Robert Louis Stevenson - L’Île
au trésor - Edition Sarbacane
Comme Herman Melville, Robert Louis Stevenson appartient à cette catégorie des docteur Jekyll et M. Hyde de la littérature. Je me suis exprimé à ce sujet précédemment. Souvent catalogué comme un maitre du roman d’aventure, il illustre aussi l’idée - et j’en termine avec les auto-citations -, que « se renouveler suppose l’expérience d’une forme d’altérité au sein même de l’identité ». Quoiqu’il en soit ces deux géants ont créé des archétypes littéraires.
Quand il publie L’Île au trésor en 1883, Stevenson n’a pas encore effectué ses périples dans les mers du Sud. Il a parcouru l’Europe et laissé trace d’une randonnée dans les Cévennes effectuée en compagnie d’une ânesse. Il a lu « Le Scarabée d’or » d’Edgar Allan Poe, Robinson Crusoé, peut-être Le Comte de Monte-Cristo, et surtout nous dit Gilbert Sigaux en postface d’une autre édition, dans son enfance, quelques récits d’aventure comme Les Aventures de Jan Van Steen, Les Naufrageurs et quelques autres. Plus modestement on remarquera qu’Ayrton alias Ben Joyce, pirate perdu de L’Île Mystérieuse de Jules Verne semble préfigurer Ben Gunn.
On ne fera pas l’affront de relater ici les aventures du jeune Jim Hawkins ; l’adolescent découvre dans les effets d’un « gentilhomme de fortune » décédé dans l’auberge paternelle, une carte indiquant l’emplacement d’un trésor dissimulé dans une ile lointaine. Il part à sa recherche en compagnie de quelques hommes de bonne volonté. Bien entendu les compagnons de l’ancien pirate feront tout pour s’opposer à l’entreprise et récupérer le magot.
Copyright Editions Sarbacane - Maurizio A.C. Quarello |
La mer et ses rivages, en témoignent l’Ancien Testament, Moby Dick et l’Odyssée, furent longtemps des territoires d’inquiétude, réservés aux prophètes, aux krakens et assimilés rois des profondeurs, aux cyclopes et magiciennes seigneurs d’ilots. Tout change avec Stevenson, Verne, Dumas et quelques autres. Le monde devient espace à explorer et hélas terre de colonisation. Voyage avec un âne dans les Cévennes contribue à l’engouement naissant pour les voyages. Dominique Fernandez (préface à l'édition Flammarion) et Borges avancent l’hypothèse que L’ile au trésor marque une étape. Adieu Les Argonautes, Julien Sorel ; les quêtes couronnées de succès auraient lieu désormais très loin des frontières. Et d’évoquer la mode littéraire de l’échec romanesque au cœur des sociétés occidentales (Kafka ou pourquoi pas Epépé chroniqué ici). Pourtant un autre courant, l’avènement en France du merveilleux scientifique au début du XXème siècle, dément cette assertion. Ses récits décrivent, avec éloignement certes, la naissance des sociétés industrielles, mettent en avant les progrès scientifiques et techniques, et relatent par imaginaire interposé les transformations à l’œuvre. Plus important le futur devient l'alibi de l’exotisme et du coup la quête reprend pied au cœur du monde contemporain.
Faut-il comme Dominique Fernandez parler de roman initiatique ou de roman d'apprentissage ? On voit, dit-il, le jeune héros dériver à de multiples reprises sur l'eau comme le nouveau-né Moise : qui le guide ? Or Hawkins apprend, il apprend même très vite. Ses multiples initiatives fondées sur un coup de tête contribuent de façon décisive au succès de l’entreprise. Il prend le capitanat de l'Hispaniola, tue son premier adversaire. Par une espèce de renversement c'est le lecteur qui est initié aux mystères des exploits de l'adolescent. Stevenson invente génialement la clef du business de la littérature jeunesse, l’enfant roi, l’enfant élu qui aboutit, entre autres, au cycle d’Harry Potter. Il n’oublie pas aussi le prix à payer des quêtes abouties. Comme dans Le livre des crânes de Robert Silverberg ou Les Aventuriers de l’Arche Perdue, Indiana Jones et la Dernière Croisade etc. la mort attend ceux qui échouent. Mais l’auteur écossais n’a pas inspiré que des foudres de guerre. Le début de son épitaphe aux iles Samoa ("Sous le vaste ciel étoilé / Creuse la tombe et laisse-moi en paix...") fut réinterprété par Dan Brown dans son lamentable Da Vinci Code. Les écrivains expriment parfois le désir de reposer en paix. Il faudrait en faire de même pour leurs textes.
De multiples éditions de L’île au trésor, agrémentées ou non d’appareils critiques, existent. Pour une première lecture, un dessin valant de longs discours, on se tournera vers les éditions Sarbacane et les illustrations de Maurizio A.C. Quarello.
1 commentaire:
Oui, "cette invasion française du positivisme scientifique" a stérilisé le roman après les grands titres de Jules Verne. Lequel en est assez vite réduit à avouer à Hetzel: "je tache d'intéresser par la science et la combinaison". C'est assez dire que la science ne suffit plus... "Yoooh, et une bouteille de Rhum!" MC
Enregistrer un commentaire