Lavie Tidhar - Neom - Mnémos
Dans la continuité de Central Station, un fix-up
relatant des évènements situés dans un spatioport d’un Moyen Orient imaginaire,
les éditions Mnémos publient Neom, un nouveau roman de Lavie Tidhar. Le titre
n’est pas inconnu. Il désigne « un projet de ville nouvelle futuriste de
la province de Tabuk, dans le Nord-Ouest du royaume d'Arabie saoudite »
dont la figure de proue architecturale consistera en l’édification de « deux
parois en miroir de 500 m de hauteur, sur 170 km de
longueur et environ 200 m de largeur, abritant une cité linéaire ».
Dans le récit de l’écrivain, Neom, devenue réalité, se présente comme une gigantesque
et vieille métropole high tech bordant la Mer Rouge, abritant milliardaires et
gens de peu.
Mariam de la Cruz est l’une de ces modestes personnes, vivotant
de travaux ménagers, rêvant d’un avenir meilleur, peut-être aux côtés du
policier Nasir, un ami d’enfance. D’autres personnages, tout aussi paumés
croisent son existence . Saleh jeune garçon embarqué dans un caravansérail,
rêve de gagner Neom, Central Station et pourquoi pas les étoiles. Et le plus
remarquable d’entre tous, un robot sans nom, sorte d’hybride entre Roy Batty et
« Le robot qui rêvait » d’Isaac Asimov, rescapé de guerres
oubliées, part, armé d’une rose, à la recherche de la dépouille d’une entité
dorée dans le désert.
« partout où vont les humains ils font pousser des
fleurs »
Plus proche, dans le rythme de sa narration, d’un Clifford Donald
Simak que d’un Christopher Robert Cargill (on trouve d’ailleurs des quadrupèdes
causeurs dans le récit), Lavie Tidhar a hérité de l’auteur de City une
foi en l’homme assez inhabituelle chez les écrivains de sa génération, bâtissant
des carrefours d’espérance au fil de Central Station et Neom. La
liste de ses réminiscences est interminable, - il cite d’ailleurs Les seigneurs
de l’instrumentalité - à tel point qu’avec Nicolas Winter on peut se
demander si le regard de l’auteur s’oriente vers le futur ou le passé, non
seulement sur le fond (les conflits d’antan), mais aussi sur la forme, l’abondance
des citations (Jenkins, Shambleau etc.) suggérant un pèlerinage ou un requiem pour la
littérature de science-fiction.
Lavie Tidhar va-t-il poursuivre dans la voie d’une Histoire
du futur, emmener ses lecteurs sur Titan ou dans « Les Nuages d’Oort » ?
Mystère … L’abécédaire qui clôt le volume hésite entre le glossaire et le
fragment Schlegelien, c’est-à-dire des petits bouts de récits autonomes.
Décidément Neom est précieux et intrigant.
12 commentaires:
Et on pourrait citer également "Le Joueur de flûte de Hamelin". SV
Central Station... Je me souviens. C'était en mars, l'an passé.
Ici, une rose au milieu des sables..
C'est lumineux de revenir à cet auteur.
J'ai adoré ce conte. Il est une heure du matin. Je n'ai pas vu le temps passer...
Dans la postface une très émouvante confidence de Lavie Tidhar écrite à Londres en 2022 :
"(...) Je ne me souviens pas quand le dernier mot de "Central Station a enfin été écrit - au cours de l'année 2015, il me semble -, mais cela m'a mené à une petite crise de foi. Je pensais que je n'avais plus rien à "ajouter" à ce monde.
Cela aurait pu se terminer là...
Cependant, quelques années plus tard, j'ai eu envie d'y revenir.
En 2008, je suis retourné sur Titan, puis, par le biais d'une série de nouvelles, j'ai visité Vénus, Mars (...)
Je suis allée à Neom.
A vrai dire, je ne savais pas trop ce que je faisais. Un robot est arrivé sur le célèbre souk aux fleurs de la ville pour acheter une rose, puis s'est rendu dans le désert. Mais je ne savais pas pourquoi. J'ai écrit un autre texte pour le découvrir. Entre-temps, le robot avait creusé un trou dans le sable. Encore une fois, j'ignorai pourquoi. (...)
Il reste beaucoup de choses à explorer et il est possible que j'y reste un moment.
Tout ce que je sais, c'est que partout où vont les humains, ils font pousser des fleurs."
Voilà une belle façon d'évoquer la création littéraire.
Il y a des trouvailles inouïes dans cette nouvelle.
Le poète Bashô mais aussi cet homme doré aux étranges pouvoirs, la situation de Neom "entre Bethléem et la Mecque", ce personnage de Mariam, des jouets avec lesquels jouaient mes petits-enfants dans les années 90 ( un Furby, Pikachu, un Tamagotchi...) - comme pour donner au temps un goût d'autrefois...
Les "Neuf Milliards d'Enfers" remplacent "les Neuf Milliards de noms de Dieu" !
Et ce dialogue autour d'une rose :
"- (...) Je trouve intéressant que la rose rouge puisse être à la fois une déclaration d'amour et une fleur funéraire. (...) - La voulez-vous pour l'amour ou pour le chagrin ?"
Et ce mystère : "Il avait la voix d'un humain mort depuis des siècles, une voix vaguement familière."
Ce conteur est extraordinaire. J'avais aimé "Central Station". Votre remarque sur "Le Joueur de flûte de Hamelin" est lumineuse.
Et le roman - si roman il y a - commence en évoquant Central Station par une carte géographique de la région mêlant adroitement notre connaissance actuelle de cette partie du Moyen-Orient et les inventions de Lavie Tidhar.
Le roman commence aussi par une généalogie, celle de Mariam et celle de Saleh qui occupent ces premières pages dans oublier le désert du Sinaï.
Mariam qui n'est plus toute jeune travaille chez un couple aisé comme femme de ménage. Saleh a perdu les siens... Il marche et ses pas de mêlent à ceux d'une caravane.
Dans les premières pages du roman, un être a été agressé dans les rues où marche Mariam. Un être auquel elle était attachée. On se moque de son chagrin, ce n'était qu'un sous-robot obsolète - qui était pourtant attaché à sa famille depuis si longtemps.
Me souvenant de Central Station, je m'interroge. Qui sont ces personnages ? Humains ? Robots ? Mi-humains, mi-robots.
La société où ils vivent, se croisent , ressemble à notre monde par ses inégalités, ses interrogations, son climat. De temps à autre, un objet, une modification comme si les années passées avaient amélioré la vie des gens (?) dans ce coin de la Terre. Enfin, améliorer c'est beaucoup dire... Il y a de l'agressivité dans l'air...
Les robots-ténias qui grouillent dans le désert font penser aux vers dangereux de "Dune". Nous sommes, lecteurs de SF, dans un domaine qui est plein de références à d'autres fictions SF mais aussi, étrangement dans celui par des citations de notre monde culturel.
Un entre-deux déjà ressenti dans "Central Station".
On dérive sans s'en rendre compte dans un univers où la douceur s'oppose à la dureté de certaines mœurs.
La rose de la couverture en est le symbole. Elle arrive dans ce roman comme un cadeau d'amitié entre un robot rouillé et bringuebalant et cette femme déjà attachante, Mariam.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Dune_(roman)
Où il est question de vers géants....
https://fr.wikipedia.org/wiki/Dune_(film,_2021)
C'est aussi un film de Denis Villeneuve.
https://www.courrierinternational.com/article/droits-sociaux-neom-le-projet-futuriste-saoudien-une-reelle-dystopie-pour-les-travailleurs_227210
Ainsi Neom existe bien. Un chantier digne de la SF...
Non, Proche-Orient.
Je pose la question de la nature de livre car si c'est un roman, il est très court - 180 pages - avec une grande taille de police de caractères . Ce qui fait l'équivalent d'un roman d'une centaine de pages. Est-ce une novella ? Un conte ?
Non, nous sommes dans une écriture lente au rythme dodelinant d'une caravane dans le désert. L'écrivain prend le temps d'écrire avec délicatesse, poésie et parfois inquiétude car le monde d'avant évoqué par les personnages , humains ou robots, était celui de la guerre.
Il y a une musique dans cette écriture, entre adagio et valse. Une nostalgie... Mais de quoi ? D'un futur, peut-être qui n'a pas eu lieu et vers lequel tend le petit robot voyageur . Partir... S'envoler... Aller vers l'inconnu avec une rose....
de ce livre
https://www.lepoint.fr/culture/les-laureats-du-prix-nobel-de-litterature-des-reperes-dans-un-monde-instable-09-10-2025-2600660_3.php
Un article très intéressant à propos du prix Nobel...
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