mercredi 4 juillet 2018

Stalker


Arkadi & Boris Strougatski - Stalker Pique-nique au bord du chemin - Folio SF







Vingt ans après la catastrophe de 1986, les touristes commencèrent à affluer sur les lieux du cataclysme. Aujourd’hui, outre des excursions dans les rues et les habitations fantômes de la ville de Pripiat, des guides proposent de visiter Tchernobyl et sa centrale nucléaire de sinistre mémoire. On appelle ces hommes des stalkers, c'est-à-dire des traqueurs ou pilleurs d'objets, un surnom attribué aussi aux fameux liquidateurs russes qui jouèrent les pompiers de la mort dans la centrale en feu. Au cœur de cette mythologie ancrée au cœur d'une des grandes tragédies du XXe siècle, un texte de science-fiction publié 14 ans avant la catastrophe par Arkadi & Boris Strougatski, traduit une première fois en France en 1981 chez Denoël puis réédité successivement chez le même éditeur et en poche. A y regarder de plus près Stalker n'est pas Tchernobyl, mais pourrait l’être …


Redrick Shouhart travaille comme laborantin à l'institut international des cultures extra- terrestres de la ville de Harmont. En échange de quelques billets rapidement liquidés en beuveries frénétiques, il explore et ramène des objets étranges issus de la Zone.
La Zone est l’une des six aires où dit-on débarquèrent et repartirent en toute discrétion des êtres venus d'ailleurs : un pique-nique sidéral en quelque sorte tel qu’il ressort dans le titre originel Piknik na obotchine. Un trafic officiel, et officieux, s'organise autour de la capture des reliefs de cette visite éclair. Trafic non sans danger, car les objets en question dont la nature et le fonctionnement échappent à l'entendement humain, gisent dans des territoires dangereux défiant les lois de la physique.


Découpé chronologiquement en quatre longs chapitres, le récit est bâti autour du personnage de Redrick Shouhart. Pour lui et ses semblables, la Zone constitue le seul moyen d'existence, en même temps qu'une addiction destructrice. Le stalker, à l'image d’Aguirre, héros du film de Werner Herzog, poursuit un eldorado symbolisé par un objet mythique, la Boule d'or, alors même que son univers personnel part en déliquescence. La première partie écrite dans un style âpre et rapide, à la première personne, donne le ton du roman. Il relate une incursion dans la Zone façon Le salaire de la peur, matière aussi à pénétrer l'univers mental de Shouart, personnage frustre, déterminé et révolté.


Plus nerveux que le précédent opus des frères Strougatski Il est difficile d'être un dieu, Stalker présente néanmoins quelques similitudes avec celui-ci. On retrouve en premier lieu - comme chez Stanislav Lem d’ailleurs - le thème de l'incommunicabilité. L’intrigue d’une noirceur que n’aurait pas reniée Thomas Disch dépasse le cadre science-fictionnesque pour déboucher sur une réflexion sur la condition humaine, sur l’absurde, l’apparentant ainsi aux inquiétudes sœurs formulées par Beckett, Camus ou Kafka.


L’angoisse culmine au cours d'une scène centrale entre Pilman le scientifique et Nounane, Quelles étaient les motivations des Visiteurs ? Nous n'en saurons rien, puisque la vocation de l’Homme n'est pas de comprendre, mais de s'adapter, ou pire de parasiter comme des fourmis dévorant les restes d'un pique-nique. Outre cette scène, la visite de Nouane à la famille de Shouart confère au chapitre 3 une exceptionnelle force dramatique à laquelle succède dans le chapitre suivant un final étourdissant, comme en boucle avec le début du roman :  "Du bonheur pour tout le monde, gratuitement, et que personne ne reparte lésé !".


Récit d'invasion extra-terrestre qui n'en est pas un, ou catastrophe écologique, Stalker déjoue tous les poncifs de la science-fiction. Mythologie Tchernobylienne, déclinée au cinéma et en jeu vidéo, ce roman impressionnant rejoint aussi les grandes interrogations contemporaines.


2 commentaires:

Lio a dit…

Je ne connaissais que le film de Tarkovski et me demandais ce que valait le roman d'origine. D'après ton article, les deux oeuvres abordent le même sujet de façons assez différentes. Ca me donne envie de m'y plonger pour mesurer l'ampleur de cette différence. Merci :)

Soleil vert a dit…

Merci de m'avoir lu