mardi 30 juillet 2019

In memoriam Dennis Etchison (1)



Dennis Etchison - Les domaines de la nuit - Les belles lettres







« Ce matin, j’ai mis du verre pilé dans les yeux de ma femme. Ça ne lui a rien fait. Elle n’a pas émis un son. Comme d’habitude »

La ligne de démarcation 



Si les romanciers de talent arrivent avec un peu de chance à percer le plafond de verre de la notoriété, la partie est autrement difficile pour les novellistes. Il faut vraiment tutoyer les sphères célestes pour se faire un nom dans ce domaine. En littérature de genre, ce fut le cas de James Tiptree à l’aube des années 70 et de Dennis Etchison dans les eighties. En fait le natif de Stockton en Californie avait publié ses premiers textes en magazine vingt ans auparavant, mais les éditeurs sollicités pour une compilation en recueil avaient fait faillite les uns après les autres. Heureusement la rencontre de John Carpenter ou de David Cronenberg lui offrit l’occasion de travailler sur des adaptations romanesques des films The Fog, Halloween 2, Halloween 3 Videodrome, jobs alimentaires certes mais auxquels il prit plaisir. A l’instar d’autres, il poursuivit une carrière d’écrivain, de scénariste et d’anthologiste. Comme Tiptree, il demeure avant tout dans la mémoire de ses admirateurs comme un nouvelliste brillant. En France, une sélection de ses textes courts a été réunie en deux volumes aux éditions Les Belles Lettres Les domaines de la nuit et Rêves de sang.



Bien qu’amateur de récits de science-fiction Etchison expliquait qu’il avait très vite trouvé sa voie dans le registre du fantastique et de l’horreur et ne l’avait plus lâché par la suite. De plus, avec l’émergence de Stephen King et Peter Straub, le genre devenait vendeur. On est d’autant plus surpris en lisant les deux premières fictions des domaines de la nuit « Seulement la nuit » et « Assis dans un coin à gémir doucement » d’y trouver une légère parentèle avec la new wave, mouvement littéraire SF que n’appréciait pas l’auteur. Et pourtant, comme Ballard, il exploite à merveille comme dirait Jérôme Leroy, les non-lieux de la modernité - ici une aire d’autoroute, là une laverie automatique -.



Photo : Noel Kerns / Road Trip Crush Station 1

On peut essayer de grouper les seize textes du recueil, caractérisés par un style subtil voire expérimental, en deux paquets. D’une part l’attaque frontale de l’horreur avec par exemple « Fille de l’ouest » sur le thème de la goule cannibale, la trilogie médicale exploitant les thèmes du don ou du trafic d’organe « La machine exige un sacrifice », « J’appelle tous les monstres » et l’emblématique « La ligne de démarcation ». Ensuite des récits à l’écriture complexe dont la chute survient sans fracas ni tambour. « Les domaines de la nuit » relate une histoire de meurtre dans une station balnéaire mexicaine, la narration se déploie avec une infinie lenteur comme ces récits sudistes au cours languissant qui finissent dans une explosion de violence. L’intrigue, tel un rapace, effectue de grands cercles, semble s’éloigner de son sujet avant d’empoigner le lecteur. En revanche je suis passé à côté de « L’homme qui marche » (une femme cherche à se débarrasser de son mari). « Maintenant tu peux y aller » pousse plus loin l’originalité en présentant deux récits différents subtilement reliés. Le titre et le final évoquent curieusement l’épilogue des Misérables de Victor Hugo (1). Le remarquable « Faucon de nuit », baigne dans une atmosphère étrange. Deux petites filles s’interrogent sur les marques de griffure présentes sur un de leurs poneys.



Puisqu’il faut céder au rituel arbitraire de la hiérarchisation, je placerai en tête « La ligne de démarcation ».et son début dévastateur - qui relate paradoxalement l' acte d'amour désespéré d'un homme pour sa femme - , « Les domaines de la nuit », « Maintenant tu peux y aller » et « Le Faucon de nuit ». Pas exceptionnels mais très bons m’ont semblé « Seulement la nuit », « Fille de l’ouest », « La machine exige un sacrifice », « J’appelle tous les monstres », « Nous somme tous passés par là », qui met en scène une psy assistant la police dans ses enquêtes. Un peu en retrait, je citerai l’amusant « Le boniment » : un démonstrateur de magasin s’amuse à ôter les sécurités des robot ménagers vendus. « Assis dans un coin à gémir doucement » raconte la rencontre nocturne inquiétante dans une laverie du narrateur avec une criminelle. Le récit « Les travailleurs de la nuit » évoque « La machine exige un sacrifice ». Mais le second m’a semblé plus tranchant (si l’on peut dire).Sans doute un des premiers textes de l'écrivain  « Offre spéciale du jour » une histoire de cannibalisme très (trop) classique a beaucoup vieilli,  « L’homme qui marche » rate la cible et j ’avoue avoir zappé « Bandes-mort » et « Il ne tardera plus à arriver »



Essaie d’incendier la nuit dit un des personnages des travailleurs de la nuit. Tu l’as fait Dennis, tu l’as fait sans conteste.

















Seulement la nuit (1976, It only Comes Out at Night)

Assis dans un coin à gémir doucement (1976, Sitting in the Corner, Whimpering Quietly)

L'Homme qui marche (1976, The Walking Man)

Nous sommes tous passés par là (1979, We Have All Been Here Before)

Fille de l'ouest (1973, Daughter of the Golden West / A Feast for Cathy)

Le Boniment (1978, The Pitch)

Maintenant, tu peux y aller (1980, You Can Go Now)

Offre spéciale du jour (1972, Today's Special)

La Machine exige un sacrifice (1972, The Machine Demands a Sacrifice)

J'appelle tous les monstres (1973, Calling All Monsters)

La Ligne de démarcation (1979, The Dead Line)

Les Travailleurs de la nuit (1980, The Late Shift)

Le Faucon de nuit (1978, The Nighthawk)

Il ne tardera plus à arriver (1979, It Will Be Here Soon)

Bandes-mort (1982, Deathtracks)

Les Domaines de la nuit (1981, The Dark Country)



Source BDFI











(1)   Maintenant, vous êtes libre. Une exception car les personnages de Dennis Etchison connaissent généralement une fin sans repos

1 commentaire:

Biancarelli a dit…

Renversant! Connaissais pas du tout mais qui en dit long sur la nature humaine et sa face cachée.