Johan
Heliot - Frankenstein 1918 - L’Atalante
A mon grand-père, Poilu de 14-18, à
mon père, gardien de la mémoire.
1914 :
par le jeu des alliances débute un conflit mondial sanglant qui portera le nom
de Guerre terminale. Sur le front occidental la Prusse affronte la France et la
Grande-Bretagne, privées du soutien des Etats-Unis. Les hostilités perdurent
jusqu’en 1933, date à laquelle les belligérants détruisent la ville de Londres en
déversant depuis des zeppelins, des bombes irradiantes. La France vaincue est
placée sous Protectorat allemand. Il faudra attendre l’année 1958 pour que le
colonel De Gaulle en secoue le joug.
Entretemps, un jeune
intellectuel français découvre, par l’entremise de l’écrivain et correspondant
de guerre Ernest Hemingway, un épisode méconnu et fantastique de ces sombres
années qui, s’il avait été mené à son terme, eut pu changer le sort des armes.
Un obscur officier supérieur anglais du nom de Winston Churchill voulu mettre
en pratique les travaux d’un certain Victor Frankenstein pour créer des
bataillons de « non-nés » et surprendre ainsi l’ennemi. C’est le
récit de l’un d’entre eux, Victor,
qui parvint aux mains du professeur Edmond Laroche Voisin.
Involution avait aiguillé ma curiosité, j’avais eu de bons échos de Françatome, mais Frankenstein 1918 est un coup de
cœur. La célébration prochaine du centenaire de l’armistice du 11 Novembre 1918
est à l’origine de la rédaction de cette uchronie, débridée comme d’habitude
par l’imagination de Johan Heliot, et plaçant du coup cet auteur dans la
filiation d’un Reouven ou d’un Wagner. Mais ici, malgré quelques jeux de mots
inauguraux - Anvers fut l’endroit d’un
tournant décisif …, L’adieu aux âmes d’Ernest Hemingway - l’humour cède vite
le pas à la gravité requise pour la dénonciation romancée de la folie des
hommes. Heliot est natif des Vosges, et dans l’Est comme dans le Nord, la terre
autant que les esprits se souviennent des boucheries militaires du XXe siècle.
Trois idées forces
traversent ce livre. Le travail de mémoire, symbolisé par la recherche des
manuscrits de Victor, la créature du docteur Frankenstein, des travaux du
savant, et des mémoires de Winston Churchill. S’y ajoute le récit oral de Victor
de plus en plus précis au fur et à mesure du rétablissement progressif de son
intelligence et de ses souvenirs. Vient ensuite une dénonciation de la violence
dont les apparitions circonstanciées dissimulent la triste réalité d’une tare
ancrée dans le génome humain et qui ne demande qu’à s’exprimer. Enfin l’écrivain,
par le biais du revenant, entame une réflexion sur le Pouvoir, sur la malfaisance
exercée par une minorité sur les populations qu’elles ont en charge.
Dans les réussites de l’ouvrage
on comptabilisera la mise en scène de personnages historiques. Churchill, Irène
et Marie Curie ne sont pas des porte manteaux narratifs mais des êtres agissant
– à l’exception notable d’Hemingway. Quant à Victor, sa lente régénération morale succédant à celle de son corps constitue le point d'orgue du récit tout autant qu'un message adressé au lecteur. La conclusion sans appel de Frankenstein 1918 dépasse le cadre de l’uchronie
pour atteindre l’universel : « n’oubliez
jamais le sacrifice des générations qui vous ont précédé et rappelez-vous les
leçons de l’Histoire, car c’est le seul moyen d’éviter de répéter les erreurs
de vos ainés ».
Espérons que ce livre
taille sa route au milieu des poids lourds attendus de la rentrée littéraire
que sont la nouvelle collection Albin Michel ou La mort immortelle de Cixin Liu. Je ne lui adresserai qu’un
reproche, à savoir une quatrième de couverture beaucoup trop bavarde, dévoilant
les 170 premières pages d’un roman qui en compte 245.
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