Virginia
Woolf - Vers le Phare - Folio classique
Quelque temps avant le début de la Première guerre mondiale, une famille
et quelques amis passent une soirée dans une ile au large de l’Ecosse. Dans les
sujets abordés surgit l’idée d’une excursion en bateau vers un phare. Les
prévisions météorologiques semblant défavorables le projet est remis sine die.
Puis éclate la guerre. Bien des années plus tard les survivants reviennent dans
la maison abandonnée.
Vers le Phare (To the
Lighthouse) est un des romans les plus célèbres
de Virginia Woolf née Adeline
Virginia Alexandra Stephen en 1882 à Londres et décédée en 1941. De fréquents
épisodes dépressifs marquèrent une existence cependant brillamment remplie,
nourrie de la création d’œuvres novatrices et de l’animation de la vie
intellectuelle britannique. Elle se lia d’amitié avec H.G Wells et le poète
américain T.S Eliot. Fondatrice des éditions Hogarth Press, elle eut en mains
le manuscrit d’Ulysse de James Joyce qu’elle refusa. Elle épousa en 1912
Léonard Woolf et eut une liaison avec la poétesse Vita Sackville-West. Par
l’écriture et l’existence, en tant que femme et artiste, Virginia Woolf n’eut
de cesse de revendiquer sa liberté, desserrant en quelque sorte le corset
victorien imposé alors au « deuxième sexe ».
Les quelques lignes du premier paragraphe peuvent
sembler rapides Elles résument cependant un roman largement autobiographique où
selon la formule consacrée l’introspection prend le pas sur l’intrigue. Le
lecteur plonge dans l’esprit des différents personnages, succession de
méditations individuelles et d’observations évènementielles où l’imaginaire de
la pensée se déploie en vagues successives. Mrs Ramsay occupe la place
traditionnelle dévolue aux femmes de son époque. Mère de huit enfants,
l’hôtesse et âme de ces lieux prend soin des invités. Elle craint et aime son
mari un professeur d’université distant et carriériste, mais néanmoins amoureux
d’elle. Charles Tanslay, jeune homme pauvre, ambitieux et surtout maladroit
tente de le suivre dans son sillage. D’autres caractères moins austères
complètent le tableau : Lily Briscoe justement, peintre de son état et
double de Virginia Woolf, au grand dam de Tanslay qui dénie tout talent aux
femmes, Augustus Carmichael, vieux poète isolé dans son coin, William Banks
botaniste réfugié dans ses livres.
Le récit est divisé en
trois parties, la première consacrée à la soirée dans l’ile de Skye, la
troisième à la promenade en mer. Entre les deux l’auteure britannique a conçu
un interlude intitulé « Le Temps passe », à l’image de ces pièces de théâtre
où le rideau tombe clôturant un acte ; l’éclairage s’éteint et un récitant
jette un pont entre deux époques. Le récitant ici est le Temps lui-même et ses
mains impitoyables : la nature insensible prompt à effacer les êtres et les
choses dans son châtiment végétal, le vent chasseur de souvenirs d’une maison
abandonnée. Inspirateur de Marcel Proust et de la Recherche, le philosophe Henri
Bergson a-t-il aussi guidé Virginia Woolf : « […] la vie au lieu d’être faite de menus incidents distincts vécus
l’un après l’autre, se ramassait et se recourbait comme une vague qui vous soulève
et vous précipite ensuite, dans un jaillissement d’écumes, là sur la grève »?
La description du fort lien affectif unissant le petit James et sa mère Mrs
Ramsay au début du roman, le père intrus, nous ramènent d’ailleurs aux
premières pages de Combray.
Le texte se clôt sur la
ballade en mer et l’achèvement de la toile de Lily Briscoe. A mi-chemin du
roman et de la poésie To the Lighthouse,
publié en 1927 ouvrit une nouvelle page de la littérature au même titre que les
contributions des contemporains de Virginia Woolf cités ici.
On se fera une idée de la
beauté de cette écriture en lisant un extrait issu de la seconde partie :
« Mais après tout qu'est-ce qu'une nuit ? Un court
espace, surtout quand les ténèbres s'estompent si vite, et que si vite un
oiseau siffle, un coq chante, un vert tendre s'avive, comme une feuille
naissante, au creux de la vague. La nuit, pourtant, succède à la nuit. L'hiver
en tient tout un jeu en réserve qu'il distribue également, régulièrement, de
ses doigts infatigables. Elles allongent ; se font plus sombres. Il en est qui
portent en leur ciel des planètes brillantes, des disques de clarté. Les arbres
d'automne, tout ravagés qu'ils sont, ont l'éclat de drapeaux en lambeaux
rougeoyant dans l'ombre fraîche des caveaux des cathédrales où des lettres d'or
sur des pages de marbre racontent la mort au combat et les ossements blanchis,
calcinés, tout là-bas dans les sables des Indes. Les arbres d'automne luisent à
la clarté jaune de la lune, à la clarté des lunes de moissons, celle qui mûrit
le fruit du travail, lisse les chaumes et bleuit la vague qui doucement se
brise sur la grève.
On eût dit à présent que, touchée par le repentir des
hommes et tout leur labeur, la bonté divine avait entrouvert le rideau et
révélé à notre vue, seul et distinct, le lièvre dressé ; la vague qui retombe ;
la barque qui tangue ; toutes choses qui, si nous les méritions, seraient
nôtres toujours. Mais hélas, la bonté divine tire le rideau, d'un coup sec ;
tel n'est pas son bon plaisir ; elle cache ses trésors sous un déluge de grêle
et tant les brise, et tant les mêle qu'il paraît impossible que leur calme nous
soit jamais rendu ou que nous puissions jamais composer à partir de leurs
fragments un ensemble parfait ou lire dans les débris épars les mots clairs de
la vérité. Car notre repentir mérite tout juste un aperçu ; notre labeur, tout
juste un répit.
Les nuits à présent sont pleines de vent et de saccage ;
les arbres plongent et se courbent et leurs feuilles tourbillonnent pêle-mêle
avant de tapisser la pelouse, de s'entasser dans les chéneaux, d'engorger les
conduits et de joncher les sentiers détrempés. La mer aussi se soulève et se
brise, et si quelque dormeur, imaginant trouver sur la plage, qui sait, une
réponse à ses doutes, un compagnon de solitude, rejette ses draps et descend
marcher seul sur le sable, aucune image d'apparence secourable et divinement
empressée ne se présente aussitôt à lui pour restaurer l'ordre dans la nuit et
amener le monde à refléter le champ de l'âme. La main s'amenuise dans sa main ;
la voix mugit à son oreille. Pour un peu il semblerait inutile au milieu d'une
telle confusion de poser à la nuit ces questions sur le quoi, le pourquoi et
pour quelle raison, qui incitent le dormeur à déserter son lit pour chercher
une réponse.
[Mr Ramsay, titubant le long d'un couloir, tendit les
bras un matin sombre, mais, Mrs Ramsay étant morte assez soudainement la nuit
précédente, il tendit les bras. Ils restèrent vides.] »
2 commentaires:
j'avais lu "les vagues"..Magnifique! Celui ci me parait moins accessible,mais why not?
Il est lisible (pour moi en tout cas)
En relisant l'extrait posté dans cette chronique, je me suis remémoré Les Hymnes à la nuit de Novalis
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