Ernst Wiechert - Le Buffle
blanc - Poche
Quelque part sur les rives du Gange, à une époque
indéterminée, un adolescent du nom de Vasudeva assiste
impuissant au pillage de son village par une bande armée. Sa soif de vengeance
est contrariée un temps par les paroles d’apaisement de sa mère qui attribue
aux seuls Dieux l’exercice de la justice. Mais les passions l’emportant il fuit
dans les forêts et devient un chef de guerre redouté jusqu’à ce qu’un massacre
de trop réveille sa conscience.
Le Buffle blanc est une fable, un conte, rédigé par
un certain Ernst Wiechert, auteur qui connut un certain succès dans les années
trente. Bien que l’émergence des Thomas Mann, Stefan Zweig, Hermann Hesse ait
éclipsé depuis longtemps sa notoriété, son courage et son talent méritaient
cette réédition. Ses œuvres, dont celle-ci publiée en 1936, lui valurent les
foudres de Goebbels. Pire, à suite du pasteur Martin Niemöller, il critiqua le
régime nazi et fut interné trois mois à Buchenwald. Son passé de soldat de la première
guerre mondiale plusieurs fois médaillé lui évita le pire mais le réduisit au
silence.
Le Buffle blanc est en effet une méditation sur le
Pouvoir et la Justice, la violence et la loi, l’une tentant de se substituer à
l’autre, ainsi que le formulait Pascal : « on n' a pu donner la force à la justice, parce
que la force a contredit la justice et a dit qu' elle était injuste, et a dit
que c' était elle qui était juste. Et ainsi ne pouvant faire que ce qui est
juste fût fort on a fait que ce qui est fort fût juste. » La
première partie du roman évoque l’errance spirituelle d’un Vasudeva révolté par
l’injustice à la recherche d’un chemin de vérité. Dans la seconde, simple
mendiant venu demander réparation pour la mort d’un buffle il affronte un
seigneur de guerre :
« Le pouvoir doit être une chose bien fragile pour avoir peur de moi.
Peur d’un pauvre et d'un inconnu des forêts du fleuve sacré. Mais tu es plus
pauvre que moi, car tu es pris de vertige quand tu regardes sous tes pas. Il te
manque la justice. Tu souris ? Tu te moques ? Tu penses que c'est le rêve des
pauvres, un mensonge, une chaîne furtive autour du cou des puissants ? Mais
c'est plus que cela. Quand l'idée de justice s'est imposée à nous, nous avons
cessé d'être comme le meurtrier de la forêt, car les Dieux ont touché notre
cœur de leurs doigts. Mais la justice n'existe qu'entre les hommes. Quand le
cavalier a ordonné de tuer le buffle, il était moins que l'animal tué. Il a
frappé ce qui était sans défense parce que cela lui plaisait. Il aurait pu se contenter
de tuer le vieil homme, les femmes, les enfants, moi, tout le village. Il se
serait enfui à cheval et la forêt se serait couverte de son méfait. Tu
n'aurais rien su de tout cela, mais les Dieux l'auraient su. La
terre aurait été violée et tu en aurais été responsable. Toi seul, car
le puissant est responsable de toute larme versée dans son royaume!
Car les rois devraient être là pour que la terre ne souffre pas de
honte. On doit courir vers les rois et non les fuir. Il faut guérir de la
violence. Le destin m'a envoyé pour te guider. Personne ne t’a encore guidé,
personne ne t'a parlé sans regarder ton sourire pour voir si ce qu'on te disait
te plaisait. Si ignorant est le pouvoir, si solitaire, si terriblement
éprouvant. Le vieil homme de mon village, qui attend le buffle blanc, tient ton
sort dans ses faibles mains. Les Dieux sont du côté des humbles, seigneur Murdu. »

139 commentaires:
IL y a vraiment un D majuscule à tous ces dieux.., dans ce livre ?... Merci du rappel de Pascal sur le fort et le juste, que l'on a beaucoup méditée dans le rapport de la police, du pouvoir politique et de la société... Bonne chance pour votre nouveau billet, et la découverte de cet auteur...
Oh, nous allons être bien dans cette nouvelle. Merci, Soleil vert, d'avoir choisi la métamorphose d'un cœur avide de Vengeance en un ami du buffle blanc.
Écrit en Allemagne en ces années terribles, juste avant la guerre, cet homme avait bien du courage...
JJJ, ici. Joie supplémentaire. Bon, la nuit est de bon augure.
Un auteur dont les livres sont une merveille d’humanité. Lisez celui- ci,vous serez cueillis.
et on peut rajouter Le roman d’un berger,je me souviens de cette phrase”Mieux vaut chérir le monde que le conquérir ’’. Tellement intemporel.
Merci pour ces leçons de vie en ces temps incertains.
Libraire
Vous connaissez avec profondeur bien des livres, Libraire.
Si vous êtes vraiment libraire, je vous imagine dans un quartier calme, acceptant la présence de lecteurs s'attardant sur un livre, voire même le lisant comme autrefois chez Marcel Bealu, "Au Pont traversé". Vous posez sur les livres un regard qui n'est pas celui d'un critique littéraire mais celui d'un berger aimant la clarté des étoiles, leur sérénité.
Une manne de mots, une espèce de compassion pour le vivant, un ciel échoué au bord des combes.
Je crois aussi que ce livre est bien choisi, que la métamorphose de Vasudeva va gagner le lecteur .
Merci beaucoup pour ces compliments .La lecture est un merveilleux remède. Je peux lire aussi Leonor De Recondo. Très belle chronique dans Just a world sur son dernier roman.
Libraire
D'elle j'ai lu une fiction bouleversante. Michelangelo part à Carrare choisir un bloc de marbre pour le tombeau de Jules II pour oublier la mort d'un homme qu'il aimait. Un jeune homme très beau. Il ignore ce qui a pu le faire basculer de la vie à la mort.
Je crois que dans ses fictions, Léonor de Recondo, suit un chemin de crête, cet instant de bascule de la vie à la mort Elle conduit comme elle peut dans des récits courts une quête invraisemblable pour puiser dans sa mémoire tant de vie frémissante que la mort, un instant, lui offre son absence. Elle est pourtant jeune pas encore prête à abandonner la lutte.
Je n'ai pas lu le récit que vous évoquez.
Demain, j'ouvrirai ce roman dont vous et Soleil vert faites l'éloge.
En attendant je butine encore mon livre secret. Alors là, Dieu pourrait s'écrire en majuscules mais lui, l'auteur, lui échappe par son amour de la terre, des bêtes, de la marche, le tenant à distance pour mieux l'aimer, pour laisser un désir intact entre lui et l'être aimé. Un marcheur qui monte aux estives avec une charge légère : les "Géorgiques" de Virgile. Dans sa petite maison quand il redescend il entend le Temps grâce à l'horloge comtoise. Il a fait tourner la clef dans les trous du cadran, remonté les poids, imprimé au balancier son mouvement
"Alors le Temps a commencé."
La lecture... la seule façon de fracturer le Temps...
Je ne sais pas pourquoi, la flèche que porte sur lui Vasudeva m' a fait penser au titre d'un vieux et beau western, La flèche brisée. SV
Je me souviens de ce western. C'était la première fois où à travers le personnage de Cochise les Indiens étaient considérés comme des êtres humains capables de loyauté. On sortait enfin des clichés où ils étaient le mal incarné, des ennemis cruels. Un regard s'éveillait sur un peuple, des coutumes, une civilisation.
La flèche brisée comme une volonté de paix.
La mère de Vasudeva a un rôle pacificateur dans votre billet mais le temps sera long avant que Vasudeva émerge de la colère et de la furie.
J'ai hâte de découvrir ce livre. Demain, s'il est arrivé...
Je n'ai pas lu celui-là, mais j'ai vraiment beaucoup aimé un autre roman d'Ernst Wiechert, le plus connu sans doute, publié juste après la 2ème guerre mondiale : Les enfants Jéromine. C'est un classique en Allemagne, un roman-fleuve, un roman d'éducation (celle du jeune Jons qui deviendra médecin) avec quelque chose d'une saga familiale mais aussi d'une chronique villageoise et forestière en Prusse orientale.
e.g.
Les romand d'Ernst Wiechert semblent opposer à un temps sombre et terrible, par l'imaginaire, un autre monde possible où la fraternité, l'amitié seraient une possibilité d'échapper à un certain désespoir.
C'est bon de découvrir cet écrivain en ce temps - le nôtre - où les totalitarismes se multiplient comme les guerres, comme la logique d'une destruction totale de l'humanité.
"Ses œuvres, dont celle-ci publiée en 1936, lui valurent les foudres de Goebbels. Pire, à suite du pasteur Martin Niemöller, il critiqua le régime nazi et fut interné trois mois à Buchenwald."
La force de ses livres a donc déclenché la réponse haineuse des nazis .
C'est bien de lui donner une place, ici.
Il y avait plusieurs secteurs à Buchenwald…. MC
J'aime le dialogue dans l'émission "Réplique" de ce matin, sur France Culture, d'Alain Finkielkraut et de Laurent Mauvigner sur les massacres de la guerre de 1914, en début d'émission.
Cette façon aussi d'interroger le mélange du réel et de la fiction dans cette recherche généalogique. Pour Alain Finkielkraut, peut-être un désir de boucher les trous des histoires non dites qui sont dans les familles, dans cette famille. Mauvigner donne son regard, en écrivain.
A.F. s'attarde sur le prologue du roman, l'interroge habilement.
"Des paroles ou des bruits entendus, et qui nous ont pénétrés, peut-être à notre insu, remuent en nous un monde ignoré de nous-mêmes." ( René Boylesve).
Puis le temps passe. La Libération de l'autre guerre, celle qui va percuter l'enfant du non-dit.
Pierre Assouline a évoqué également ce roman dans son dernier billet.
A "La Grande Librairie" de mercredi, Mauvigner était aussi sur le plateau.
Que de bruit autour de ce roman ! Je résistais à la tentation de le lire à cause de ce brouhaha mais l'envie m'en vient...
Il semble dans cette généalogie que se succèdent de douloureuses histoires de femmes.
Toutefois, je reste ce jour dans l'attente du roman d'Ernst Wiechter, "Le buffle blanc". Il sera ma priorité. La pensée de Soleil vert ondulé comme le lit d'un fleuve traversant une vie. Toujours vers plus d'humanité.
"La postface des éditeurs, instructive, conclut ainsi : « Chez Wiechert, écouter l’être non pas en tant qu’être, mais l’être en tant qu’autre est le premier pas qui mène hors de la haine. Et c’est peu dire que notre temps réclame cet élan », écrit Soleil vert à 22:04 ce 11 septembre.
Laurent Mauvignier
Même souci avec ce passage dans le billet de Pierre Assouline : "C’est parfois par l’invention que l’histoire peut parfois survivre à l’oubli » .
Il se peut aussi que l'invention échappe à la généalogie, entre dans la littérature de l'imaginaire et laisse le lecteur aller seul sur le chemin que l'auteur lui a désigné. L'écriture fait parfois un détour. Les personnages acquièrent de la signification dans l'atmosphère du roman. On n'est plus ficelé par le réel, on est libre. Mais la vie d'avant n'est pas engloutie. L'histoire vient me toucher. D'elle, part un chemin initiatique. Je peux vivre avec elle, rêver. La force vivifiante avec laquelle l'auteur crée un monde, cette fluide lourdeur gagne l'espace de la page.
L'écrivain a donné son écriture. Et comme je le lisais sur le fronton des bâtiments du Trocadéro, "Il dépend de celui qui passe que je sois tombe ou trésor. Ami n'entre pas sans désir."
Cette phrase de Paul Valéry m'accompagnait alors que j'entrais par une volée de marches dans l'enceinte sacrée du théâtre, le TNP de Jean Vilar... Mes premières émotions littéraires cueillies à la bouche des comédiens. Des textes qui résonnent dans ma mémoire comme Le prince de Hombourg.... Les Caprices de Marianne... Le Cid...
En ce tard de ma vie... la Lecture.
L'exacte citation de Paul Valéry au fronton du Palais de Chaillot : « Il dépend de celui qui passe - Que je sois tombe ou trésor - Que je parle ou me taise - Ceci ne tient qu'à toi - Ami n'entre pas sans désir » (1937).
https://de.wikipedia.org/wiki/Der_Totenwald
"WIECHERT ERNST
(1887-1950)
Originaire de Prusse-Orientale, Ernst Wiechert, né en 1887, est un des écrivains allemands dont l'œuvre, aussi bien littéraire que pédagogique, a le plus marqué la génération de l'entre-deux-guerres. Son propre destin s'articule d'ailleurs autour des deux conflits. Pendant la Première Guerre mondiale, il se trouve au front en qualité de soldat, puis d'officier : c'est pour lui le naufrage de tout un système de valeurs. Très profondément blessé moralement, il va se réfugier dans un système philosophique caractérisé par la haine de toute violence et un pessimisme radical en ce qui concerne l'avenir de notre civilisation. Cela ne l'empêche pas, d'ailleurs, de prendre la parole pour dénoncer les méfaits du national-socialisme. En 1933, il abandonne sa chaire d'enseignement pour se consacrer entièrement à son activité d'écrivain. Il sera donc l'un des rares écrivains...."
universalis.fr
"Il sera donc l'un des rares écrivains allemands de quelque envergure qui préfère ce que l'on a appelé « l'émigration intérieure » à l'exil. Paradoxalement, cette attitude de refus passif du régime ne l'empêche pas, en 1938, d'intervenir vigoureusement et fort courageusement en faveur du pasteur Niemöller et de l'écrivain Eduard Spranger. Les lettres sans ambiguïté qu'il adresse aux puissants du jour lui valent un internement de deux mois à Buchenwald. Après l'effondrement du Troisième Reich, Wiechert se prend à espérer que l'Allemagne va retrouver le sens de ce qu'il considère comme les valeurs authentiques. Déçu par l'évolution politique, l'écrivain, dont l'audience connaît une baisse sensible, s'installe en Suisse où il...."
"il s'installe en Suisse où il meurt en 1950.
« Parfois incapable d'affronter la vie quotidienne, ni héros ni conquérant, de nature plus contemplative qu'active, très tôt enclin à sublimer ce qui sort de l'ordinaire et à prendre la fuite devant le réel pour se réfugier dans l'irréel. » Ce portrait sans complaisance de Wiechert par lui-même, pour partial qu'il soit (Wiechert a en fait osé, à plusieurs occasions, affronter à visage découvert le fascisme), donne pourtant une image assez exacte de sa philosophie. Dès 1924, il prêche le retour aux « vraies » valeurs, à la nature, à l'instinct, à l'émotion (Der Totenwolf) et il ne cessera de répéter ce message dans son œuvre, très abondante. La Commandante (Die Majorin, 1934) nous parle d'une humanité simple, désintéressée, se consacrant à des œuvres de bienfaisance dans le cadre un peu étriqué de la petite ville. Très caractéristique également, l'histoire de cet officier de marine (La Vie simple, Das einfache Leben) qui abandonne sa famille à la fin de la guerre pour aller vivre sur une île déserte, à l'abri des agressions du monde moderne. Les Enfants Jéromine (Die Jerominkinder, 1945-1947) mettent en scène un jeune paysan prussien épris de liberté, peu à peu déçu par son époque, qui s'éloigne de la société et même de la religion pour se cantonner dans une existence humble et modeste. Bien qu'il ne croie pas que l'on puisse changer le monde, que l'essentiel se fait à l'écart du tumulte de la vie moderne et que l'essentiel pour l'homme moderne est de sauver son âme, Wiechert n'a jamais...."
"Wiechert n'a jamais renoncé à exercer par ses écrits une influence sur l'esprit de son temps, comme en témoigne le Discours à la jeunesse allemande de 1945. Mais l'œuvre reste marquée par une tonalité générale de pessimisme et de résignation. Missa sine nomine (1950), testament littéraire de l'écrivain, ne fait pas exception à la règle.
Ernst Wiechert, « l'émigré de la réalité », a su exprimer le désarroi d'une génération dépassée par son destin et qui a cru pouvoir trouver un refuge dans les valeurs...."
"cru pouvoir trouver un refuge dans les valeurs traditionnelles."
— M. NUGUE (article pour Universalis.fr)
Étrange conte sombre, implacable. Ernst Wiechert savait en l'écrivant ce qu'il provoquerait car il y dénonçait la barbarie nazie son pouvoir maléfique et sa domination cruelle et sanguinaire.
Son choix de faire reposer ce conte philosophique d'abord sur un jeune ivre de vengeance, tuant sans état d'âme avec dans son cœur la présence d'une mère aimée, vénérée à laquelle il ne peut obéir tant l'injustice le broie et lui intime d'être dans une Résistance violente.
Trouver la faille, ce haut-le-cœur devant trop de sang versé.
Arrive alors ce buffle blanc tué par les sbires du tyran. Buffle qui était la seule richesse d'un paysan pauvre.
Et là , Vasudeva fait basculer le conte. Un dialogue haletant l'oppose au tyran à qui il demande justice. S'affrontent alors deux pouvoirs : celui du tyran qui ne sait qu'oppresser, humilier, exigeant que Vasudeva se prosterne devant lui et celui tout aussi puissant de ce jeune homme qui refuse de se prosterner devant lui.
Puissance qui accepte la mort, la prison, le sacrifice.
Le conte devient effrayant, évoquant, ô combien, le Mal terrifiant des nazis. Tout a beau être évoqué par le truchement d'une Inde imaginaire aux charmes exotiques, les lecteurs ne s'y trompent pas.
Livre courageux, terrible, beau qui fouaille le cœur comme une lame.
Je n'ai pas trouvé de douceur dans ce conte mais un désir d'emprise de la violence sur les fragiles, les doux. C'est un long sacrifice où la victoire de la non-violence est onirique pas réelle. Le ton du conte est trompeur créant une distance illusoire. La colère de Wiechert bouillonne sous le calme.
Je pensais le lisant à tous ces Résistants torturés sous le nazisme et autres totalitarismes qui n'ont pas parlé. D'autres infamies, ailleurs, jusqu'à nos jours alourdissent les crimes par la torture des proches de celui dont on attend l'aveu de soumission.
Ce n'est pas de la dentelle, ce conte. C'est un cri de revolte.
Quant au roman de Laurent Mauvignier, "La maison vide", il m'a fallu résister à l'agacement devant ces longues phrases sinueuses pour approcher ce chapitre très fort où Laurent Mauvignier se glisse dans la pensée de Marie-Ernestine écrasée dans ce monde patriarcal où le père décide qui elle doit épouser, un monde où il était coutumier que les filles acceptent cette décision. Donc, un piano et un mariage forcé avec un homme qu'elle ne désire pas, qu'elle trouve laid, qu'elle méprise. La décision appartient à Firmin: père et patron. L'engourdissement dans lequel la jeune femme plonge fera place à l'écoeurement, à la colère. Peu importe que cette femme ait existé ou non,
la fiction est là, puissante. Flaubert et Zola ne sont pas loin. C'est un grand passage finement écrit mais que c'est long... et que de suppositions qui viennent encore étirer le récit... Comme un retour à la littérature du siècle passé.
"Elle se prend à rêver que, comme Thérèse Raquin, elle infligera un jour à ce mari imposé une mort effrayante et pitoyable".
On s'y prend dans les filets de cette prose. Diable d'homme !
Autre réussite, dans le chapitre 22, la rencontre ratée de Florentin Cabanel et Marie -Ernestine. Ces mots qu'ils attendaient l'un de l'autre et qu'ils ne se sont pas dits. "Ils savent tous les deux que les derniers mots sont le contraire de ceux qu'ils auraient dû être et la beauté, l'élan, l'enthousiasme, tout se ternit et meurt dans la banalité d'un autre revoir sans joie..."
C'est réussi ce couple bancal de Jules et de sa Marie -Ernestine. Rien n'y manque de la brutalité maladroite de Jules, du corps cadenassé de sa femme qu'il n'a su éveiller. Rien n'est omis de ces nuits frustrantes, de l'enfant née comme un hasard heureux pour faire taire les mauvaises langues. Drôle de couple ressemblant certainement à bien d'autres ratages de ce genre. Mais il y a une puissance dans l'écriture même si les phrases n'en finissent pas de s'enrouler les unes dans les autres à ne plus savoir où mettre un point. Ce n'est pas mal du tout ce roman. Ça tient la route. C'est bien planté dans cette terre travaillée de mains d'hommes. Les femmes... cuisine, chaussettes à repriser, gestion autoritaire de la maisonnée et devoir conjugal à cuisses ouvertes dans des nuits moites et longues comme des pensum. Le vin ne manque pas et faute d'allumer le désir conduit au sommeil
Ce qui est bien c'est que tout ça un peu médiocre est planté dans l'Histoire. La guerre et ses ravages que va-t-elle faire de cette famille ? Pas une once de romantisme, de sensualité. C'est comme ça , tu prends ou tu laisses. Je prends en me disant que cette histoire toute pétrie d'imaginaire ressemble peut-être au réel.
Le petit singe étonné du beau livre d'Ernst Wiechter me manque ainsi que les buffles blancs aux cornes d'or qui accompagnent son dernier voyage.
Suite (Mauvignier)
"Nous sommes le 1er août 1914, donc, et dans nos champs on a encore un peu de répit ; une heure, deux ou trois dans les endroits les plus reculés, peut-être davantage encore pour certains, dont les fermes sont cachées dans les montagnes ou enclavées derrière des rivières et des forêts trop denses, là où les paysans seront réveillés pendant la nuit par les gendarmes qui viendront directement frapper chez eux - quelques heures gagnées, une éternité si l'on compare à Paris ou aux grandes villes, là où les foules incrédules et ahuries s'agglutinent depuis seize heures sur les places des mairies pour lire et crier à tous l'appel à la mobilisation et où tout le monde
Botter le cul des boches !
s'encourage,
Ça prendra trois mois !
s'égosille,
Je te dis trois semaines !
Tous à Berlin !
Même pas trois semaines !
alors qu'ici,
Tous à Berlin !
chez nous, dans les villages,
A Berlin !
à La Bassée et dans les hameaux tout autour, on ne sait toujours rien.
Ici sans s'en rendre compte, on préserve le monde ancien une ou deux heures de plus, gagnées sur l'effondrement à venir, quelques minutes précieuses préservées avant que le tocsin des églises des villages vienne secouer la torpeur des vieux et l'indolence des vaches, en proclamant la grande nouvelle.(...)
Les gosses et les femmes courent en contrebas, à travers champs,soulevant leurs jupes comme si elles avaient vu le diable - leurs cris et ceux des gosses montent vers nous comme les sifflements des martinets quand ils font du rase-mottes avant que le temps viré à la pluie"
"Le petit singe déambulait sur la place comme chaque soir. Un fruit à la main, il la traversa en se permettant des roulades comme si le lieu était vide. Une longue ombre s'étendait derrière lui, passant devant le Seigneur et sur Vasudeva. L'animal s'arrêta et considéra la silhouette silencieuse de celui qui avait été des jours et des nuits son compagnon. Ses yeux devinrent tristes. Ses mains jouaient sans joue avec le fruit."
Oui, un D majuscule.
" - Écoute-moi, l'interrompit Vasudeva, et laisse-moi parler. Le pouvoir ne rassasie pas. Seuls les Dieux sont rassasiés parce qu'ils ont tout. Aucun homme n'a tout. Tu as beaucoup, mais c'est toujours peu, car tu luttes contre moi pour obtenir plus. Tu voudrais que je t'adore ?(...) Tu ne peux me forcer, tu peux seulement me tuer. Mais sur mon cadavre, tu pleureras, car à chaque battement, tu sauras qu'autrefois vivait quelqu'un devant qui tu étais moins qu'un mendiant.
- Il semble que tu veuilles mourir, dit la voix. Mais on peut torturer avant de tuer...
- Tu te répètes, Seigneur. Le supplice est toujours là quand le pouvoir est impuissant. (...) Tu peux éteindre la vie mais pas la mort. Il reste toujours aux pauvres quelque chose que tu ne peux pas leur enlever. Perdre nous appartient.
- Le supplice peut être long, Vasudeva.
- Pas plus long qu'une vie humaine et la mienne est déjà derrière moi."
Je suis désolé , mais le premier chapitre d’Ou que Vous voudrez de Walton est davantage une rêverie sur le celtique qu’une illustration de la poésie celte. On me dira que c’est beau, et c’ est certain, mais pour la celtitude, on repassera ! Cet espèce d’être enfoncé dans un cerveau humain ne correspond à rien de connu, celtiquement parlant , après sondage réalisé dans les Mabinogion et la Razzia. En tant que Galloise, c’est surtout les Mabinogion qu’elle doit connaître…et ça donne ça …
C'est formidable ce que vous osez faire ici Christiane,... nous redonner à relire "la maison vide" au fur et à mesure de l'avancée de votre propre lecture... Je pressentais que vous le feriez, si vous tombiez dessus, comme j'en eu la tentation, mais vous savez que c'est mission impossible sur la RDL, vu les quolibets que l'on s'attrape et dont on a hélas la faiblesse de vouloir se défendre... Je ne doute pas que vous irez jusqu'à la fin de cet incroyable roman, vu que vous en serez de plus en plus envoûtée et oublierez rapidement la longueur des phrases, comme je l'ai été... Et moij, maintenant, je vais me procurer ce "buffle blanc", car suis sûr d'en tirer un bon profit de lecture.... Bien vous, et surtout merci. Vous êtes précieuse presque à faire peur ! ;-)
oups, oublié de signer...
J'avais reconnu votre façon d'écrire, JJJ. Oui, je commence à explorer le roman de Laurent Mauvignier. Cette Marie-Ernestine son arrière-grand-mère est un personnage fascinant. Il retrouve sa trace dans cette maison où elle a vécu. C'est douloureux ce mariage imposé car elle avait des rêves,un autre homme et la musique... Mal mariée, elle va mettre cette enfant au monde, Marguerite. Ne l'ayant pas désirée puisque son mari lui imposait des rapports sexuels presque sadiques lui en voulant de ne pas le désirer ni de l'aimer. La fillette va récupérer ce non-amour, je pense mais je n'en suis pas encore là.
Ce qui est fort dans cette succession de personnages , de destins (personnes mi-reelles, mi- inventées), c'est qu'elles forment par leur succession la traversée d'un siècle, deux guerres. Lui, Mauvignier est celui qui tient la dernière place, vivant avec des secrets qui sont restés dans le silence de ceux qui savaient et ne voulaient pas dire. Une beance, un père qui s'est tué. Pourquoi ? Lui aussi était fils de... fils de Marguerite la mal-aimée. Quel secret terrible le lie à son histoire, à sa mère ?.
C'est une plongée crue dans la sexualité des couples et en particulier dans cette tardive libération de la femme en ce domaine intime. C'est passionnant écrit à fleur de peau. Mais cette écriture fouailleuse, imposante, est prolixe et se chantourne comme les vrilles de la vigne. Mots entremêlés comme inépuisables. Il veut préciser et ça s'allonge d'une page à l'autre. Il ne faut pas perdre le fil ! Oui, JJJ, on est bien ici , chez Soleil vert, pour lire et dire le lire comme il nous vient ,inachevé , quand les paupières lourdes d'avant - sommeil se ferment laissant la pauvre Marie-Ernestine toute vide d'amour. Merci de m'encourager . Bonne nuit.
Juste encore un petit trésor : le prénom de l'enfant, Marguerite. C'est lui, Jules, qui l'a choisi car s'il est devenu cet homme qui "troue" Marguerite violemment il a été le jeune homme pataud et triste qui lui apportait des petits bouquets de marguerites pour lui dire son pauvre amour dont elle n'avait que faire,enfin presque, car elle finissait par le trouver gentil, émouvant même si celui qu'elle désirait était l'autre, Florentin, le professeur de piano. Il aurait pu se faire pardonner de n'être pas... le bon s'il avait su avec délicatesse éveiller son corps au lieu de l'écraser de tout son poids et de la labourer sans vergogne en seigneur et maître.
Le drame dans l'histoire de Marie-Ernestine c'est que trois hommes l'aiment maladroitement. Son père, Firmin, qui lui impose ce mariage alors que c'est sa petite boule d'or qu'il chérit. Elle ne sait pas qu'il a déjà eu deux alertes, qu'il sait qu'il valurir et qu'il veut installer un homme dans la maison pour que tout ne soit pas perdu. Il fera de sa fille son unique héritière, ignorant ses deux fils. Le deuxième c'est Florentin qui n'a pas su lui dire combien il l'aimait. Le trousieme,Jules Lamoureux timide, peu cultivé, pas très beau qui fera de son amour méprisé une rancune, une méchanceté d'autant plus que les hommes du village se moquent de lui car il n'y a pas de maternité attendue pendant dix-huit mois.... Les langues vont bon train , la Marie-Ernestine doit lui battre froid.
Quel sac de nœuds ! Y'a pas de bonheur entre ces êtres juste de l'incompréhension, du ressentiment, de la tristesse. Et tout ça va rouler dans le temps et essaimer du malheur. Mauvignier a bien fait d'écrire ce livre ça lui sera cerf-volant pour fuir là-haut dans le bleu du ciel.
qu'il sait qu'il va mourir
Il me semble que ce que tente Laurent Mauvignier c'est de retrouver ce qui d'une génération à la suivante, aux suivantes se transmet à l'inconscient comme si le corps avait sa propre mémoire que l'inconscient peut interroger. Il y a des répétitions inexplicables dans les vies, ce qu'on appelle le destin. On dit parfois : c'est déjà arrivé dans cette famille il y a longtemps. Et puis il y a l'oubli, un grand mystère. Pourquoi oublions-nous des pans entiers de notre vie et pas d'autres ? C'est là que les objets, les photographies , les lieux ont un rôle surprenant. Et une maison, donc, quand elle a abrité plusieurs generations. Une maison VIDE... c'est-à-dire que certains sont morts et qu'il appartient au dernier ( aux derniers) de vider ce lieu si plus personne n'y habite avant de mettre la maison en vente - même un appartement que lon doit vider à la mort de quelqu'un d'aimé, cela met les souvenirs à vif. Ça brûle de partout. Ça révèle des secrets. Nous sommes des êtres de mémoire, des poupées gigogne. Un enfant se love dans l'adulte que nous sommes devenus et même un fœtus qui a habité le corps de la mère...
Pourquoi, dans le roman, il trouve des vieilles photos de famille où un certain visage a été découpé ?
Les guerres jouent un rôle effrayant. Elles sèment la mort, des blessures irréversibles mais aussi des rencontres de hasard. Pendant la guerre de 14/18, et la Grande guerre, les femmes ont brusquement dû prendre en mains ce qui était le domaine des hommes. A la fin de la guerre, elles n'oublieront pas cette autonomie, cette capacité.
Autre terrain que Mauvignier explore : la maternité. La tendresse, les attentions qu'une mère porte à son enfant sont dépendantes des conditions dans lesquelles il a été conçu, de l'amour ou de la répugnance quelle éprouvait pour le géniteur... .
Toutes ces questions font que le roman de Mauvignier dépasse le cadre de sa propre vie. Il vient éveiller chez certains lecteurs... des blessures mal refermées ..
Avant de continuer la lecture du roman, il faut que je le reprenne au début. J'ai eu du mal à m'habituer à son écriture et dans ce dédale où les racines des phrases s'entremêlent, Mauvignier a mis en place sa recherché, son roman. Il faut que j'aille éclaircir tout cela. Eh bien , 700 pages, et des retours en arrière, ça devient une Odyssée ! (Déjà rencontré Circé qui transforme son époux en animal et le lit conjugal en bauge....). Les hommes, les femmes ça se rencontre, s'aime, se déteste, se cherche, se repousse... Ça fait des enfants... Qui feront peut-être des enfants... "La Ronde"... Un film de Max Ophuls, raconte un peu cela.
C'est aussi une pièce de théâtre de l'écrivain autrichien Arthur Schnitzler.
Je me souviens, dans le film, de ce personnage qui se dit - et nous dit : « Qu’est-ce que je viens faire dans cette histoire ? Je suis l’auteur, un compère, un passant ? Je suis vous… et votre désir de tout connaître. Mais où sommes-nous ici, dans un studio, dans une rue ?"
Ici, nous sommes dans une maison vide où habite la mémoire d'un écrivain.
Il est étrange que le roman commence par un arbre... (généalogique) !
Un cerisier, la chambre du cerisier, nommée ainsi depuis TOUJOURS.
Arbre qu'il décrit avec "ses branches effrayantes comme de longues griffes noirâtres". Ne dit-on pas que l'on griffonne quand on écrit rapidement ? L'encre ne laisse-t-elle pas une marque "noirâtre", parfois indélébile ? Et la plume, ne griffe-t-elle pas le papier ?
"Pourtant personne ne songe à couper les branches du cerisier"... Phrase ambiguë si l'on songe à l'arbre généalogique.
"Les branches cassent d'elles-mêmes, fatiguées de s'élancer si loin." N'est-ce pas un portrait de l'auteur en quête de son histoire, de son origine ?
Il songe à ce village et ces hameaux... plus de cent ans...
Un arrière-grand-père, Jules. On apprend qu'il a péri au front. Tiens, tiens... Cela m'avait échappé. Donc, Marie -Ernestine va être veuve...
Sur le monument aux morts, en lettres dorées : Jules Chichery, né à Bournon en 1880, mort pour la France en 1916", "dans le bois d'Avocourt, près de l'Argonne."
Cherchant une médaille lui ayant été décernée , il trouve une boîte de bois dégageant une senteur de miel contenant d'autres reliques et des papiers militaires. "Une commode comme un cercueil pour certaines pièces du dossier familial."
Une mèche de cheveux blonds, les siens, quelques photos...
Des photos il écrit :
"de ces photos qui remontent si loin que plus personne ne sait nommer ceux qui y posent, faisant front ay l'oubli, des gens qui nous regardent de leur parcelle de temps comme s'ils défiaient leur mortalité ou nous provoquaient d'où ils étaient il y a un siècle où même davantage, mon arrière grand mère Marie-Ernestine et son mari Jules - le héros de la famille."
Et voilà. Tout cela prend du sens, maintenant.. il y a même une photo où un bébé, sa fille unique, est dans ses bras, le dos serré contre sa poitrine. La seule photo de Marguerite qui doit dater de 1913.
Et là Mauvignier écrit le mot VIOLENCE. Une violence qu'il décèle dans le visage du bébé...
Il retourne au cimetière. Une tombe de graviers... Le seul endroit qui signale sa présence ! : nom, prénom, dates de naissance et de mort - 1913-1954.. .
Le seul endroit qui signale qu'elle a vécu...
Ça commence bien mal cette histoire de 700 pages et nous ne sommes qu'à la page 19 !
Mais , ô surprise, le visage de Marguerite a disparu sur toutes les autres photos d'elle. "Quelqu'un, dans la famille, avec obstination et résolument, a choisi de tuer Marguerite symboliquement (...) et sur une autre,son visage a été griffonné au stylo à bille jusqu'à ce qu'il disparaisse complètement dans l'encre noire."
Ainsi , griffonner pour écrire, griffonner pour tuer symboliquement. Quelle angoisse pour le grand-petit Mauvignier....
On tue dans cette famille à coup de guerre, à coup de stylo ou de ciseaux.
"Passe passe passera, la dernière restera... " chantions-nous , de nfant en éliminant à chaque tour une des participantes.
Je vais bientôt pouvoir revenir au chapitre 33, page 266. Là où Marie-Ernestine "glisse de la jeune femme qu'elle était au jour de son mariage vers une autre femme ; c'est cette dernière que découvrent ses frères quand ils reviennent un an et demi après son mariage, à l'enterrement de leur père."
Quel beau personnage ce Jules ! En apparence, un homme de pouvoir, sûr de ses gestes avec "des airs de patron et la suffisance des grands bourgeois." Mais qui connait la blessure intime de Jules ? Un homme riche, oui, mais ses amis lui ont tourné le dos.
Quelle solitude... Si Jules de jette dans le travail c'est "pour oublier qu'il est un homme mal marié et pas aimé." Il fait tout pour "oublier l'humiliation qui recommence chaque soir lorsqu'il regagne sa chambre - toujours vide quand il y entre . Sa femme dit qu'elle travaille.... Et lui, " c'est son cœur qu'il laisse se consumer de déception, car il n'est pas Idiot au point de ne pas voir que sa femme évite de se retrouver seule avec lui, qu'elle fait tout pour ne pas l'offenser mais qu'elle fait davantage pour partager le moins d'intimité possible avec lui. (...) Il met sur le compte de son éducation religieuse toute la crainte qu'il inspire à sa femme, le dégoût qu'elle exprime et réprime dans je même mouvement."
C'est si fragile un homme mal aimé....
Et quelle tristesse que la vie de Marie Ernestine...
"On attend d'elle qu'enfin son ventre se remplisse et qu'elle s'intéresse aux affaires de la maison, à celles de son mari ;"
Sa mère la regarde d'un œil cassant...
"Lentement Marie-Ernestine de reconfigure : elle devient l'ombre de sa mère. (...) elle s'adresse maintenant à son mari avec la même intonation et la même austérité dans la voix que celle de sa mère, et c'est comme si cette voix n'était pas la sienne ni celle de sa mère mais la voix du temps lui-même, quand Marie Ernestine répète à son mari ce que sa mère lui a appris, oui...."
C'est beau, non ?
Une page intéressante ( 291) quand Jules apprend la mobilisation générale. Tous doivent rejoindre leur caserne
"Jules fait la gueule (...) il faut toujours qu'on vienne l'emmerder quand il a du travail par-dessus la tête. (...) Comment c'est possible de nous foutre dans un merdier pareil ?". Il pense que tous les hommes capables de tenir les fermes vont être réquisitionnés. Comment finir les moissons. Fin du chapitre : "on vient de basculer dans une vie nouvelle et imprévisible."
Difficile à imaginer, effectivement.
Ce roman prend sa pleine puissance en ce moment surréaliste. Il faut voir ces hameaux, ces fermés vidées d'hommes de leurs pas, de leurs voix, de leur présence. Eux abasourdis se serrent dans les trains qui les conduisent vers leur destin terrible. Les femmes restées à la maison pétrifiées avec leurs marmots et les champs délaissés en pleine moisson. Leur vie bascule. Le roman bascule. Plus rien n'est prévisible. Marie-Ernestine coupe les cheveux de Jules, emplit sa musette de saucisson, de pain, de chaussettes, de vin. C'est la fin de quelque chose. Marguerite a seize mois.
Un bien beau roman qui nous donne une mémoire de ce que l'on a pas vécu.
Les pages suivantes sont terribles. La guerre laide, crasseuse au fond des tranchées. Les lettres où Jules mentent, il écrit pour échapper au réel. Marie-Ernestine fait de même. Elle ne peut lui écrire qu'elle est heureuse de dormir seule, que sa fille lui indiffère, qu'elle n'est pas dans les champs avec les autres épouses. Elle a pris le costume de maîtresse d'école pour échapper elle aussi au réel. La fiction de Mauvignier capte le réel de cette situation où tout le monde ment.
JJJ, c'est un grand livre qui traversera l'automne des prix littéraires pour rester dans la mémoire des lecteurs. On se dira : tu te souviens du Mauvignier de 2025 ? C'était je crois, La maison vide un grand livre, n'est-ce pas ?
Dix-sept mois de guerre et une perm inespérée. Ce sera la seule car onze jours plus tard la mort le rattraperait ".
Il revient donc, changé. Tout avait changé... "Quelque chose de noir, de profondément calciné " émanait de lui.. "Il était l'incarnation de l'histoire, celles des hommes, des morts, des vieux, des éclopés, des effrayés, des humiliés, des sans-nom, des ancêtres noyés dans l'oubli, (...) il se sentait comme un revenant qui devait cacher à ses proches tout ce qu'il avait vu d'horreur, (...) sa vie de mort en sursis"....
PS. Je ne trouve plus les phrases interminables
Lui aussi change en écrivant comme le lecteur change en lisant. Ça finit par faire une seule langue. Finit Babel.
Faut-il comprendre que Niemermoller vaut Goebbels?! MC
Niedermoller!
JJJ, c'est un grand livre qui traversera l'automne des prix littéraires pour rester dans la mémoire des lecteurs -
OUI. /// Et vous n'êtes qu'à l'aube de vos surprises qui vont rebondir en des directions insoupçonnées et pourtant trop soupçonnables. Ne soyez pas trop impatiente au sujet des photos découpées... Tout arrivera dans les temps voulus grâce aux agencements imprévus et terriblement logiques au sein des incessants va-et-vient de la mémoire familiale déniée, fracassée, diffractée et recomposée.
Vous nous faites revivre dans le temps réel de votre lecture ce qu'on n'arrive pas nous-même à vouloir ni pouvoir oublier après la suffocation permanente au fil des pages qui demandent au piano lui-même d'oublier ce dont il fut le témoin muet duran tun siècle.
J'ajoute (à 1.18) avoir été apparemment contaminé par la longueur des phrases de Mauvignier dont on finirait très vite par épouser la rythmique quasiment à notre insu.
Je pourrais faire de nombreuses citations de ces pages si fines psychologiquement correspondant à la permission de Jules. Il est complètement en décalage avec les habitants de son village qui vivent loin de la guerre et ay qui il n'a pas envie de raconter cette horreur quotidienne. Il croise des jeunes femmes éteintes qui se dirigent vers " la paix mortifère et silencieuse du cimetière.(...) Partant honorer des corps qu'on ne leur a pourtant jamais rapportés ; elle vont changer des fleurs et prier sur des croix sans noms et relâcher leur malheur."
" Il écoute sans broncher tous ces gens de l'arrière qui parlent dans savoir où se contentent de croire ce que la presse et les politiques racontent..."
Lui, immense que "les Boches comme les Poilus ont perdu leur jeunesse et toute confiance en l'humanité, merde..."
Très grand livre, oui. Je ne suis pas pressée de dépasser la page 359. On est là en plein cœur du désastre et jules prend une profondeur qu'il n'a jamais eu, comme sa femme, comme ce village. Il arrive même à comprendre le problème de sa femme. "Ce n'est pas lui qu'elle n'a jamais désiré mais les hommes, tous, sans exception"
La guerre transforme tout...
"Six jours et pas un de plus - un compte à rebours - six minuscules journées - le temps qu'il a fallu pour se laver jusqu'à ce que la peau soit décrassée jusqu'au sang de l'odeur de boue et de mort, (...) le temps de refaire de lui un homme présentable. (...) Il voit ainsi sa vie d'avant défiler à travers les regards des uns et des autres..."
La mort attend patiemment qu'il termine son voyage....
Et ce sera la quatrième partie du roman, page 373.
Lui, pense....
Et Mauvignier, fatigué, reprend la plume :
"Ce vieux cimetière et cette Grande Guerre, j'y étais malgré moi rattaché, puisqu'à la naissance en 1967, la "der des ders" n'était terminée que depuis quarante-neuf ans - à peine un demi-siècle - ce qui n'est rien à l'échelle de l'histoire...(...) de la maternelle jusqu'à mon entrée en sixième, pendant ces années liées à l'école primaire, nous les enfants, allions tous les 11 Novembre célébrer les héros tombés pour la France. C'était un jour férié.... (...) On aimait les képis, le decorumilitaire, le porte-drapeau, les couleurs et je clairon et, surtout, la minute de silence (...) Je me revois écouter le silence et le trouver long et incongru, obscène aussi, en regardant les bedaines et les jours qui trahissaient un goût de la chère qui me laissait soupçonner comme un double-fond dans la vie de ces hommes là...."
Il ne rate rien. Il observe tout. Il réfléchit à l'Histoire....
Voilà, je suis à la page 400, déjà.
Tout se joue entre la mère, Marie-Ernestine et la fille, Marguerite.
La mère a choisi l'école publique pour sa fille. Bien suffisant pense-t-elle. Elle est autoritaire avec elle, méfiante. La fille résiste intérieurement. Elle sent bien sûr le manque d'amour. Du père aucun souvenir hors cette statue en l'honneur des soldats morts, ces "héros"... C'est un entre deux. Nous lecteurs avons un temps d'avance. On sait la guerre qui approche, sournoise. On se dit que le destin des deux femmes va vaciller. On est dans un autre temps. Déjà s'estompe le souvenir de Jules. Les vieux sont morts. Reste cette poignée de femmes à La Bassée qui ont fait vivre le village pendant l'absence des hommes et ceux qui sont revenus, peu, souvent blessés, mutiques.
Ce sera maintenant le destin de Marguerite. On approche à pas de loup de celui de Laurent Mauvignier....
Oui, vous êtes en plein suspense de lectrice, et pressentez les "fins" annoncées qui se rapprochent inexorablement. Vous nous donnez en temps réel à participer à ce suspense, @ nous autres qui avons lu passionnément (et n'avons pas lu -car nous le re-découvrons aussi avec vos yeux et vos émotions-) ce magnifique roman. Celui de la mémoire généalogique de l'auteur s'insinuant dans nos propres biographies familiales.
Oui, JJJ, j'espère que Soleil vert ne m'en voudra pas mais je ne peux lâcher ce roman de Laurent Mauvigner. Comme vous l'écrivez, il renvoie terriblement à nos propres histoires. Lui soulève le silence ambigu des familles, la façon dont elles ont traversé ces deux guerres mais pas seulement. Les hommes, les femmes, ces mariages, le désir, le non désir, les rêves, le réel. La maternité... La paternité... Le décalage entre l'Histoire et nos petites histoires. L'oubli. La rancoeur. La fatigue...
Une belle écriture pour sonder tout cela. Celle d'un homme qui a pris le temps. Oui, il a pris le temps. Il n'a pas bousculé le Temps. Il l'a charrié avec toute sa mocheté, son hypocrisie, ces héros, ces oubliés. Tous ceux qu'on envoyait se faire tuer, belligérants confondus dans une boue de sang et dos. Ça pour celle de 14/18. Pour l'autre, c'est autre chose. Une ombre terrifiante. Des milliers de morts, de déportés, demmrisonnes, de torturés et parfois des accidents de parcours. Un homme apparaît, plutôt qu'un soldat. Je pense au "Silence de la let"de Vercors....
Donc, les Résistants et les autres tout emmêlés dans leur vie compliquée. Survivre. Vivre.
J'attends de Mauvignier qu'il m'étonne, qu'il m'attache à son histoire, pas à bla mienne à laquelle j'ai renoncé. Paix aux morts. Le présent comme un présent sauf quand l'âge rend la santé vacillante. Lot des vieux dont je suis.
Merci JJJ d'avoir été aux côtés de Mauvignier quitte à vous opposer à certain brillant critique littéraire... Oui, j'ai suivi l'affaire... J'aime votre entêtement. Celui d'un lecteur passionné par un livre et quel livre ! Merci à vous.
J'ai semé en chemin MC et ses questions se rapportant à un autre monde historique et littéraire. J'ai aimé le conte de Wiechert, je l'ai dit mais là dans ce vaste roman, j'ai l'âme à vif. Beaucoup de ce qu'il écrit m'est familier . Cette Histoire est encore si proche...
Bof, je ne corrige pas. Je n'ai pas relu. Écrit sur un souffle.... Ça reste compréhensible.
Je suis sûr que SV ne vous/nous en voudra pas. Bien au contraire... Il est très tolérant et n'a jamais essayé de réduire les propos passionnés de ses commentateurs qui s'échappent pour mieux lui revenir.
Bien vu pour le Silence de la Mer, il y a un beau parallélisme : le mutisme du père et de la fille face à l'occupant allemand de "bonne volonté" ayant réquisitionné leur maison. Et plus loin dans le récit, chez LM, une scène inversée : celle de l'amant allemand qui vient solder les comptes de Marguerite avec sa mère dans la "maison vide". Un dé-nouement inoui !... Prenez le temps d'y arriver.
Je prends le temps, oui. Cela m'est déjà arrivé quand je voulais rester dans les vrilles du livre comme dans celles de la vigne. Cette préférence parfois pour l'embuée de la lecture. Mortes eaux où Ondine glisse dans les eaux où le ciel dérive avec les poissons. Onirisme...
Voici donc Marguerite au centre de l'attention des deux femmes que beaucoup de non-dits opposent. La grand-mère et la mère. La grand-mère qui a régné sur le domaine avec autorité pendant la guerre et qui aimait ce Jules comme un fils. La mère, cette Marie-Ernestine qui en veut encore à ses parents pour ce mariage forcé. Firmin est mort. Jules est mort. Il reste ces deux femmes et la gamine, Marguerite, qui court les bois comme une sauvageonne, couvée par sa grand-mère, houspillée par sa mère.
Finaude. Elle sait très bien les juger toutes les deux. Elle a des raisons d'en vouloir à sa mère. Elle l'a tellement admirée, l'écoutant jouer au piano à travers le plancher de sa chambre puisque sa présence était interdite. Une mère qui ne l'a jamais cajolée. Un père dont elle ne se souviendrait plus si sa grand-mère ne lui en parlait.
Je la sens prête à fuir mais je ne sais encore de quelle façon.
Marguerite... Elle va forcément rencontrer un homme puisqu'à son tour elle sera mère et grand-mère. Cette grand-mère dont on a ôté le visage sur les photos. Une scandaleuse ?
Parfois on voudrait pousser les années d'un revers de la main pour savoir. Comme si l'histoire d'une femme devenait plus forte que la guerre qui approche.
C'est comme les gens, les nôtres, ils racontent toujours l'Histoire en commençant par eux. D'abord leurs douleurs et bonheurs personnels puis de proche en proche , les autres .
Mauvignier regarde le monde des deux côtés : les siens et le monde. Il est même bien avec les autres dans toutes ces pages où il parle de la guerre de 14. Mais sa quête le conduit vers son père comme l'aiguille aimantée de la boussole cherche le nord. Que va-t-il trouver ? Quoi avant cette mort volontaire ? Quoi dans la vie de Marguerite pèse sur ses épaules. Quel lien lie cet enfant qui n'a pas demandé à naître à sa mere , à l'Histoire terrible du vingtième siècle. Pourquoi la mort lui a-t-elle était plus facile que la vie, un jour ? Et ce n'est pas de la fiction. Il va passer au présent, Mauvignier. Marre des suppositions, des rhizomes interminables de ses pensées. Un fils. Un père. Une mère.
Et celle-là on la connait un peu, c'est Marguerite la rebelle.
Ça, c'est extraordinaire ! Marguerite vit en pleine fiction !
"Marguerite imaginait ses parents comme deux amoureux nimbé d'une aura dont tout le monde devait s'étourdir (...) dès son enfance, Marguerite inventé le miracle d'une mère aimante et merveilleuse et d'un père qui ne l'aurait pas été moins s'il avait vécu. (...) Marguerite inventé son père, l'intimité qu'elle n'a pas connue avec lui. (...) Ce père, dont elle regarde parfois le portrait en médaillon ou dans l'album des photos de famille, comme pour se convaincre qu'il a bien existé. (...)
Marguerite s'invente une vie qu'elle ne vit pas, et dans laquelle sa mère aussi est transfigurée... (...) le monde glisse sur elle, il n'a pas prise sur ces epiphanies. (...) Le rêve remodèle en permanence ses images, ses désirs, cette réalité dans laquelle un père peut être mort tout en étant présent et totalement vivant.... "
Époustouflant !
Pas étonnant que petit-fils ait eu envie d'écrire !
Mais elle a en même temps un côté sombre, méprisant envers les autres enfants, ceux de "nos locataires" dit-elle.
Ces autres enfants la jugent "prétentieuse et méprisante".
"Une petite adulte enfermée dans un corps de fillette, parce qu'elle a toujours eu l'austérité du e vieille femme."
Étrange enfant à deux visages créant la solide et en souffrant. Coincée entre deux femmes, dans une maison vide.
Un autre côté de sa personnalité apparaît quand elle fouille dans les affaires de sa mère et qu'elle trouve deux paquets de lettres envoyées à sa mère. Celles de son père, celles d'un certain Florent.
Celles de son père elle les lit comme lui étant adressées. La présence de sa mère s'efface alors. Elle seule de dit mériter ces confidences
Celles du professeur de piano, bien qu'exemptes de tout contenu amoureux lui donnent l'impression que sa mère ment, que cet homme est important pour elle.
La jeune femme qui se dessine dans cette sensibilité fiévreuse, est prompte à inventer, à déformer le réel pour qu'il corresponde à sa volonté. Tout rapporter à elle qu'elle surévalue et sous-évalue tour à tour.
Il faut imaginer les longs repas du soir réunissant la grand-mère, la mère et la jeune fille saturée de fantasmes. Silencieux, tout en pensées cachées.
Marguerite n'est pas vraiment sympathique, un côté sournois double ses rêveries héroïques.
Elle semble bien mal embarquée dans ce cabotage campagnard, étroit et facilement empli de commérages. Province, je vous hais.....
Oui cette analyse donne envie de lire Laurent Mauvignier. C’est très à la mode en ce moment de remonter le fil des lignées chez les auteurs.
Vite lu,le dernier Amelie Nothomb” Tant mieux”. Une mère et une grand-mère horribles. Elles assassinaient les chats en les coinçant dans un tiroir. Impressionnant. Mais en finissant par aimer sa mère, un monstre,la lignée de haine s’est arrêtée.
C'est vraiment terrible, terrible, la rencontre de hasard entre Florent revenu défiguré de la guerre et Marie-Ernestine. Tout cela en présence de la fillette qui du haut de ses douze ans - je pensais plus - et ayant lu les lettres de cet homme, observe sa mère livide, ravagée de douleur, d'horreur. Au retour, la grand-mère essaie de savoir. La fillette racontera presque tout. Elle a lu les lettres. Cela lui donne un temps d'avance sur ces deux femmes. Sa mère brisée, la grand-mère choquée.
Les gueules cassées. Que de douleurs pour ces hommes qui auraient préféré la mort à cette horreur à vivre.
"C’est très à la mode en ce moment de remonter le fil des lignées chez les auteurs."
On peut penser cela de certains auteurs.
Mauvignier échappé à cela. La part de fiction dans ce long récit fait oublier qu'il se rapporte à sa famille. C'est un roman, un très bon roman qui balaie avec précision et sensibilité toute une époque.
PS : c'est pénible ces commentaires non signés surtout quand ils sont narquois....
Saviez vous que le courrier expédié aux soldats décédés en 14 18, revenait à leur famille avec cette inscription ”Le destinataire n’a pu être joint en temps utile ”. Quelle angoisse pour les familles.
La grand-mère morte. 1933. Son prénom et son nom apparaissent pour la première fois.
Jeanne-Marie Florabelle,
Épouse Proust
1860-1933
Été 39. Le 1er septembre la mobilisation générale est décrétée et le 3 septembre la France en guerre contre l'Allemagne, il est 17 heures.
La Grande-Bretagne l'a précédée le matin même, vers 11 heures.
Marguerite.... Une jeune fille qui fixait sa mère, impavide, glaciale, en lui jetant autant de haine dans le regard de fe froideur qu'elle le pouvait.
Rien ne rattache ce récit à Laurent Mauvignier sauf que c'est lui qui l'écrit.
Ça ne ressemble pas du tout à un étalage du moi.
Il aurait pu l'écrire sans rapport avec sa propre histoire. Un narrateur imaginaire qui disparaît après les premières pages .
Ce qui est passionnant c'est l'évolution de tous ces personnages qui se révèlent surprenants, échappant au destin qu'on plaquerait sur eux. Rien n'est immobile. Ils se réinventent en fonction des événements et franchement bien malin celui qui devinerait à la page 500 ce que Marguerite va devenir. Ce qu'elle va faire de cette étrange enfance, comment elle va braver sa mère, exister, prendre le large ?
La sensualité n'est pour l'instant pas présente chez ces trois femmes. Comme si leurs corps refusaient toute étreinte. Sont-elles frigides ? Elles ne sont pas attirantes, trop cérébrales. J'espère que Mauvignier va bousculer ce monde rigide. Les guerres. La Province. La religion à coup de confessionnal. En fin de compte, les hommes sont plus vivants, plus vulnérables.
Qu'est-ce qu'il a écrit d'autre Mauvignier ?
C'est une écriture inquiète, un livre inquiet. Je crois que peu à peu, ses personnages prennent le pouvoir et le conduisent là où il ne peut plus inventer. Ce sont eux qui inventent la suite et lui écrit. C'est un monde dur, un monde d'empêchés, un monde de rêves brisés. Pas de Dieu, pas de rémission. Trajet complet de la naissance à la mort avec pas mal de coups entre ces deux événements. Mauvignier semble avoir un imaginaire cabossé. Il écoute le monde et entend la rage, les plaintes, les silences. Ce roman me donne le bourdon. C'est lourd à porter l'histoire de ces gens. et la guerre en plus, noire, cruelle, désastreuse.
Mais je suis contente de faire connaissance avec cet écrivain. Une gamme sombre quand même...
Soleil vert, je vais bientôt revenir. J'attends de voir ce que Marguerite va encore inventer pour plomber l'ambiance.
Offrez moi une bulle qui monte haut dans les étoiles avec plein de couleurs et plein d'extravagance.
J'ai fermé le livre hier au soir. C'était comme ressentir une chape de plomb. Ces deux femmes ne pouvant que se haïr. Aucune issue. La France à nouveau en pleine guerre. J'imagine l'auteur enfoui dans son manuscrit, haletant, se demandant comment écrire la suite qui s'approche comme le vol d'oiseaux noirs dans la dernière toile de Van Gogh. Son histoire ou pas son histoire, elles sont là. Le compte à rebours a commencé qui un jour s'arrêtera sur sa date de naissance mais avant, le père, la mère du père. Que de cimetières dans ce roman ! Que de morts intranqullles !. On dit que les paroles s'envolent et que les écrits restent. Eh bien, ça va rester toute cette poisse. On appelait le malheur ainsi, autrefois. C'est la poisse, disait-on.
Oui, la page 500...
Marguerite , cette "gamine d'à peine quatorze ans", heureuse d'avoir trouvé son premier emploi. Oui, mais...
"C'est la maison de monsieur Claude, tout appartient à monsieur Claude et Marguerite comprend qu'il veut qu'elle lui appartienne aussi ; il tapote ses deux mains sur chacune de ses cuisses..."
Et la gamine pose le bout de ses fesses sur les genoux de son patron, à qui elle fait semblant de sourire"...
"et il explique que lui aussi peut être très gentil (...) pendant qu'une de ses deux mains remonte doucement vers les seins de Marguerite qui se cabre et sent monter les larmes dans sa poitrine"...
Et voilà, je sentais qu'il fallait fermer le livre. Il ne manquait plus que cela... Ah la la....
Comme je vous déteste, Mauvignier, de faire revivre cela. Une autre "Mouchette"... Il y a du Bernanos en vous sauf que " "tout - n' -est -pas- grâce ".
Et je sais que je lirai jusqu'au bout votre satané bouquin. Lecture piégeante que l'on repousse et rapproche tour à tour. On veut savoir, on ne veut pas savoir. Diable d'homme. Écrivant, vous envoyez des uppercuts.
Non !
" Non ? Elle a dit non ?
Il ne faisait rien de mal, c'est quoi ce "non", il est bien déçu, qu'est-ce qu'elle a cru, il ne kay pas mordue, il ne veut que son amitié..."
Je vous déteste, Mauvignier. Bon sang, exterminez cette vermine, ce prédateur, cette erreur sur pattes, ce queutard immonde.
il ne l'a pas mordue
"Marguerite - ce qu'elle en pense, c'est qu'elle écraserait bien cette face de rat à coups de talon ou de pelle, comme elle a vu des paysans tuer les rats chez elle dans les granges et les remises . Elle reste face à lui, figée, rouge de honte et de colère ; elle voudrait lui dire que les dégueulasses comme lui elle voudrait leur cracher à la gueule...."
C'est bien, ça, Mauvignier. Vous remontez dans mon estime même si je sais que le gros dégueulasse va arriver à ses fins.
Et pourquoi vous écrivez ? Ça fait mal tout ce charroi de mots. Laissez-nous oublier ces gros dégueulasses. Et puis non, jetez les au milieu des livres que l'on puisse les amocher à coups de pensées et de ressentiments.
Vous m'avez mis en colère. Faut que je sorte, que j'aille marcher, avaler, piétiner un peu de bitume. C'est pas La Bessée, ici. C'est la grande ville où on est si bien, seul .
La Bassée
Note: les commentaires, même les narquois, ne sont pas de votre serviteur . Lequel n’a pas mis un doigt dans le volume en question. MC
Oui, j'avais pensé à vous. Donc, un qui vous ressemble : absence de signature, tendance à l'ironie.
Bon, je continue ma lecture après une balade agréable entre les étals du marché. L'automne et l'abondance des récoltes et des cueillettes. Mais d'autres ont faim....
Si ce n’est pas moi, et ça ne l’est pas, c’est peut-être JJJ….
Peu importe. J'ai répondu. Cet anonyme se trompe.
Ici, dans ce roman de Mauvignier l'auteur se glisse dans un narrateur et note tout ça de la vie de ses personnages sur fond de guerre et dans l'enfermement de la vie d'un village où tous épient derrière leur fenêtre et ont besoin des commérages pour vivre un plaisir trouble, une sorte de revanche.
Ah enfin une scène onctueuse page 513. Deux femmes entre elles. Initiation à la volupté.
Où sont les hommes ? Pas les prédateurs, juste les amoureux éblouis.
Bon, vous n'êtes pas Delly, monsieur Mauvignier. Vous ne poussez pas la chansonnette. "Plaisirs d'amour ne durent qu'un instant " chantait-on dans les années 50.
La vie, elle est plutôt moche dans ce roman. L'ombre de Zola et l'assommoir sur cette bouteille de mousseux....
Qu'est-ce qui sortira de ce livre, si ce n'est la mort....
@ 11.14, une insinuation dégueulasse, MC ?...
Je (J J-J) ne suis apparu qu'à 11.21 et 11.22, c'est tout, et j'avais encore oublié de signer... Désolé, pour le reste j'ignore de qui il s'agit et je m'en tape... Je renouvelle mon estime à Christiane qui a réussi à dépeindre ses sentiments au fur et à mesure, quitte à en vouloir à l'auteur d'avoir su prendre ses distances avec ses personnages odieux... Le pb..., c'est qu'ils le furent tous peu ou prou, odieux et odieuses, mais pourtant, ils valaient le coup d'exister dans la mémoire de la Bassée... (Il semblerait que LM n'ait inventé qu'un seul personnage), etc... Pmp, c'est la personnalité psychologique très complexe de Marguerite qui m'a le plus bluffé !... (Ce personnage n'est réductible à aucune typologie des caractères et figues de femmes répertoriées dans la littérature générale française, me semble-t-il. Sn empreinte restera durable, je crois, chez les lecteurs et lectrices du futur, sans œillères.
euh @ 11.29, dans la comparaison avec Vercors "le silence de la mer" (/// de la mère de Marguerite ????)... Il vous faudra aller jusqu'à la fin, Christiane, pour comprendre cette allusion ! Bon courage...
Superbe, JJJ. Oui, il m'arrive de m'adresser au narrateur de cette histoire, alternant critiques et admirations. C'est à vif.
Oui, Marguerite est un personnage exceptionnellement riche et vivant.
Là, elle traverse un grand vide de trouvant inintéressante, sotte, vaniteuse, médiocre. Elle retourne contre elle tout ce qui est négatif se disant qu'elle le mérite.
Le pire mal qu'un être puisse subir vient de lui-meme. C'est douloureux et très beau. Ainsi ces lignes :
"car il est doux de reconnaître ce qui nous blesse et nous torture mais que nous savons être notre vérité -, ce mal qu'on se cache avec tant d'efforts, il est bon presque délicieux de le laisser remonter et parfois nous envahir."
Sublime !
Oui, JJJ, vous faites comme le Petit Poucet, vous semez des cailloux pour que je retrouve mon chemin.
Il faut que justice soit faite même en paroles. Quelqu'un doit dire toute sa valeur, tout son courage. La réhabiliter même si c'est trop tard pour elle. Ce sera pour son enfant plus tard. Le père du narrateur ?
Je me bagarre avec ce livre. C'est un beau match. Souvent à terre mais je me relève. Qui a chanté sa mère, la boxeuse ? Peut-être M.
https://youtu.be/kCwCOLEzR50?si=G8BxOxsiU1E3kVDu
Je crois avoir enfin le son ! Au bout de trois essais !
Donc, il s'agit de "La boxeuse amoureuse" chantée par Arthur H., le fils d'Higelin.
C'est chouette ce partage, JJJ. Merci
Tout le monde a le droit de s’exprimer, il n’y a rien de narquois ici dans les commentaires.
Oui, JJJ, vous avez raison, Marguerite devient l'occasion pour l'écrivain d'explorer ce que deviennent ces jeunes filles, Marguerite et Paulette - la vendeuse et l'initiatrice de Marguerite.
Alors que la mère s'engage dans un mariage sinistre mais rentable, les deux gamines découvrent la prostitution bien planquée dans le lit du patron. Petits cadeaux pour oublier la nausée, petites consolations entre filles ourlées d'éclats de rires. Le récit est rondement mené. Pas le temps de s'apitoyer. On entre dans un autre temps où tout se marchande. Triste époque. Le plaisir devient sale. Les épouses légitimes ferment les yeux sur les escapades de leurs maris qui épargnent leur devoir conjugal de ces "saletés".
Un roman tellement riche en rebondissements.
On ne savait pas que vous étiez si susceptible, tout cela pour un. Oubli de signature, JJJ. On signale à notre lectrice que Plaisir d’ Amour est une mélodie du. Père Martini, ce qui la rend tricentenaire, sauf erreur de ma part. et que les paroles n’ont rien à voir avec Delly ou Delmet….
JJJ, il ne me reste que 100 pages à lire, alors je ralentis pour que ça dure longtemps.
Quelle beauté que cette rencontre entre Marguerite et André après tout ce malheur qui a abîmé Marguerite.
Vous avez vu, j'en étais certaine , il écrit maintenant au présent. Plein soleil.
L'enfant arrondit cet amour pour que tout soit parfait.
Mais c'est là que le "Je" de l'auteur réapparaît ainsi que le début du roman.
Alors je sais que le malheur va venir en vrai.
Donc je ferme le livre quelques heures. Une façon de laisser le malheur attendre
Que c'est beau ce livre. Qu'il est ravageur.
@ 18.27 -> je ne sais pas qui vous êtes, c'est un peu agaçant comme dirait Christiane... Mais c'est la règle du jeu... Surtout, je ne comprends rien à ce que vous raconter sur le père Martini, et n'ai pas envie de comprendre, car cela n'a aucune importance. Susceptibilité ? Bof...
Page 671... Cette tentation de mort ressemble tant à la mort de Mouchette. Bernanos, encore. Et ça ne m'étonne pas.
Page 688
Mauvignier interrogé bien le désir imprécis de Marguerite dans le temps même où le visage d'André s'efface quand elle cherche à le retrouver.
Trop d'années passent...
De plus elle n'a comme interlocuteurs que sa mère toujours aussi glaciale et médisante, l'homme minable qu'elle a épousé et son fils pas très attirant moralement.
Si elle n'avait ses deux enfants....
En attendant elle cherche comme elle peut à aider son mari prisonnier en Allemagne et dont elle n'a aucune nouvelle.
Le bonheur aura été fulgurant et éphémère dans sa vie.
Je commence à comprendre, JJJ, votre allusion au Silence de la Mer.
Plus que cinquante pages. La nasse se resserre...
"en vouloir à l'auteur" ? Pas vraiment. C'est toujours ainsi, si le livre me plaît, je me tourne vers l'auteur et je ne me prive jamais dans mes monologues de l'invectiver car je le sais responsable de ce qu'il écrit et qu'il me donne à lire.
Mais c'est un jeu, pas un vrai dialogue. Chacun avance ses pions. Et dans la stratégie de chaque joueur, les mouvements d'humeur sont comme des régulateurs.
Et tout cela est dans la tête, seulement dans mes pensées.
Sur ce coup-là, Christiane, votre lecture aura été beaucoup plus lente que la célèbre lecture de Paul Edel qui, elle, ne dura que 24 heures avant de l'expédier fissa aux oubliettes de la littératuer de bazar. Mais au moins, aurons-nous eu la preuve qu'elle n'aura pas été qu'un simple feuilletage, pour ne pas dire un effeuillage simpliste. Bàv,
Merci, SV, de bien vouloir supprimer ce commentaire inutilement polémique de 22.32,
JJJ, je viens de terminer ce roman magnifique, déchirant dans ses dernières pages.
Mauvignier a su faire d'une fiction une approche du réel sidérante.
C'est vraiment un très grand livre. Et quelle leçon d'Histoire !
Merci à vous de votre lecture de vos encouragements. Peu importe que d'autres lecteurs n'aient pas aimé ce livre. C'est leur problème, pas le nôtre. Bonne soirée, cher grand lecteur.
Je comprends votre allusion. Ce moment est sidérant dans le roman. Aurait-il pu avoir lieu ? On le voudrait.
Toutefois, l'Occupation avec tous ces allemands arrogants partout, devait déclencher des réactions diverses. Mise à part cette troublante Marguerite, résister ou pactiser, être indifférent, terrifié, fuir, se cacher... Comme ça devait être difficile surtout pour ceux et celles entourés d'enfants ou d'êtres fragiles. Le pire c'est que des deux côtés, des pauvres gars allaient au casse-pipe sans haine, puis les copains à terre, tués, ils devenaient fous de vengeance.
Et les femmes mariées ou fiancées. Les unes fidèles, les autres oublieuses. Et le retour de ces soldats brisés, prisonniers. Tout ce qu'ils avaient vécu. Tout ce qu'ils voulaient oublier.
Le silence de la Mer. Un bel imaginaire de Vercors.
Vous lisant, je pense à une situation similaire. Avez-vous observé l'attitude d'un passager sachant conduire et se trouvant par hasard placé à côté du conducteur. Il est souvent crispé, note la façon de conduire du conducteur comme imparfaite, aimerait prendre le volant, ne peut s'empêcher de donner des conseils, de critiquer.
Le frottement entre deux écrivains peut parfois ressembler à ce mal-être...
La sensualité envahit le roman avec l'apparition de Marguerite. Elle est même explorée avec finesse. Marguerite est une jeune femme très complexe, avec des désirs forts où se mêlent désir de plaisir sensuel et désir de tendresse, de protection, voire d'oubli . C'est un très beau personnage que l'auteur aime beaucoup et dont il restera proche jusqu'à sa mort.
Bonjour, Soleil vert, je reviens au "Buffle blanc" d'Ernst Wiechert.
La première scène a beaucoup de force. Ce tigre qui rôde, tue l'ancien et cet enfant qui naît tout entouré de douceur. Sa mère le protège de son corps, de sa tendresse. Et Wiechert écrit : "le tranquille reflet du feu dans les yeux doux et insondables de l'enfant."
Ce mot, "insondable" ouvre à l'avenir. Un mystère est là qui n'existe pas généralement dans les yeux des nouveaux nés sauf dans certaines toiles du quatrocento représentant une "Vierge à l'enfant" où l'artiste a mis dans le regard de l'enfant un reflet du drame à venir : la Passion.
Quelque chose de semblable pourrait être contenu par l'emploi de cet adjectif dans ce conte. Vasudeva ne va-t-il pas vivre également sa Passion. Sa mère ne va-t-elle pas l'accompagner dans une douleur presque impossible à décrire ? Vasudeva ne va-t-il pas aussi se sacrifier pour défendre l'humain face au rigide, vaniteux, tyrannique et cruel Murduk ? Un destin hors-norme aussi.
Le présage de sa naissance prend tout son sens.
Ce récit de Murduk, page 92 est celui d'un tyran qui tremble :
"Les Dieux, les femmes, les forêts, les fleuves, le coeur du peuple : tout fut gorgé de poison. Invisible, mais mortel. nous étions donc dans je vrai : seule la terreur fait plier le monde. Pas la justice, car le monde ne veut pas de justice de notre horde. Pas l'amour, car le monde crache dessus. Seule la terreur. C'est elle qui brise les nuques et fait obéir les corps. Elle paralyse la moelle, la main, les rébellions. Après la mort, elle est la meilleure gardienne du trône. Elle bâtit les empires et maintient la charpente des palais.
Or, je te l'avoue, nous n'y prenions aucun plaisir. La terreur rend la vie froide et les nuits solitaires. Elle est comme l'hiver dont parlent les Anciens : un désert de neige sans étoiles. Elle est le fouet pour le cheval, le bâton pour l'enfant, la misère pour le pauvre...(...)
La fatigue brisa la voix de Murduk font la respiration descendait comme tombent les étoiles. Son récit était si sombre qu'il paraissait le plonger dans une nuit éternelle."
Merci Ch. pour ce passionnant échange avec vous depuis quelques jours. Je vais le copier-coller pour l' incruster dans le journal de mes lectures afin d'en garder la mémoire. Il est très rare de bénéficier de la trace d'une lecture différée et quasiment d'un "dialogue" en temps réel avec une lectrice qui n'était pas convaincue au départ. A nouveau merci, Ch. Merci également @ Soleil Vert, bien sûr.
Et merci à vous, JJJ. Vous m'avez donné à plusieurs reprises la force de continuer non à lire -l'addiction était là ! - mais d'écrire ce que je ressentais , ce qui est si éloigné des brillantes critiques littéraires qui nous rendent pantois. J'écrivais avec mon intuition, mes doutes, mes colères, ma vulnérabilité tout ce que grand livre m'apportait.
Mais il faut laisser les mots recouvrirent les mots. Le temps passe... Je garde "La maison vide" dans le cœur. Elle a remué bien des mémoires en moi. Et je reviens comme si la réflexion ne s'était pas arrêtée le 13 septembre, à ce conte de Wiechert qui mérite une lecture d'autant plus lente que c'est un écrit bref.
Il y a un passage que je n'ai pas approuvé dans ce conte. Tout au début, page 24, quand le cavalier de la horde de Murduk frappe les épaules de L'Ancien du village de son fouet après avoir volé le bétail des villageois.
Il est prêt à tiré une flèche pour abattre le cavalier. C'est alors que sa mère arrête son geste au nom de l'interdiction de verser du sang.
La non-violence à ses limites... Je crois qu'il faut résister à l'occupant, se défendre quitte à y laisser la vie.
La fin du conte, tellement barbare évoque une insoumission très belle mais qui engage la mort de la mère de Vasudeva.
Je pense à Camus en 1957, à Stockholm.
L'ambassadeur de Suède était venu à Paris chez Gallimard pour annoncer officiellement à Camus l'attribution du prix. Il lui avait dit : "Comme le héros cornélien, vous êtes un homme de la Résistance, un homme révolté qui a su donner un sens à l'absurde, et soutenir, au fond de l'abîme, la nécessité de l'espoir en rendant place à la création, à l'action, à la noblesse humaine dans ce monde insensé."
La remise du prix Nobel eut lieu. Camus prononça un discours très philosophique.
Plus tard, à l'université de Stockholm, lors d'un débat eut lieu un incident. Un étudiant algérien prit Camus à partie.
Camus lui répondit : - J'ai toujours condamné la terreur, je dois condamner aussi un terrorisme qui s'exerce aveuglément, dans les rues d'Alger par exemple, et qui un jour peut frapper ma mère ou ma famille. Je crois à la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice.
Tout cela tourne dans ma tête alors que je relis ce conte, alors qu'actuellement des peuples résistent à la terreur.
Correspondant à ce dilemme, ce dialogue ultime entre la mère et le fils dans le conte de Wiechert :
"Jusqu'aux premières lueurs du jour, ils restèrent l'un à côté de l'autre. Puis la mère accueillit sa tête sur ses genoux.
"Sur un bûcher, mère ? répétait il en se mordant les lèvres. On t'a dit sur un bûcher ? "
Elle ferma ses yeux avec ses mains. Il sentit qu'elle souriait. "Mon cher fils, dit-elle à voix basse, j'ai entendu dire qu'il en était ainsi dans de nombreuses régions de ce pays maudit. Penses-tu que je te demanderais de t'agenouiller pour sauver ma vie ?
- C'est ce qu'il veut ?
- Oui.."
"Offrez moi une bulle qui monte haut dans les étoiles avec plein de couleurs et plein d'extravagance."
J'ai ça en magazin : prochain article. SV
Joie !
Je suis toujours prête à découvrir un nouveau livre mais je me pose une question : comment la littérature de fiction a-t-elle évolué ? Je n'ai toujours pas entièrement compris le bond réalisé par les écrivains dits du nouveau roman. Dans ces livres, il n'y a plus d'intrigue et pourtant nous lisons, passionnément. Ce ne sont pas des romans réalistes mais excessivement réalistes. Des pages entières sur les choses vues jusqu'à ce qu'elles prennent dans l'oeil et dans la pensée la place essentielle. Le langage prend toute la place.
Un peu comme dans la peinture de l'abstraction du XXe siècle quand soudain les couleurs sont devenues les objets de convoitise des artistes. Les couleurs et ce qu'elles font entre elles. Je me souviens de mon effarement devant les toiles des expressionnistes allemands, suivi de près par une interrogation : que sont les couleurs ? Doivent-elles être une imitation charmeuse de notre perception traditionnelle des couleurs dans notre environnement ou entrer dans les expériences scientifiques de la décomposition de la lumière dans un prisme ?
Lisant à une époque, intensément, Wittgenstein que des amis avaient mis entre mes mains, je lui trouvais une curiosité similaire pas au niveau des couleurs mais du langage.
Brusquement, je me mettais à questionner les mots, les jeux de mots de l'OULIPO., souvent agencés selon des jeux phonétiques mais pas seulement. Il se disait bien des choses sous ces extravagantes phrases un tantinet absurdes..
Suivant depuis quelques années les livres présentés par Soleil vert, je me suis étonnée que certaines fictions se saisissent du langage comme aventure nombreux sont ces livres où une autre langue vient faire lien ou obstacles avec les Terriens .
Ayant vécu au milieu de jeunes enfants en famille ou dans les écoles, j'ai surpris des jeux étranges de langage souvent corrigés par des adultes voulant ramener ces couvées vers un langage intelligible.
Plus tard le verlan et autres langues des jeunes captées au hasard de mes promenades ou dans des fictions télévisées m'ont conduite à la même interrogation.
Les robots, l'IA ne sont-ils pas, dans un autre domaine, un rapt du langage.
Admiration aussi devant le langage des sourds-muets qui par des habiles et rapides jeux de mains arrivent à dialoguer entre eux et avec tous ceux qui veulent apprendre leur alphabet gestuel. Idem devant le braille qui permet aux gens atteints de cécité de lire, écrire grâce à la sensation au bout des doigts de l'agencement de petites aspérités dans le papier , obtenues avec un poinçon.
Dans ce livre que vous annoncez, cher Soleil vert, d'où naîtra l'étonnement, l'aventure ? Dans quel espace où mon imagination et ma mémoire tiendront les rênes ? J'ai hâte de découvrir votre surprise.
Maurice Denis; qui incarne assez bien le passage d’une culture à l’ autre: « se souvenir qu’un tableau, avant d’être une femme nue ou un champ de bataille, est d’abord une série de couleurs en un certain ordre agencées « ….
MC
JJJ 17 Décembre 20h 28: c’était moi! MC
Et les paroles de Martini sont de Florian, ce qui donne à cette romance inusable trois bons siècles….
Accessoirement, il fut ami de Mozart…
MC
Oui, absolument !
https://fr.wikipedia.org/wiki/Plaisir_d%27amour
Merci. C'était donc à propos de la chanson "Plaisir d'amour" que je citais plus haut. Ma mère la chantait souvent. Tino Rossi la chantait, alors. Et elle aimait son répertoire.
Mais, sans savoir qui l'avait créée, je ne l'attribuais pas à Delly qui dans les romans populaires ciblait de sa signature les romans dits à l'eau de rose.
Je disais donc que Mauvignier n'était pas Delly, d'une façon qui se voulait plaisante car il y avait peu de romance dans la vie de cette femme.
Puis j'évoquais cette chanson.
Pas si mal fichue, cette romance de Salon ! MC
On signalera autrement aux Historiens le très documenté mais pas pesant Du Guesclin de Jean Michel Lemasque. Il n’est pas ennuyeux comme le Lassabatere, qui l’est a périr, plutôt vif comme le Minois, et, le lisant, on se prend à rêver à cette époque où un Valois, Charles V, faillit gagner la Guerre de Cent ans….
Les signatures. Tombant comme giboulées de Mars, je ne signerai pas…
Exact. Je relis les paroles. J'écoute la musique. Mélancolie.
faut bien dire que j'ai pas encore réussi à trouver ls sortie au fond du Web... Je n'suis pas un prisonnier, je suis un homme LIIIIIIIIIIIIIIIIIIIBRE !
JJJ 17 Décembre 20h 28: c’était moi! MC - Et vous aviez trois mois d'avance... Je comprends mieux votre uchronisme invétéré... Si je comprends bien, en dehors d'un Libraire égaré (MC ?), il n'y a sur chaine que CP, vous et moij, parfois. Cela suffit peut-être à remplir notre contrat avec le SV... Dommage qu'il n'intervienne pas plus souvent dans les délires du colombarium ;-)
Colombarium !
J’apprécie beaucoup Patrick Mac Gohan, JJJ! ( et le Prisonnier !). MC
Eh bien, nous partageons le goût de cette très vieille série, MC : le propos, l'angoisse, la musique et l'acteur fétiche... qui avaient tant marqué ma (notre) jeunesse. J J-J
Cette page m'est tellement chère. Jamais je ne me suis approchée autant et si longuement du cœur d'un livre, plutôt de ses traces car il fuit dans la brume comme un cerf pourchassé par la meute. C'est une course entre la quête de l'écrivain qui a toujours un temps d'avance même s'il a choisi une marche à reculons dans sa vie. Course aussi avec ma lecture qui grappille les pages avec gourmandise. Lecture où j'ai refait l'histoire à ma façon ajoutant en secret des morceaux de ma vie à ceux des personnages du livre.
Comme des laines arrachées à la toison des moutons quand ils montent à l'alpage et qu'ils frôlent les clôtures en bordure du chemin, les paroles des lecteurs sont comme ces filaments de laine arrachés à la page du livre.
L'auteur a fui. Il garde le secret de sa fiction. Oui, de sa fiction. Je ne crois pas qu'on puisse saisir le sens d'une vie. Vite, l'imaginaire construit sur ces traces une version des faits comme le ferait un dramaturge
Nous vivons, auteur et lecteur, la même dérive vers l'imaginaire.
On pense au théâtre de Shakespeare. Le monde est un théâtre où... Oui, un théâtre absurde.... et nous sommes les acteurs...
J'ai bien aimé cette "Maison vide". Je ne connais pas Laurent Mauvignier. Même après l'avoir vu sur un plateau télé, trop rieur. Comme un gosse qui dirait - Meme pas peur ! Quel beau livre et quel écrivain...
Quel long et rocailleux chemin celui de la lecture. Quel long et perilleux chemin celui qui mène à l'écriture.
Voilà, je vais quitter cette page. Merci Soleil vert pour l'hospitalité. Merci, mystérieux JJJ pour la compagnie.
Maintenant je me laisse emporter par les terres flottantes de Kritika H. Rao dans cette fiction étrange, "Les survivants du ciel".
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