Lao She - L’homme qui ne mentait jamais - Picquier Poche
Lao She est
un écrivain chinois né en 1899 et vraisemblablement exécuté en 1966 lors de la
Révolution Culturelle. Son œuvre la plus connue reste le roman Le pousse-pousse. Outre quelques pièces
de théâtre, il a rédigé une quarantaine de nouvelles dont l’essentiel a été
traduit et publié en France dans deux recueils, Gens de Pékin chez Folio et L’homme
qui ne mentait jamais chez Philippe Picquier.
Comparé à
Dickens, il détient cette faculté d’autopsier le réel à coup de scalpel dans
des récits où, ainsi que le note la quatrième de couverture, les rêves et désirs
de ses personnages se fracassent sur le mur de la réalité. « Un vieillard sentimental »
s’inscrit dans cette illusion qui voit un vieil homme faire le bilan de sa vie
et tenter de prendre un nouveau départ alors que la Faucheuse le guette dans
une rue glaciale et ventée. L’échec face au réel est le thème du « nouveau Hamlet ». Le narrateur
renvoie dos à dos un père et son fils. Le premier déploie des efforts
considérables pour faire fructifier ses commerces puis échoue du fait de la
concurrence ; le second se complait dans des rêveries improductives. Agir
ou ne pas agir, voici la question … Dans ces contes pittoresques la
bouffonnerie se mêle parfois au drame. Lao She prend plaisir alors à
portraiturer ses protagonistes. « Ménage
à trois » voit deux anciens soldats copains comme cochon – c’est le
cas de le dire –, l’un a tête de potiron, l’autre à tête de choux, tenter d’imposer
un mariage polygame à une pauvre fille.
La condition des
femmes dans la société traditionnelle chinoise, - ici dans les années
d’occupation japonaise, théâtre global des nouvelles du recueil -, constitue la
dernière marche de la souffrance humaine. Tel est le destin de Xiao Feng. Le
court et remarquable roman « Vieille
tragédie pour temps moderne » raconte un peu à la manière des Buddenbrook de Thomas Mann le déclin ou plutôt la chute d’une famille. Le vieux Chen Hongdao, lettré respecté, règne sur ses deux fils
et sa bru. Lianbo le plus doué de ses garçons accroit la fortune paternelle à
coups d’affaires plus ou moins douteuses. Il délaisse sa femme qui lui a donné
un fils « idiot ». L’autre fils Lianzhong, adepte des dettes de jeu,
s’acoquine avec un truand qui se trouve être le frère de Xiao Feng la concubine
de Lianbo. Cette femme ancienne institutrice paye pour les malversations de son
frère, enterrant tout espoir d’avenir personnel et professionnel.
La misère du
petit peuple tisse la toile de fond du recueil. Dans le récit « Les lunettes », un étudiant se
fait voler des verres qui constituent son seul bien. Frappé de myopie
il abandonne ses études. Pendant ce temps les bésicles devenues inutiles
passent néanmoins de mains en mains à coups de transactions disputées. Plus
fort « L’ordonnance »
raconte la mésaventure d’Ertou un pauvre hère capturé par des policiers chinois
alors qu’il s’aventure hors des murs de la ville à la recherche de médicaments
pour son père mourant. Ayant ramassé sur sa route un manuscrit perdu il est
accusé de rébellion contre l’occupant. Ertou, qui ne sait même pas lire est
victime d’une autre guerre que se livrent à coup de publications un romancier
et un critique.
« Notice nécrologique » et « La mort d’un chien » quoique cruel
pour le premier, tranchent avec l’ambiance de résignation des textes chroniqués
précédemment. Leurs héros affrontent l’ennemi japonais. Dans un cas un pauvre
tireur de pousse-pousse se révolte contre des soldats nippons qui ont capturé
son fils à des fins de rançon. Les policiers chinois déjà moqués dans « L’ordonnance » pour préférer
s’attaquer à leurs concitoyens plutôt qu’à l’envahisseur, restent prudemment en
dehors des hostilités. Voilà qui annonce et précède de peu les futurs
agissements de la milice française. Dans la seconde nouvelle un groupe de
jeunes gens fomentent un acte de résistance. C’est pourtant le père de l’un
d’entre eux, méprisé par son fils, qui affrontera l'ennemi.
Deux
remarquables récits, aux thématiques atypiques, se détachent. « L’homme qui ne mentait jamais » a
pour héros Zhou Wenxiang un honnête fonctionnaire ; celui-ci reçoit un
courrier l’invitant à entrer dans un cénacle de menteurs. Pourquoi lui, se
demande-t-il ? Le doute sur sa propre intégrité l’assaille alors et
s’étend à sa famille lorsqu’il apprend que son fils ne s’est pas rendu à l’école
en raison de maux d’estomac. Ment-il aussi ? Zhou Wenxiang s’interroge
donc sur la vertu, un concept universel - ici confucéen -, auquel il apporte
une réponse … taoïste. « Le nouvel
Emile », au titre rousseauiste, raconte la désastreuse prise en main de
l’éducation d’un enfant par son père. Inspirée du Meilleur des mondes selon le traducteur, cette nouvelle prophétise
trente ans avant, les délires de la Révolution culturelle. Absolument
incroyable.
L’ensemble de
ces textes auxquels il faut ajouter « La
chenille », « Li le noir
et Li le blanc », « Buffle
en fer et Canard malade » témoigne de l’étendue et de l’universalité du
talent de Lao She, tour à tour conteur, observateur des avanies humaines et
satiriste.
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