Adam Roberts - La chose en soi - Denoël Lunes d’encre
1986. Dans le cadre d’une mission scientifique en
Antarctique, Charles Gardner et Roy Curtius tentent de détecter d’éventuels
signaux extraterrestres. Isolés dans une base, hormis les contacts radios, les deux
hommes finissent par se brouiller puis se détester quand le taciturne Curtius refuse
de rendre un courrier à Gardner que celui-ci lui avait imprudemment confié. Pis,
le premier tente de se débarrasser de son collègue, en le droguant et en
l’abandonnant dans la nuit polaire. Alors que Gardner tente de réintégrer leur
local, il aperçoit une créature monstrueuse.
Adam Roberts est un universitaire et romancier
britannique, auteur de plusieurs ouvrages critiques sur la fantasy et la science-fiction,
en particulier sur Tolkien. En France trois de ses textes ont été traduit, dont
The Thing Itself cette année chez Denoël Lunes d’encre. Outre la découverte
d’un nouveau romancier, La chose en soi s’avère l’expérience de lecture
la plus dingue qu’il m’ait été de vivre. On connaît les flirts plus ou moins revendiqués
entre philosophie et science-fiction, en particulier la plongée métaphysique de
la trilogie de Siva de P. K. Dick, ou l’empreinte laissée par Schopenhauer,
disciple justement du solitaire de Königsberg, sur les écrits de Michel Houellebecq.
Et bien La chose en soi n’est ni plus ni moins qu’une tentative de
transposition science-fictionnesque de La critique de la raison pure d’Emmanuel
Kant.
Vous êtes encore là ?
Bon. Sachez que la pleine maitrise des concepts dudit
essai ne constitue pas un prolégomène prérequis à la compréhension de l’intrigue.
Notez néanmoins que le roman est divisé en douze chapitres portant chacun le
nom d’une des catégories de l’entendement définies par Kant. Pour en revenir au
pitch, Roy Curtius passionné par les énoncés de La critique - son unique
distraction au sein de la nuit polaire -, découvre dans une sorte d’illumination
que l’homme fabrique l’univers en le percevant. L’individu qui pourrait s’affranchir
des filtres catégoriels de l’espace, du temps, atteindrait le cœur des choses
et disposerait de leviers formidables pour manipuler la réalité. Alors que son
collègue physicien perturbé par l’expérience vécue en Antarctique finit par
perdre le fil de son existence, un Institut tente de le capturer et de mettre
en application ses idées.
Démarrant en trombe comme un remake de The Thing de John Carpenter, empruntant les pas de La transmigration de Thimothy Archer de Dick au troisième chapitre, La chose en soi déboussole le lecteur en raison de fictions intercalaires certes parfois brillantes mais qu'on a peine à relier au corps principal de l’histoire malgré de vagues parentèles sur fond de créatures d’outre ciel. L’un de ces textes" Le penny d’or" est un récit d’apprentissage. A la fin du XVIIe siècle, un jeune apprenti tombe dans les mains d’un notable qui en fait son objet sexuel. Il implore alors des forces démoniaques à son secours. Sur fond d’hypocrisie religieuse c’est absolument remarquable et donne à penser que La chose en soi ressemble à un fix-up dont on pourrait extraire des nouvelles avec profit.
Roman Dickien qui ne me semble pas atteindre sa cible,
l’opus d’Adam Roberts recèle néanmoins des moments passionnants. Chapeau
bas au traducteur Sébastien Guillot et à toute la chaine éditoriale Lunes d’encre,
en particulier pour les transcriptions en calligraphie ancienne. Pour vingt-trois
euros ce n’est pas cher payé.
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