Arkadi
et Boris Strougatski - L’île habitée - Denoël Lunes d’encre
Traduit en 1971, l’île
habitée appartient à la « trilogie des pèlerins », à laquelle se
rattachent Le scarabée dans la fourmilière et Les vagues
éteignent le vent. A l'image des autres opus des frères Strougatski le
thème de l’intrusion constitue le fil conducteur de l’ouvrage à tel point que
le lecteur découvre ou redécouvre, comme dans le précédent Il est difficile
d'être un dieu réédité par Lunes d'encre, un cycle de la Culture avant la
lettre.
Maxime, un Terrien membre du Groupe de Recherche Libre, débarque sur une planète inconnue en crashant son vaisseau à l’atterrissage. Il découvre un monde délétère : « L’air était brûlant et dense. Cela sentait la poussière, le fer rouillé, l’herbe piétinée, la vie. » Des hommes y vivent dans un pays nommé "L’île habitée", sous le joug d’une dictature qui entretient un état de guerre permanent contre des ennemis extérieurs et intérieurs. Les Pères inconnus annihilent toute velléité de résistance en balançant quotidiennement des électrochocs sur la population. Maxime, archétype de super héros tout en candeur, doté de capacités psychiques et physiques hors norme décide bien malgré lui de s’intégrer à ce monde.
Romans après
romans, Arkadi et Boris Strougatski élaborent des récits sur le thème de
l’intervention extra-terrestre dans une société rétrograde. Cependant on est
loin de l’hédonisme de la Culture, et le peu d’importance accordé aux éléments
science-fictifs rattache ces textes à des contes philosophiques. Dans Il est
difficile d’être un dieu, les dieux en question se cantonnent à un
rôle d’historien et d’observateur, au prix de douloureux débats moraux et du
renoncement. A l’inverse L’île habitée raconte l’itinéraire spirituel
d’un personnage qui passe du rôle de spectateur à celui de rebelle. Cet univers
de rouille, de radioactivité, de soldatesque aux cerveaux cramés évoque à la
fois Stalker et 1984, à ceci près que le célèbre roman de Orwell
décrit une oppression vécue de l’intérieur.
Enrôlé dans la
Garde, au début du récit, Maxime se lie d'amitié avec le caporal Gaï et sa sœur
Rada. Leur compagnie traque les opposants au régime. A l'occasion d'une
arrestation, il intègre sans hésiter un groupe de résistants dont l'objectif
est d'abattre l’une des tours émettrices des rayons dépressifs.
Personnage sans regret avec un profil de meneur, électron libre à la manière
des agents de "Circonstances spéciales" de la Culture, tout entier
tendu vers les objectifs qu'il se fixe au fur et à mesure de sa progression
dans la connaissance de son environnement, le héros de l'île habitée
semble tout aussi mystérieux aux yeux du lecteur que les Pères inconnus. A
l'inverse, comme d'habitude, les frères Strougatski agrémentent le récit de
personnages secondaires hauts en couleur, profilés comme des maniaco-dépressifs,
bref typiquement russes.
Des Pères inconnus,
au Petit Père du peuple, le pas est vite franchi. A la fois roman politique et
d'aventure, très linéaire dans sa construction, L'île habitée se lit sans
déplaisir, si ce n'est une pointe d'austérité qui l'apparente aux contes
philosophiques.
[Cette chronique
est une reprise d’une fiche de lecture parue dans Le CC]
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