiser un écrivain familier, une rue connue, des peurs du présent.
Là , je vais relire les 100 premières pages comme on regarde à nouveau un film déjà vu qui nous révèle alors des images, des scènes oubliées.
Pour moi qui n'écris pas, avoir la chance par la lecture d'un livre d'entrer dans l'imaginaire d'un écrivain, c'est un plaisir rare. Je l'écoute, fascinée.
Je sens que c'est un livre à lire lentement. Un bon livre. Un objet rare, compact, magnétique.
Merci pour ce choix.
Je ne relis pas tout de suite votre billet pour trouver toute seule l'agencement des morceaux du puzzle.
Ainsi la première phrase lue, mise en exergue :
"Ce soir, je serai l'aube."
(Alain Jouffroy, "Le temps d'un livre".)
C'est comme sauter par-dessus la nuit, avancer le temps de quelques heures au cadran et tout est bouleversé. Qu'y avait-il dans la nuit qui nous est volée ? Quelle source du jour restera inconnue ?
Comme ça commence bien...
S'en vient le prologue, inouï de pureté. Un petit garçon de lève avant les autres pour nager dans la mer encore colorée par le soleil de l'aube, un monde paisible, orange, bleu, mauve.
Comme j'ai déjà lu les pages qui suivent , comme je sais l'atroce spectacle qui l'attend,, je le laisse nager, boire ces couleurs. Une brasse calme.
Il n'a pas encore peur...
Les habitants de ce petit village, - un archipel grec ? - essayaient donc de protéger un livre. Le livre d'Adrien, écrit dans une langue morte. Le livre qui faisait passer de l'autre côté, sans mourir. Un livre très fragile dont certains passages lui ont été lus. Ainsi, dans le livre de ce Grand Aveugle est raconté "comment Odysseus avait tué N'A-Qu'un-Oeil et comment il avait massacré ceux qui voulaient épouser son Amie Pénélope."
L'enfant poursuivi par une horde cherche refuge dans les grottes de Sarakiniko.
Déjà tout un passé culturel de glisse dans une scène de massacre.
se glisse
Donc, un prologue inachevé où on laisse le petit garçon en danger (son village a été détruit, tous les habitants massacrés). Il fuit, près de Galia, cette jeune fille solitaire qui le protège.
Ce conte inachevé a certainement un sens dans le roman qui commence de nos jours, enfin, un peu après, dans le bureau d'un éditeur qui pleure . (Alexandre Garnier , 61 ans.)
La rue de l'Odéon est inondée.
A vrai dire, malgré la catastrophe climatique, il ne sait pas pourquoi il pleure...
Le monde est déréglé. "Il avait l'impression, depuis un certain temps, de vivre dans un roman de science-fiction..."
Voilà un étrange et savoureux début de roman.
C'est passionnant de l'observer. Tout s'écroule autour de lui. Des cadavres passent sous ses fenêtres portés par les eaux furieuses. Ils ne peuvent sortir de l'immeuble car l'eau a gagné les premiers etages et lui pense aux années de jeunesse à Rouen, au monde un peu ambigu de l'édition, aux compromis avec la littérature pour vendre... " Il eût de la peine pour les livres. Les livres avaient formé le tissu de son existence.(...) Il était en deuil du monde d'avant, en deuil de l'élégance des temps endormis, en deuil d'une civilisation dont les restes étaient emportés par cette crue démentielle rue de l'Odéon. (...) La scène lui parut empreinte d'une irréalité tellement forte qu'il n'y croyait pas.(...) Le vrai n'est pas vraisemblable (...) Le monde prenait l'allure d'un asile de fous."
Et pourtant, Jérôme Leroy est dans le réel même si pour l'exprimer il inonde la rue de l'Odéon.
"Quand la nuit arriva, on fit le point sur les batteries des téléphones portables. On décida d'en utiliser un seul à la fois pour s'éclairer."
Pour un peu , on croirait lire une page d'un quotidien car, en ce moment, en France et ailleurs c'est ce qui se passe.
C'est comme pour le conte inachevé d'ouverture. Des terroristes qui saccagent un village, tuent férocement les habitants, poursuivent un gamin sans défense, c'est aussi notre actualité.
Cet écrivain fait d'un documentaire une oeuvre d'anticipation, glissant dans son récit le souffle des rêves, la torsion des rêves qui amplifie alors que nous sommes sans défense, plongés dans un sommeil paradoxal, les évènements du jour et ceux de l'imaginaire.
Et, page 58 :
"La nuit arriva tôt.
On était en novembre : on avait tendance à l'oublier tant les aberrations climatiques s'enchaînaient à un rythme de plus en plus soutenu."
Non, je ne rêve pas, je suis en train de lire une fiction. Une fabrique du réel ?
Ce personnage me plaît.
" Il ne savait rien faire, à part des livres, et autrefois en écrire. Il était incapable de bricoler (...) A part nager à la piscine Saint-Germain une ou deux fois par semaine. "
Ce portrait si on enlève "autrefois" est presque celui d'un certain Passou !
Ouf, une pause. On fuit l'inondation, les rats qui étaient remontés par les canalisations et les couloirs de métro et qui arrivaient par vagues dans les appartements.
Ouf !
"Vivonne, un essai de biographie".
Page 70.
Éphéméride en marche arrière : 13 septembre 1964. Une belle matinée d'automne. Joie. Clarté. Transparence.
Nous sommes dans la banlieue de Rouen.
(Mais cette paix bucolique ne durera pas ! Nous reverrons des drones, entendrons le cliquetis des blindés....)
Donc, Adrien Vivonne ce 13 septembre 1964, "sort du ventre de sa mère. Il quitte une planète tiède, rose, chaude, salée, ou l'apesanteur est un bonheur qu'il ne retrouvera jamais."
Cet Adrien a écrit "Le livre de Lili", ses premiers poèmes à quinze ans.
Le livre a été publié en 2015 par le Pédalo Ivre, trente cinq ans après sa rédaction. Et arrivera sur le bureau d'Alexandre Garnier qui semblera bouleversé par sa lecture.
Première pièce du puzzle mise en place !
J'avance dans ce roman. Il me semble, commençant à me repérer dans sa construction que le conte inachevé qui sert de prologue n'est pas vraiment nécessaire. Le vrai début du roman est puissant, cet éditeur coincé avec son équipe dans les étages d'un immeuble envahit par l'inondation du quartier, les scènes effrayantes qui suivent, les bricolages pour survivre en attendant d'éventuels secours... c' est vraiment un début fracassant surtout quand il s'agit de la rue de l'Odéon.
Le mystère est que cet homme est en décalage avec la peur qui stresse son entourage. Il est obsédé par un souvenir celui de ce fameux Adrien Vivonne, le grand absent du roman.
Une fascination emplie de jalousie est à l'origine de ce mal-être. Cet éditeur a tout fait pour que Adrien Vivonne ne soit pas reconnu à sa juste valeur de poète visionnaire. Alexandre Garnier, ne sait comment se débarrasser d'un sentiment de culpabilité d'autant plus qu'il y avait une sorte d'amitié entre eux, qu'il a trahie.
Adrien Vivonne a disparu. Il le cherche, interroge une ancienne compagne, sa fille.
Autour de lui, le pays sombre dans un climat de violence, de décadence.
Là où j'en suis, il décide d'écrire sa biographie. Drôle d'idée qui lui servirait à réparer son attitude passée peu glorieuse. Pendant ce temps, malgré ses efforts pour le faire oublier, les écrits de ce poète se sont répandus et sucitent une sorte d'adulation comme s'ils contenaient une clé pour échapper au monde devenu inhabitable.
Ce qui est différent et tout aussi passionnant c'est le réalisme avec lequel notre monde actuel, les crises du milieu éditorial, les impasses politiques, imprègnent le récit.
Quelques longueurs dans le témoignage de la compagne.
Jérôme Leroy est plus percutant quand il entre dans le troublant récit d'Alexandre Garnier qui ne peut évoquer Adrien Vivonne sans parler de lui.
Pas mal du tout ce roman éclaté en tant d'approches de l'absent.
Dans le retour arrière de l'enfance d'Adrien, ses réactions à la mort de son petit frère expliquent bien son basculement dans la fiction. Comme le dit le pédopsychiatre : "Adrien était un surdoué évitant la souffrance par une construction fantasmatique très élaborée."
Je pense à "L'Incompris" de Comencini. Le cercle familial pense à tort qu'il ne ressent rien à la mort de sa mère...
Les enfants sont bien mystérieux qui cachent en leur coeur des chagrins incroyables...
Cette douceur comme épilogue est bien molle...
Le meilleur du roman se trouve dans les scènes d'inondation du début et surtout dans cette quête ambiguë d'Alexandre Garnier. Que signifie pour l'auteur d'avoir rendu impossible la rencontre entre les deux hommes mais aussi avec ces femmes qui le cherchaient ?
Je ne crois pas qu'un livre transforme la mort en pays de Candy mais qu'écrire ou lire aident à l'affronter, à la penser.
L'abondance de poètes et d'écrivains contemporains qui passent dans certaines scènes, les noms des lieux bien connus installent un brouillage qui empêche d'émettre des suppositions quant aux années postérieures à 2020.
Quant aux attaques armées, elles sont plus présentes dans le conte de la préface que dans le roman.
La poésie est ici réduite à un rôle de passé muraille... Dommage...
Je préfère d'autres livres que vous avez présentés, celui-ci me paraît hésitant. Comme si l'écrivain avait perdu le fil de ses batailles.
Oh !
Moi, j'ai repensé à la mort de Bergotte. La quête de la perfection (dans un livre par exemple) à laquelle rien ne nous oblige, peut s'expliquer par la présence d'un ailleurs où cette perfection s'exerce. Le bleu-doré de Vivonne est le jaune du petit pan de mur que Bergotte rêvait d'égaler dans ses écrits.
Bien à vous comme toujours.
J'aime bien votre regard. Il vous ressemble.
Difficile de contribuer utilement à la conversation quand on n'a pas lu le livre ; de J. Leroy je connais seulement Jugan, une actualisation de L'Ensorcelée de Barbey d'Aurevilly (comme le signale d'emblée son titre). La transposition semblait alléchante, et le livre prometteur ; on aurait aimé aimer, mais assez vite ce fut une déception. À cause du décalage entre les idées, les ambitions et le résultat, je me suis demandé s'il avait assez de temps à consacrer à ses livres (ses articles m'ont paru plus efficaces ; simple question de distance à tenir ou adéquation variable de l'écriture selon le genre ?)
Je suis peut-être trop difficile, ou bien c'était en réaction aux critiques dithyrambiques. Mais il faut dire que s'agissant d'autres, chez qui l'écart entre les prétentions affichées et le produit fourgué est tout simplement grotesque, on ne se pose même pas la question ; là c'était, dans mon souvenir, de l'ordre de la frustration.
À propos d'inondations, je ne sais pas si vous connaissez le roman de Philippe Forest, Crue.
On peut le lire sur un plan "réaliste", le récit est suffisamment prenant pour cela, ou plus ou moins symbolique.
E.G.
C'est étonnant le cheminement de vos pensées. Le petit pan de mur jaune que Proust isolé du reste de la toile, fixant le regard de Bergotte sur cette petite surface vibrante. Une lumière incertaine née d'un glacis de plusieurs couches de couleurs superposées. Un morceau de peinture abstraite qui par sa présence met en valeur les combats des ombres et lumières dans cette vue de Delf .
Ce travail , cette réussite reportée dans le travail d'écriture... Ce n'est pas une mince affaire, surtout dans un roman. Style ? raturages ? réécriture ? construction de l'oeuvre ?
Il y a aussi par cette impression de luminescence des couleurs l'impression de voir la perfection d'une porcelaine chinoise, translucide, parfaite.
Je vois ce que vous voulez dire , Soleil vert.
Cette suavité des couleurs je l'ai goûtée dans le conte de préface quand l'enfant se baigne à l'aube dans une mer irisée par le soleil qui lui aussi semble se baigner dans la mer.
Et de temps en temps cette reprise des couleurs dans le roman de Jérôme Leroy (dans les essais de biographie dAlexandre évoquant Adrien.)
Mais dans ces temps de lecture je cherchais autre chose. J'attendais qu'Alexandre cherche l'origine de cette jalousie qui l'incita à porter tort à Adrien. Or, il reste très vague quand à l'analyse de ses sentiments passés et présents. Quant à Adrien, il est assez volatile, toujours en fuite dans ses pensées ou avec son corps. Pétri d'une certaine indifférence, pas très attachant en fin de compte. Il manque une épaisseur psychologique à ces personnages.
Chimène - Chimère est assez réussie plus que les autres femmes.
Le final, fin du conte du prologue, ne m'a pas comblée. Bâclée ? comme le pressent E.G.
De disparition en disparition, d'archipel en archipel, d'éternité en éternité, ces personnages doivent s'ennuyer ferme, non ?
Mais j'aime ce que vous avez créé avec votre lecture. Vous êtes un lecteur pas ordinaire. Vous saisissez un livre, le lisez, le présentez avec le plus de précision et d'honnêteté possible et ça et là vous l'emportez au pays des songes.
Ce blog est irisé pas vos nages dans la mer des couleurs, comme Titos.
Poète un jour, poète toujours.
Ainsi en quelques mots l'esquisse de Garfield comme une encre chinoise.
PS : j'ai quand même retenu et noté ici, des passages qui m'ont convaincue. Je suis heureuse d'avoir découvert les promesses de ce roman.
isole
Merci pour la suggestion, j'étais passé complètement à côté.
Ça a l’air aussi bien que La cartographie des nuages de David Mitchell.
Les crues actuelles dans Le Pas de Calais,difficile de ne pas y penser.
Je me mets dans une drôle de situation, SV. Il m'aurait été facile d'aller dans votre sens pour vous faire plaisir mais je ne peux taire ce que je ressens. Alors appuyez-vous sur vos amis, tous présents. Et ne m'en voulez pas de trop.
En toute confiance, christiane.
Christiane : Je me mets dans une drôle de situation, SV. Il m'aurait été facile d'aller dans votre sens pour vous faire plaisir mais je ne peux taire ce que je ressens.
Il n'y a aucun problème, exprimez votre ressenti, toujours argumenté d'ailleurs. Vous êtes ici chez vous.
Merci.
Y serez-vous, soleil levant, à Nantes, ou il pleut toujours... ?
https://www.en-attendant-nadeau.fr/2023/11/09/utopiales-2023-les-conditions-du-futur/
Un petit compte-rendu de visite ne serait pourtant pas inintéressant sur cette chaîne dédiée. Bien à vous (JJJ)
Non JJJ : flegme + intempéries + 130 000 personnes
Donc, je vais tenter d'aller plus loin. Ce qui me gène dans l'imaginaire de Jérôme Leroy dans ce roman, c'est que tout semble suspendu à la suppression de la mort par une migration vers une terre où n'existe que le bonheur et la beauté.
Le personnage Alexandre exprime bien cette lassitude de l'entre deux puisqu'il semble être immobilisé dans une vie morne de survivant.
"On me dit que j'ai cent ans. Et j'attends toujours de trouver le passage."
Quel est donc cet endroit dont il rêve ?
"Ce phénomène, dans la Douceur, on a fini par l'appeler l'Eclipse, pour simplifier. Les éclipsés, d'après les Amis, ne sont pas morts. On ne les voit plus, ce n'est pas la même chose. Cette idée m'apaise. Cela veut dire que même si la Douceur est un jour attaquée, elle existera encore ailleurs, elle existera dans un nombre infini d'univers, comme la communauté de Saint-Dye-sur-Loire dont m'avait parlé Chimène.
Pourtant, certains matins, (...) je me dis qu'il s'agit de foutaises New Age. Que j'ai juste eu de la chance de finir chez des survivants qui ne songent pas à se massacrer. Ce n'est déjà pas si mal mais ça ne veut pas dire que la théorie hypothétique des cordes et des multivers imaginée au siècle dernier par quelques physiciens existe dans et par la poésie de Vivonne....."
J'aime ces moments de doute qui ressemblent à ce que nous imaginons quand un être aimé nous quitte ou quand nous pensons à la mort et pour certains à l'éternité.
J'aime dans les romans que vous présentez quand la mort est vraiment la mort et que l'être humain pèse face à cette angoisse de tout son poids de vivant. Qu'il se bat, qu'il cherche, pas solitaire mais être humain parmi les autres, même si le goût de la solitude lui permet d'habiter une île.
Que sont devenus les collègues de travail d'Alexandre ? Et les autres habitants touchés par ce typhon, par les attentats.
La poésie fait avec ce monde imparfait. La perfection c'est une sorte de mort, d'immobilité.
Adrien Vivonne n'a pu accepter la mort de son frère. Aucun adulte n'a été là pour l'aider. Aussi il s'est réfugié dans ses rêveries. Toute sa vie il a remplacé la rencontre par la fuite dans le rêve.
Une rencontre entre ces deux personnages aurait peut-être pu le rendre plus lucide , acceptant la blessure.
Ce sont toutes ces parades qui m'ont mise en difficulté. On ne peut fuir les souffrances du réel, les déceptions par une rêverie poétique.
Chimène - Chimère se bat, même si sa vie est bourrée d'erreurs, d'illusions.
Dans les nouvelles de Francisco Coloane "Tierra del Fuego", il y a ce courage, ces luttes et aussi beaucoup de poésie et de ... couleurs.
" Ce qui me gène dans l'imaginaire de Jérôme Leroy dans ce roman, c'est que tout semble suspendu à la suppression de la mort par une migration vers une terre où n'existe que le bonheur et la beauté."
Une connaissance m' a fait part d'une lecture d'un ouvrage de Luc Ferry , Mythologie et philosophie, où se lirait une interprétation de l'Odyssée. Ulysse aurait pu terminer ses jours auprès de Circé. Mais il préfère néanmoins affronter d'autres dangers pour regagner Ithaque. Quelle signification tirer de cette aventure sinon que chaque homme ou femme a une place déterminée dans l'Univers. Peut être que Vivonne, dont l'ambiance "marine" ne vous a pas échappé raconte cela, la quête d'un lieu où chacun a sa place.
Un lieu où chacun a sa place... Impossible pour bien des êtres humains en ce moment...
Une autre approche du retour d'Ulysse.
Jankélévitch "L'Irreversible et la nostalgie"
"A quoi Ulysse pense-t-il ? Le vagabond pense à Calypso, la toute divine, dans sa grotte marine, il pense à Circé l'enchanteresse, dont la voix est si belle et les festins si somptueux auprès de la soupe rustique de l'épouse ; il pense à Nausicaa, la toute gracieuse, et aux jeux sur la grève ; assis devant sa princesse prochaine, il songe aux princesses lointaines qu'il a laissées sur sa route. (...)
Ulysse dans son cœur est déjà reparti. (...)
Il s'est trompé de place. C'est la partie déroutante, décevante du mal du pays que d'être toujours ailleurs et autrement et plus tard à l'infini, par un report perpétuel de l'un à l'autre et du présent au futur. (...) L'autre monde, c'est à dire Nulle part. (..)
La vraie patrie des hommes n'est pas de ce monde mais d'outre-monde. Elle n'est repérable sur aucune carte. (...) Un Ailleurs innommé, un Ailleurs dont nul n'a jamais dit ni le lieu, ni le temps, ni le nom.
Amour de la terre lointaine, tout mon corps est en mal de vous.
La langueur comme la Saudade.
L'homme désespérant des miracles se met à chanter. Dans la musique et dans la poésie l'homme nostalgique n'a-t-il pas trouver son langage ?
Le nostalgique s'installe dans l'invincible espérance parce qu'il se reconnaît citoyen d'une autre cité et d'un autre monde, parce que sa patrie est une ville invisible située à l'infini.
Ulysse revient et ne revient pas. (...)
Ulysse rentré au foyer pleure en silence dans cette demeure bénie des dieux ; il pleure en regardant la vieille compagne de ses jours comme il pleurait de langueur sur le chemin du retour en regardant la mer."
Se souvenir de la Mort en grève chez Saramago. Ça donne aussi des choses curieuses…. Cela implique-t-il que Dieu s’en fiche? MC
"(...) Le paradis, Paradis ou enfer, ou rien du tout, ce qui se passe après la mort nous importe bien moins qu’on ne le croit généralement, la religion monsieur le philosophe, est une affaire terrestre, elle n’a rien à voir avec le ciel. […] Pourquoi êtes-vous aussi effrayés par la disparition de la mort, nous ne savons pas si elle a disparu, nous savons seulement qu’elle a cessé de tuer, ce n’est pas la même chose […] si les êtres humains ne mouraient pas, tout deviendrait permis, Et serait-ce un mal, demanda le philosophe âgé, Un mal aussi pernicieux que de rien permettre (...)
(p. 40) - La mort en grève - Saramango
c'est profond !
Le refuge de Jankélévitch, c'était la musique.
Pour vous ce témoignage de Vera Feyder.
"Je l'ai rencontré grâce à Violette Morin ; à ma demande elle m'a emmenée chez lui. J'ai reconnu la voix et découvert le visage. Un air de bonté, presque de tendresse, un visage d'une mobilité extrême, de la douceur et de l'humour dans le sourire, une impression de fragilité et de courage en même temps.
Je cherchais alors à rassembler pour la librairie Plon ses écrits sur la musique, moins connus que ses ouvrages philosophiques. Ce projet l'étonna : "Il va falloir racheter les droits chez plusieurs éditeurs, je devrai remanier les textes, les compléter, parfois les refaire et je suis déjà surchargé. Et vous en vendrez 500 ! "
Néanmoins Plon accepta le risque et le projet prit corps. Nous nous revîmes plusieurs fois, nous décidâmes du titre : "De la musique au silence" et du nombre e volumes.
Je me souviens de nos rencontres pour le tome I "Faure et l'inexprimable". Il fallait trouver un thème musical pour illustrer la jaquette. Nous étions chez lui ; il s'est mis au piano sans partition, chantonnant, tout en jouant, transporté par son seul contact avec le clavier. Il joua longtemps, alla d'un thème à l'autre ; il hésitait, voulait trouver quelque chose qu'il aime complètement et qui corresponde bien au texte. A la fin il choisit une phrase du quatuor no 2, (...)
Je n'avais jamais vu pour ma part une telle familiarité avec la musique, une sorte de connaissance amoureuse, plus particulièrement avec le piano : "Celui, dit-il, qui pénètre dans le monde du piano a le sentiment d'entrer dans un jardin merveilleux où tous les enchantements deviennent possible. On dirait que pour lui la vraie clé de l'univers est la musique. Il la lit ainsi que nous lisons un poème et quand il joue il semble improviser, aller à la rencontre de chaque phrase comme on s'avance au-devant des vagues ou comme on va à un rendez-vous. La musique est déjà dans son âme."
Ce texte n'est pas de Vera Feyder mais d'Anne Philipe. Les pages de ma revue "L'Arc" se sont mélangées ! Depuis 1979, les pages ont souffert mais j'y tiens beaucoup c'est un numéro créé pour faire mémoire à Jankélévitch.
Retour au roman de Jérôme Leroy.
Comme je n'ai pas tout compris, je viens de me plonger dans l'observation des portraits de Frans Hals. Souvent des personnes seules, mais toutes en relation avec un absent qui reste invisible.
Comme pour Alexandre le semblable n'est reconnu que par le semblable. Alexandre pour cheminer vers la vérité d'Adrien Vivonne doit passer par lui-même . Comme s'il fallait une égalité entre eux. Il ne peut développer l'image d'Adrien, l'unité de son existence qu'à partir de sa propre vie intime. Il ne peut d'approcher de la vie d'Adrien qu'en le devenant. S'identifier à l'ennemi pour lui échapper. Mais l'autre s'efface en lui. Et il se retrouve face à sa difficulté d'aimer. Alexandre est assez narcissique...
La présence de l'autre ne dépend que de sa mémoire et de celles qui l'ont connu. Le plein du vide.
C'est très fort . Un entre-deux en impasse.
C'est cette histoire, entre ces deux là, la plus importante du livre.
Dans une nouvelle peu connue de Charles Hugo, Crapouillet, Charles fait apparaître pour l’enterrement de l’oiseau éponyme, au dernier chapitre, ces frères et sœurs alors enfants: Léopoldine, Adèle, lui-même, et François-Victor. C’est d’autant plus beau que le lecteur ne soupçonne rien antérieurement…MC
Jolie mémoire.
Les enfants aiment les rites. Les cimetières les terrifient et les attirent. Je pense aux belles scènes du film "Jeux interdits" où les deux enfants font un cimetière miniature pour le chien et autres bestioles mortes et quand ils piquent les croix du cimetière pour décorer leurs tombes (avec comme fond sonore la furie du père n'en pouvant plus de leurs "bêtises".)
Il me semble qu'Alexandre Garnier invente Adrien Vivonne. Comme cette adolescence dans la même ville, comme les souvenirs de collège. Cet Adrien Vivonne a disparu, laissant quelques livres qui ont trouvé leur public. Dans cette France complètement saccagée politiquement et climatiquement, dans cette panne des réseaux internet qui rendent l'âme les uns après les autres, il rêve d'un autre monde plus doux, quelque dans l'archipel grec, aussi chimérique que le conte qui ouvre et ferme le roman.
Face à cette oppression qui l'empêche de vivre, de respirer, de dormir, il imagine par l'écriture d'une pseudo biographie un Adrien Vivonne imaginaire. Il s'imagine même en rade à 100 ans toujours rêvant d'un passage vers un monde meilleur.
Je ne crois pas qu'Adrien Vivonne soit le personnage essentiel du roman, celui qui le porte de bout en bout c'est cet homme imparfait, vaniteux, mais aimant les livres. Toute une série de romanciers, de poètes courent dans le roman, ses soutiens intellectuels. Ce pauvre type invente l'utopie d'un monde parfait.
Vu comme ça, j'aime bien ce roman insoupçonnable.
Mais je crains être dans une lecture très personnelle...
Je lis Paul Edel. Très fine évocation.
En écho, une nouvelle de Pavese très brève. "Fin août" ("vacance d'août ").
"(...) Il y a dans mes souvenirs d'enfance quelque chose qui ne tolère pas la tendresse charnelle d'une femme - même de Clara. Dans ces étés qui ont désormais dans mon souvenir une couleur unique, somnolent des instants qu'une sensation ou un mot réveillent soudain, et aussitôt commence le désarroi de l'éloignement, l'incrédulité de retrouver tant de joie dans un temps disparu et presque aboli. Un enfant - était-ce moi ? - s'arrêtait la nuit au bord de la mer et humait le vent - non pas le vent habituel de la mer, mais une bouffée soudaine de fleurs brûlées par le soleil, exotiques, palpables. Cet enfant pourrait exister sans moi ; en fait il a existé sans moi et il ne savait pas que sa joie renaîtrait, incroyable, après bien des années, chez un autre, chez un homme. Mais un homme suppose une femme, la femme ; un homme connaît le corps d'une femme, un homme doit etreindre, caresser, écraser une femme (...). L'homme et l'enfant s'ignorent et se cherchent, ils vivent ensemble et ne le savent pas, et quand ils se retrouvent, ils ont besoin d'être seuls."
C'est comme une transfiguration qui aboutit à la fin du conte (épilogue).
Ah, ce roman est excellent. Quel écrivain ! Ce surgissement de la vie idéale d'Adrien vient visiter Alexandre au pire moment, celui de son déclin. Peut-être un pressentiment de la mort. Alexandre s'enferme dans son bureau et écrit à travers cette biographie imaginaire ce qu'il aurait aimer être.
C'est pour cela que ce récit m'a paru flotter, dérivant sur une quête sans fin. C'était une béance. Du temps sans lui créé par lui. Douloureuse évidence de son absence au monde dans le passé avec ses petites lâchetés et dans le futur grâce à sa culture et son écriture. Comme si cette réalité restait hors d'atteinte sauf dans la féerie du conte. C'est l'issue qu'il a trouvée. Quel pouvoir enchanteur que la poésie de ce texte.
Vous avez eu mille fois raisons de choisir ce texte de Jérôme Leroy mais j'avais besoin de le traduire dans mon univers.
Mais sans lien avec ce qui précède…
Un lien ? L'écriture... Quelle soit celle de Jérôme Leroy, de Soleil vert, de Paul Edel, de Pavese, de Jankélévitch , de Hugo, de MC.....
C'est un peu le thème de ce roman "Vivonne" : créer par l'écriture un autre monde, une autre façon de penser. Poésie ou non, c'est une merveilleuse façon de vivre un peu ici, un peu ailleurs...
Et la lecture cueille au fil des pages un peu de l'autre, un peu de soi, un peu d'ici un peu d'ailleurs, un peu de maintenant, un peu d'hier et aussi de demain...
Tiens, en parlant d’ Hugo, il se peut que quelque chose sur la Fin de Satan me tombe sur la tête ! Ce serait dans le cadre d’un colloque intitulé « Ésotérisme et Littérature ». Mais ne rêvons pas trop…
« Un lien ? L’ ecriture! ». Je n’y avais pas pensé, mais oui, avec un brin de sophistique…. MC
Non, pas fausse. MC
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