Fritz Leiber - La guerre uchronique - Edition intégrale - Mnémos
« Eh, mon pote, tu
veux vivre ? »
Si une personne s’adresse à
vous en ces termes, vous seriez bien inspiré de l’écouter et de la suivre. L’autre
hypothèse est que vous tenez en main La guerre uchronique de Fritz
Leiber. Une heureuse nouvelle également, car vous allez passer un bon moment et
apprendre une multitude de choses sur cette série oubliée de l’auteur du Cycle
des Epées. Timothée Rey a complètement refondu l’ancienne édition de l’ensemble
des textes connue sous le nom de La guerre des modifications, entendez
par là, nouvelles traductions, ajouts de récits supplémentaires, préface, glossaire,
étude de l’œuvre romanesque de Leiber et un paquet de notes à faire pâlir de
jalousie un Jean-Pierre Bernès ou un Philippe Jaworski (1). Le théâtre élisabéthain
et la mythologie nordique n’auront plus de secret pour vous, à moins que vous
ne préfériez un précis de numérologie. La préface qui met l’accent sur la
thématique du voyage dans le temps un peu au détriment de l’uchronie, me semble
le seul point de discussion. L’appareil critique est de telle qualité et de
telle ampleur que je me suis demandé pour la première fois de ma vie de lecteur
si le para texte ne renvoyait pas le corps de l’ouvrage au second plan.
L’assertion est cependant injuste dans la mesure où l’écriture multi-référentielle
et jouant sur les mots de l'écrivain, suscite ces commentaires.
La guerre uchronique raconte l’affrontement dans
l’espace et le temps de deux peuples, les Araignées et les Serpents. Ou plutôt
ne raconte pas. Seuls les échos de cette guerre nous parviennent comme dans L’Hyper-temps
où des soldats réfugiés dans une base arrière « La Station de Récupération
et de Distraction » ressassent leur périple. Cette distanciation par rapport
à l’évènement principal (à l’inverse de La Patrouille du Temps de Poul Anderson)
autorise toutes les libertés narratives. Dans « Dernier
zeppelin pour cet univers » un vent uchronique modifie la trame de
l’histoire sans que le conflit principal soit suggéré. « Le vieux
soldat » échoué dans une taverne détaille les péripéties de ses
guerres millénaires sans que personne n’émette l’hypothèse qu’il y a
effectivement participé. L’inspiration de cette nouvelle - et c’est là que l’on
apprécie la profondeur du travail de Timothée Rey - vient d’un pangramme « The
quick brown fox jumps over the lazy dog ».
Damien Hirst - Hydra et Kali |
Seize récits dont le roman
cité plus haut et une novella « Nul besoin de grande magie »
composent l’ensemble. Quatre textes dominent le cycle. « Dernier
zeppelin pour cet univers » et « Minuit dans le monde miroir »
tranchent par leur classicisme. Leiber renonce à ses habituels « bavardages »,
pour reprendre l’expression de Jean-Pierre Andrevon. Le premier (Hugo 1975,
Nebula 1976) décrit un monde dominé par la technologie des moteurs électriques
et des zeppelins à hélium. La convivialité sociale y exclut toute forme d’antisémitisme.
Un diplomate allemand au visage tristement célèbre s’apprête à quitter New York
quand soudain la trame du Temps s’effiloche. On dirait un Pavane ou un ouvrage
de Dick retaillé à la dimension d’une nouvelle. « Minuit dans le monde
miroir » évoque Le portrait de Dorian Grey revisité avec la minutie d’un Edgar Poe. Se contemplant dans l’infini des reflets
de deux miroirs se faisant face, le narrateur s’aperçoit d’une anomalie dans le
8e. Au fur et à mesure de ses passages successifs, l’aberration
progresse de reflet en reflet … Patrouillant sur la planète rouge, un
astronaute est stoppé par la vision incongrue de la cathédrale de Chartres en
plein désert. « Quand soufflent les vents uchroniques » est
une errance martienne totalement poétique. « Imaginez un poète
qui se sent né pour le drame et qui pourtant n’a pas en lui le démon de l’action,
c’est-à-dire la logique des combinaisons multiples naissant de la passion
humaine et l’entraînant vers un dénouement final ; voilà l’écrivain dont nous
essayons de tracer la physionomie ». Cette assertion d’un essayiste
sur Robert Browning, dont il est question dans ce texte, résume bien l’art de
Fritz Leiber (2). Enfin « Nul besoin de grande magie » révèle
une autre de ses facettes, son goût pour le théâtre et la théâtralisation. Il s’agit
ici d’une représentation de Macbeth de William Shakespeare, racontée par
une costumière réfugiée dans les coulisses. On est à la fois dans la pièce,
autour de la pièce, ses figures, l’interprétation etc. Cela évoque l’Impromptu
de Versailles. Pour complexifier le tout, l’auteur a repris les
protagonistes de L’Hyper-temps. L’action se déroule-t-elle dans la
Station ou en dehors ? Toujours est-il qu’un coup de vent uchronique
transporte tout ce petit monde en l’an 1600. Brillante fiction, mise en abyme,
tout est dit et plus encore par Timothée Rey, architecte ébouriffant d’une édition
intégrale d’un pan méconnu de l’œuvre de Fritz Leiber.
TABLE
DES MATIÈRES
PRÉFACE
QUAND
SOUFFLENT LES VENTS UCHRONIQUES
L'HYPER-TEMPS
I.ENTRENT TROIS
HUSSARDS
II.UN GANT DE LA MAIN
DROITE
III.NEUF
POUR UNE TEUF
IV.SOS
DE NULLE PART
V.SID
SORT LES FILLES-FANTÔMES
VI.LA
CRÈTE, CIRCA 1300 AVANT 3.-C.
VII. LE TEMPS D'Y PENSER
VIII.UN
LIEU OÙ SE TENIR
IX.UNE
CHAMBRE CLOSE
X.
MOBILES ET OPPORTUNITÉS
XI.LE
FRONT OCCIDENTAL, 1917 APRÈS J.-C.
XII.UNE
GRANDE OCCASION
XIII.LE
TIGRE EST LÂCHÉ
XIV.
« TU VAS PARLER, MAINTENANT ? »
XV.LE
SEIGNEUR ARAIGNÉE
XVI.LA
SOMME DES POSSIBLES
MOUVEMENTS
DU CAVALIER
NUL
BESOIN DE GRANDE MAGIE
LE
MATIN DE LA DAMNATION
ESSAYEZ
DE CHANGER LE PASSÉ
LE
VIEUX SOLDAT
PAVANE
POUR DES FILLES-FANTÔMES
CORRIDOR
NOIR
DERNIER
ZEPPELIN POUR CET UNIVERS
LES
MYTHES QUE MON ARRIÈRE-PETITE-FILLE M'A CONTÉS
LES
TRANCHÉES DE MARS
L'ARAIGNÉE
MENTALE
LE
NOMBRE DE LA BÊTE
LIBÉREZ
LE MONSTRE EN VOUS !
MINUIT
DANS LE MONDE-MIROIR
GLOSSAIRE
QUELQUES
MOTIFS D'UNE TOILE DE MAÎTRE (IMAGES DE L'ARAIGNÉE ET DU SERPENT CHEZ FRITZ LEIBER)
(1)Respectivement maitres d’œuvres
du Borges en Pléiade et de la réédition de Moby Dick en Quarto.
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