mardi 2 mai 2023

Le Nageur

Pierre Assouline - Le Nageur - Gallimard

 

 

Dans son dernier roman, Le Paquebot, Pierre Assouline racontait la disparition en mer dans les années 30 du navire Georges Philippar lors d’un voyage inaugural vers l’Indochine. Plus que le récit d’une catastrophe maritime l’écrivain décryptait le naufrage de l’Europe au fil des discussions et antagonismes qui agitaient, au cours de la traversée, un microcosme composé de voyageurs natifs du Vieux Continent. Le narrateur, féru de natation, figurait parmi les rescapés. C’est la figure d’un autre nageur, le champion Alfred Nakache, qu’évoque aujourd’hui l’académicien, une histoire de survie autrement plus dramatique.  

 

 L’homme voit le jour en 1915 à Constantine dans le quartier juif près des gorges du Rhummel, une espèce de gouffre traversé par des ponts. Exister au bord des précipices, comme un résumé de l’histoire du peuple élu. Alfred Nakache vit d’heureuses premières années au sein d’une communauté où présence familiale, traditions et fêtes rituelles, confraternité se coalisent pour célébrer les noces de l’enfance auxquelles le destin ajoute le plus beau des cadeaux, la découverte d’une vocation. Dans un bassin de Constantine il découvre le plaisir de la glisse. Son premier entraineur le mène aux championnats d’Afrique du Nord. Puis tout va très vite. Départ à Paris, intégration au Racing Club de France, un premier titre de champion de France sur 100 m à l’âge de 18 ans. Progressivement il se détourne du crawl pour la brasse ou brasse papillon, dont il détiendra le record du monde sur 200 m. Les victoires s’accumulent, les premiers nuages aussi. La jalousie d’un rival, Cartonnet qui le dénoncera sous l’occupation, la découverte de l’antisémitisme aux jeux de Berlin. L’existence lui offre cependant une éclaircie, il se marie en 1937 avec une jeune fille issue elle aussi de Constantine. Il obtient son diplôme de professeur d’éducation physique et la guerre éclate. Démobilisé, pressentant la traque à venir contre les juifs, le couple s’installe en zone libre à Toulouse où sous la conduite des meilleurs entraineurs il ne cesse de progresser. Pendant quelque temps grâce à ses exploits et au soutien relatif de Jean Borotra alors commissaire général à l'éducation générale et aux sports jusqu’en 1942, il n’est pas inquiété par les autorités. Les mouvements de résistance rentrent en contact avec lui, activité qui ne sera pas reconnue ultérieurement, le privant du statut de déporté-résistant. En 1944 les nouveaux sbires de Laval scellent son avenir, celui de sa femme et de sa fille âgée de deux ans. Wagon plombé, direction Auschwitz. L’horreur commence …

  

Nous inscrivons des noms sur des monuments ou au fronton des bâtiments en pensant parfois nous affranchir d’une entreprise mémorielle qui par essence n’a pas ou ne devrait pas avoir de fin. Combien de patronymes à la fois connus et inconnus, de destins gravés quoique sans visages. C’est la tâche à laquelle s’attelle l’auteur, venant en quelque sorte couronner, synthétiser de multiples écrits et références. S’y ajoute une admiration personnelle, d’un nageur à l’autre.

  

Les pages sur la collaboration dans le monde du sport impressionnent. C’est un chapitre peu connu de l’affrontement auxquels se livrèrent résistants et miliciens. Comme ailleurs elle a ses héros, ses lâches, ses Judas. Là encore il y aurait beaucoup à dire et écrire sur cette volonté d’après-guerre, une fois les principaux collabos liquidés, de réconciliation nationale, voir binationale à tout prix dont les déportés firent peut-être les frais jusqu’au discours de Jacques Chirac en 1995. Dans cette jungle Alfred Nakache s’efforce d’avancer en nageur ; ne pas fuir mais progresser, trouver le meilleur angle d’attaque, suivre le fil étroit de l’honneur et de la survie.

  

Comment a t-il résisté ? Quand l’Histoire et la psychologie s’avèrent impuissantes à rendre compte des ressorts insoupçonnés de l’âme humaine, il faut se tourner vers les légendes, quand bien même elles prennent forme dans une bande dessinée. En 1939, Bill Everett crée un personnage appelé Namor, the Sub-Mariner. Les éditions Lug le feront connaître au lectorat français en 1969 sous le nom de Namor, Prince des mers. C’est un être mi-atlante, mi-homme, roi de la mythique Atlantide. Comme Antée qui reprenait force en touchant la terre, Namor retrouve son invincibilité au sein de son élément naturel. Bill Everett dit s’être inspiré d’un poème de Coleridge. Remarquons néanmoins que Namor est l’anagramme de roman issu étymologiquement du latin romanus. C’est le point de jonction avec Alfred Nakache, natif d’une ville qui porte le nom d’un empereur romain. Alfred Nakache, Prince des mers et des bassins reprend le capitanat de son âme au contact de l’eau.




90 commentaires:

Anonyme a dit…

Belle chronique de SV.
Ne pas trop spolier dans les commentaires.

Christiane a dit…

Ma deuxième halte concerne les trois premières pages du roman où sont posées deux impulsions contradictoires qui luttent en Alfred Nakache, répondant à la première phrase du roman : "Si je le revois je le tue".
Tellement évident que cette dénonciation qui a entraîné la mort de sa femme et de sa petite fille et toutes ces souffrances entraîne Alfred Nakache à ruminer une vengeance envers le délateur.
Et cette méditation philosophique prend place alors.
"la rancune vengeresse ? Le mal est fait à jamais. Rien à réparer car c'est irréparable. Seules les victimes peuvent pardonner. Mais lorsqu'elles ne sont plus là ? Car c'est bien de cela qu'il s'agit : d'assassinats (...) de tout petits morceaux de temps qu'on ne se résout pas à oublier.
Si je le revois je le tue. Redoutez la violence des grands calmes. Une inquiétante vibration en émane. Que le soleil ne se couche pas sur leur colère."
Ces impulsions contradictoires ont besoin de tout le roman pour s'éclairer tant elles sont graves et profondes.
Hors du roman, elles ont taraudé tant de survivants...

Soleil vert a dit…

oui

MC a dit…

Mais est-ce spolier, ou spoiler? Auquel cas il faudrait admirer sans dire trop si je comprends bien ce que dit l'auteur, qui, pour etre anonyme, n'est pas moi. Bien à vous.
MC

Christiane a dit…

Le terme franglais spoiler (divulguer la fin d'un livre, d'un film, gâcher la surprise) / spolier (dépouiller, prendre les biens de quelqu'un).
Vous avez raison de faire la différence, M.C.
Bien sûr "anomyme" n'est pas vous. Vous n'auriez pas dit les choses de la même façon et je ne vous aurais pas répondu avec cette distance.
Mais ma perplexité reste la même. Car admirer sans rien dire de plus que son admiration, c'est supprimer le dialogue se rapportant à une lecture et transformer les blogs en site.
On dirait juste que le billet est excellent. Ce qui est le cas ici.
Un jour, Paul Edel, sur son blog ou sur la RdL (commentaire) a expliqué que s'il mettait en ligne des billets c'était aussi pour rencontrer des lecteurs et lire des réactions de lecteurs.
Parfois dans le dialogue naît une prolongation insoupçonnée d'un questionnement.
Bien à vous.

Soleil vert a dit…

Il ne faut pas que cela vous freine Christiane.
Le spoiler est un écueil dans la littérature de genre, polar ou sf, mais en littérature "mainstream" on peut discuter. De plus il s'agit d'une bio sur une personnalité dont le parcours est bien connu. D'ailleurs la quatrième de couverture est bien bavarde.

Christiane a dit…

Merci, Soleil vert. Le bleu revient dans cet espace...

Soleil vert a dit…

J'ai négligé Bachelard. Par quoi commencer ?
Accessoirement, "Les Partisans. Kessel et Druon, une histoire de famille" me tente aussi.

Christiane a dit…

Il y a une citation énigmatique dans ce livre de Pierre Assouline si riche aussi en mémoire littéraire (pages 111/112).
Cette fois-ci pour exprimer les doutes, les souffrances d'Alfred Nakache qui subit les lois de Vichy quand paraît en 1941, une nouvelle interdiction faite aux israélites, celle d'accéder aux piscines. Déjà interdit d'enseignement mais encore un peu autorisé à continuer ses compétitions et ses entraînements, donc plongé dans une situation absurde. Comment traduire ce qu'il a pu ressentir ?
Pierre Assouline a alors la lumineuse idée de se reporter à une brève nouvelle de Franz Kafka (lui-même nageur) parue en 1920 : "Le grand nageur".
Nakache, comme ce personnage "doit se sentir apatride, sollicité aussitôt que rejeté ". Il cite alors ce passage énigmatique réunissant les sentiments des deux nageurs : "Je sais nager comme les autres, c'est seulement que j'ai une meilleure mémoire que les autres, je n'ai pas oublié les temps où je ne savais pas nager. Mais comme je ne les ai pas oubliés, il ne me sert à rien de savoir nager et en fin de compte, je ne sais pas nager."
Halte subtile et brillante dans le livre pour que le lecteur puisse saisir les tourments, l'impression de perte totale d'identité, l'absurdité de sa situation qu'éprouve Alfred Nakache. .
C'est la profusion de ces apartés qui rend la lecture de cette vie tragique si vibrante, si profonde.

Bachelard, oui.
Ce ne sont pas des oublis mais des résurgences de la lecture qui incitent à y revenir.

Christiane a dit…

Donc, je reprends l'exploration du puissant livre de Pierre Assouline sur une problématique : pensée magique ou résister. Soleil vert, vous posez une face de ce problème à la fin de votre billet en écrivant :
"Comment a t-il résisté ? Quand l’Histoire et la psychologie s’avèrent impuissantes à rendre compte des ressorts insoupçonnés de l’âme humaine, il faut se tourner vers les légendes, quand bien même elles prennent forme dans une bande dessinée. En 1939, Bill Everett crée un personnage appelé Namor, the Sub-Mariner. Les éditions Lug le feront connaître au lectorat français en 1969 sous le nom de Namor, Prince des mers. C’est un être mi-atlante, mi-homme, roi de la mythique Atlantide. Comme Antée qui reprenait force en touchant la terre, Namor retrouve son invincibilité au sein de son élément naturel."
Et là, je pense à Bachelard dans cet essai " L'eau et les rêves / Essai sur l'imagination de la matière" (Corti), que Pierre Assouline cite dans ses sources.Bachelard écrit : Par certains côtés, on peut même dire que la détermination psychologique est plus forte dans la fiction que dans la réalité, car dans la réalité les moyens du fantasme peuvent manquer. dans la fiction, fins et moyens sont à la disposition du romancier. (...) Le romancier, qu'il le veuille ou non, nous révèle le fond de son être, encore qu'il se couvre littéralement de personnages. (...) dans le roman, n'existe que ce qu'on dit (...)" (Page 111)
Ainsi, à plusieurs époques de ce long récit du "Nageur", Pierre Assouline nous présente Alfred Nakache se métamorphosant dans l'eau quand il nage, heureux. L'eau semble sourdre en lui, le recrée, lui redonne des forces. La rêverie saisit le romancier. Le réel devient plus réel que le réel parce qu'il est plus pur.. Nakache devient poisson dans l'eau profonde. Il entre dans un rêve de limpidité et de transparence aux couleurs heureuses.
Bachelard cite Paul Claudel ("Connaissance de l'Est", p; 105) . "Toute eau est désirable ; et certes, plus que la mer vierge et bleue, celle-ci fait appel à ce qu'il y a en nous entre la chair et l'âme, notre eau humaine chargée de vertu et d'esprit, le brûlant sang obscur."
Bachelard évoque aussi par C.G; Jung la puissance maternelle de l'eau "le mort est remis à la mère pour être ré-enfanté". La plus maternelle des morts dont Pierre Assouline bercera son héros.
Mais avant la mort il y a l'exultation.
"Lui, se singularise par une nage que l'on dirait instinctive et, plus encore, primitive. (...) Et le toucher de l'eau, tu y penses au toucher de l'eau ?... (...) Les ondulations, la coulée, la battue, le jeté des mains au plus loin. Qui a osé dire que les nageurs n'étaient pas des danseurs et leur entraîneur, un chorégraphe ? (...) Le sportif de haut niveau ne finit pas quelque chose mais poursuit son inachèvement. En cela, Nakache est bien un artiste.(...) quoi de mieux que le sport pour le régénérer ? (...)Nager lui est désormais une manière d'exister, mais souverainement. (...) Qui nage se sent détaché de la vie." ("Le Nageur - Pierre Assouline)
De ces pages, j'ai fait mon miel jusqu'au plongeur de Paestum...
Mais il y a un autre volet celui de la résistance....

Christiane a dit…

Arrive la déportation. Auschwitz... Comment a-t-il résisté ? Des mots secrets...

"Stehen est de ceux-là. Un mot puissant qui a la vertu de signifier à la fois tenir, se tenir, résister; Un mode de survie dans une usine de mort. Mais pour un homme comme lui, nul besoin de l'écrire. il le conserve dans un coin de sa mémoire, un territoire où les geôliers n'auront jamais accès et où il retrouve sans cesse Paule et Annie, ses deux êtres les plus chers dont il est sans nouvelles. (...) Tenir, se tenir, résister. (...) Sûr que Stehen murmuré l'aidera à tenir. Ce sera son mot de passe, dune nuit à l'autre, il l'aidera à guetter le point de rupture, l'anticiper, le désamorcer. juste pour survivre un jour de plus en espérant que demain sera un autre jour."
Se place là dans ce beau texte de Pierre Assouline, cette confidence, venue de loin, du cœur même de l'écrivain.
Le camarade de châlit auprès de qui il dort "lui confie à son tour non le mot mais la phrase qui le retient de lâcher prise : "Tu vas rire mais c'est dans "La chèvre de Monsieur Seguin", tu connais bien sûr : "Mon Dieu, pourvu que je tienne jusqu'à l'aube." Eh bien vois-tu, Blanquette et moi, on attend la mort mais on espère quand même...." (P; 150, "Le Nageur")

Soleil vert a dit…

l y a des phrases terribles sur les camps (je cite de mémoire), ceux qui n'y étaient pas ne les pénétreront jamais et ceux qui y étaient n'en sortiront jamais

Christiane a dit…

Oui, et pourtant par l'écriture et en s'approchant de la vie d'Alfred Nakache, Pierre Assouline a vécu cette nuit des hommes et de l'espoir.

Christiane a dit…

" Il n’y a pas d’histoire muette. On a beau la brûler, la briser, on a beau la tromper, la mémoire humaine refuse d’être bâillonnée. Le temps passé continue de battre, vivant. »

Eduardo Galeano

Christiane a dit…

Bachelard cite (p.40) dans son essai sur l'eau et les rêves le poète Shelley après avoir médité sur le lien entre le ciel et l'eau d'un lac un jour de tempête :
"Restent alors le ciel, les nuages qui ont besoin de tout le lac pour peindre leur drame. Quand le lac courroucé répond à la tempête des vents, on voit une sorte de narcissisme de la colère s'imposer au poète. Shelley traduit ce narcissisme courroucé dans une admirable image. L'eau ressemble alors, dit-il, "à une gemme où se grave l'image du ciel."

J'ai cherché dans "Le Nageur", la place du... ciel.
(P. 217/218)
"Comme il tente de le consoler avec l'aide du Tout-Puissant, Alfred réagit d'une question pleine de violence contenue :
"Mais il était où votre Dieu lorsque nous pourrissions à Auschwitz ?"
(...) Alfred croit en son père qui croit en l'Eternel, même si le judaïsme ne demande pas de croire en Lui mais d'obéir à la Loi. Mais depuis son retour des camps, c'est fini. Toute tentative de le ramener à la foi paraît aussi vaine qu'indécente car elle revient à nier une souffrance qui défie la raison, l'explication, l'argumentation. Qu'on ne compte pas sur lui pour réparer le monde, bien qu'il n'ait rien oublié de tout ce qu'il a appris sur le tikkoun olam, l'un des concepts mystiques au centre de la Kabbale. Les eaux glacées de l'oubli suffisent à peine à éteindre une mémoire en feu. (...) Il y a quelque chose en lui de brisé qui le dépasse.(...)
Alfred est une figure de Job"... irréconcilié...


Anonyme a dit…

Ne plus croire, est-ce être une Figure de Job? (6h pour rédiger!)

Anonyme a dit…

Oups ! MC

Christiane a dit…

Il en a fallu plus à Pierre Assouline pour écrire "Vies de Job".... Mais je retiens votre question qui mérite réflexion.

Christiane a dit…

Alfred Nakache est rentré de déportation. Il y a vécu et vu le Mal absolu , vu la souffrance des enfants, appris l'assassinat de sa femme et de sa fille.
Dans l’épilogue du Livre de Job, Dieu "récompense"... Job, le juste, en rétablissant sa santé et sa prospérité, lui donnant une autre femme, des autres enfants....
Pierre Assouline n'oublie pas le scandale des enfants de Job, morts, même s’il en a eu d’autres – « rien ne console parce que rien ne remplace. » écrit-il.
Job croit-il encore en Dieu ? Dans ce conte ("Le livre de Job / Bible, il n'a plus besoin de croire puisqu'il est face à Lui. Il a juste à se taire, à bredouiller son ignorance. Dieu se défend mal : "Où étais-tu quand j'ai créé le ciel et la terre et ....?"
Je lui aurais répondu comme Alfred Nakache : "Où étais-tu quand nous pourrissions à Auschwitz ? Quand les femmes, les enfants étaient assassinés ? Quand nous étions traités comme des bêtes ?

Croire en Dieu nécessite son absence et un pari : la foi.
On peut parler de la foi de Job avant le face à face avec Dieu. Après c'est un dialogue truqué où il se fait avoir en beauté !

Donc, ce Job revenu de déportation, il ne peut plus croire en Dieu. L'absence de Dieu, là-bas (et ailleurs où le Mal règne) est impardonnable.
Ou alors, il faut changer la foi envers un Tout Puissant qui ne l'est guére et regarder le ciel en se demandant s'il n'a jamais existé ailleurs que dans les fantasmes des hommes effrayés par la mort, ayant besoin d'un justicier, d'une promesse que ça ira mieux Après la mort.

Bref, une éducation religieuse laisse des traces et pour un peu qu'on ait un peu d'imagination on peut écrire de la science-fiction ou des poèmes où le ciel n'est pas vide...

Parfois, j'imagine Dieu comme Tolstoï qui a quatre-vingt-deux ans, dans la nuit du 27 octobre 1910 quitte sa maison sans prevenir ni sa femme ni ses enfants. Un Dieu qui s'enfuit seul dans un hiver glacial. Un Dieu rongé par la culpabilité qui espère le pardon des hommes.

"Fuir, dit-il, il faut fuir." ( Les dernières lignes autographes écrites par Tolstoï d'une main tremblante...)

Soleil vert a dit…

Et pourtant si la science s'incline devant l'expérimentation, bien souvent la croyance résiste à tout.
Dans le livre il y a une phrase sur Dieu qui se souvient des siens et pas des autres (j'ai la flemme de chercher)

Christiane a dit…

J'aime beaucoup votre pensée. Le nuancier des croyances est vaste... Ainsi je ne peux renoncer à l'idée du bien. (Une intuition qu'il l'emportera sur le mal.)
Et puis rien ne vaut la vie... On pourrait ne pas exister. Le monde existerait quand même avec son espace sidérant, ses planètes, le soleil, la voie lactée. Dieu est une image dans la boîte des enfants sages. J'ai toujours eu du mal à être sage donc à obtenir des images (même au catéchisme où je faisais les 400 coups !)
Dieu et les siens.... Oui... dans toutes les religions et les guerres de religion.
Qu'est-ce qu'on attend pour être légers loin des dogmes des religions ? Et de prendre la poudre d'escampette !

N'empêche que le silence d'une chapelle, le vacillement de la lumière de quelques cierges, l'odeur de la cire chaude, la lumière dans un oculus qui dessine sur les dalles un rond parfait, ça vous transporte si loin si haut si beau ... Là où tout est possible même une rencontre improbable...

Christiane a dit…

Comme les mots sont fragiles. Ça tangue dans le bateau-livres ! En attendant le déluge....

Christiane a dit…

Je suis étonnée que Pierre Assouline n'ait pas évoqué Jonas. Mort et renaissance... plutôt que Job.
Il prie et il renaît.
Valère Novarina dans un très bel essai, "Devant la parole" écrit ces mots que je crois justes.
"La prière n'est pas une effusion, un vague à l'âme, ni le sommeil de la raison : elle veille ; elle a les yeux ouverts.
La prière est une place marquée en chacun de nous. Il y a toujours quelque chose qui reste à la place de la prière, en attente, car ici-bas, la prière attend. Un vide au milieu du langage, hors du corps et au milieu de nous, le creux de cette place muette, le lieu d'une détresse sans sujet et d'une joie dans raison...."

Christiane a dit…

Suite de ma réponse à M.C. (il me reste du temps, j'ai fait une pause déjeuner !)
"Interpréter le Livre c'est, d'abord, s'élever contre Dieu afin de soustraire voix et plume at Son pouvoir. Il faut nous défaire de la part divine qui est en nous, dans le but de rendre Dieu enfin à lui-même et jouir de notre liberté d'homme."
Edmond Jabès - "Elya"

Christiane a dit…

Dans le même livre "Elya", Edmond Jabès écrit encore :
"Dieu, dans le livre, ne supporte que Dieu.
Ce judaïsme après Dieu, le mien, est le lac que surplombent mes interrogations, comme des crêtes dont quelques unes restent inaccessibles. Le lac a enfanté le fleuve sur lequel j'ai vogué, sans trop prêter attention au paysage, subjugué par l'absolu mouvant qui me submergea avec le jour.
Les paroles de mes livres sont paroles que le plongeur le plus téméraire ne pourra dissocier des sentences inscrites dans les grands fonds marins, où toute question meurt de sa question.(...)
Donc, Dieu mort, ma judaïcité se trouvait confirmée dans le livre, à la place prédestinée où elle s'était soudain heurtée à son visage, au plus désolé, au plus inconsolé de l'homme ; car être juif c'est, à la fois, s'exiler dans la parole et pleurer son exil."

Christiane a dit…

Donc, M.C., parce qu'il fait trop beau pour rester enfermée dans mes livres, je dirais que Job-Assouline est ce qu'il écrit. Il écrit ce que sa foi lui fait subir, un texte dont chaque mot le met à l'épreuve.
Puis, le jour de repos, loin des mots du livre, il ira se promener par ce temps de grand soleil.
Il est une double interrogation, doute et certitude en confrontation. Un doute empli de certitude.
Sans le désert il n'y aurait pas eu de livre ni parole de Dieu. Des paroles sans voix, des paroles silence.

Puis il a cherché un visage familier. Et ce visage a été celui du nageur. Est né un livre secret où une parole humaine et sacrée s'est écrite, arrachée au silence d'un qui n'était que questions sans réponse, que blessure. Un qui a résisté. Un qui a imaginé Dieu à son image.
Un qui ne vivait que pour nager.
"L'eau l'a donné, l'eau l'a repris. On dit qu'au lendemain de sa disparition un dauphin a tourné pendant un mois dans le port de Sète."
La mer fidèle y dort.... Comme dans le poème de Paul Valéry.

Soleil vert a dit…

- Va, vis, deviens, beau film de Radu Mihaileanu

Christiane a dit…

J'ai beaucoup aimé ce film au final déchirant comme la séparation du début et cette religion qu'il doit cacher. La lune est un accompagnement paisible.
Alors, vous aussi vous supprimez vos commentaires quant à votre question, je crois que c'est le passe-temps favori des étudiants dans les beshivas...

Soleil vert a dit…

Oui, Jabès m'entrainerait trop loin

Christiane a dit…

Yeshiva

Christiane a dit…

Ah ah, cela m'aurait intéressée..
Ce livre "Elya" m'avait été offert, il y a très longtemps. Je l'ai trouvé étrange et beau.
Je l'ai ressorti en lisant certains passages du "Nageur" quand au retour des camps Alfred Nakache doute de sa foi, de Dieu.
Je n'ai pas lu le précédent récit "Yaël "( le Verbe).
Elya est l'enfant mort-né.
Un livre morcelé qui commence par ces mots : "Derrière le livre, il y a l'arrière livre ; derrière l'arrière livre, il y a l'espace immense et, enfoui dans cet espace, il y a le livre que nous allons écrire dans son énigmatique enchaînement.
Tout est avant Tout. La parole est le lendemain de la parole et le livre, le lendemain du livre.
De sorte qu'à perpétuité nous tournons autour de ce qui fut et de ce qui sera et qui, à l'image de Dieu dans Sa superbe absence, reste ce qui est, à savoir : le lieu où cet univers à découvrir se tient.
Forant l'oubli ; car l'oubli est l'épaisse écorce des origines.
Nous n'irons jamais au bout du temps."
Je n'ai rien compris mais ça m'a plu. Comme l'abstraction mathématique.

Anonyme a dit…

Non ce n’est pas ´Pierre Assouline, c’est moi qui pose la question . MC

Christiane a dit…

Évidemment !
Mais je suis partie d'une. Itation du livre.
La figure de Job est comme une signature de Pierre Assouline qui la voit souvent dans ses contemporain dont Alfred Nakache, évidemment.
Quant à isoler votre question, la séparer du récit du Nageur, je crois l'avoir fait, surtout avec ces citations d'Edmond Jabès. Tout en précisant que la foi ne peut se peser qu'à l'aune de l'absence, donc impossible à évaluer pour Job puisqu'il y a présence, confrontation. Avant, il maudit sa vie, ne comprend pas la punition de Dieu qu'il trouve injuste donc il ne pose pas le problème de la foi.
Et vous qu'en pensez-vous ?

Christiane a dit…

Vous disiez "Ne plus croire est-ce une figure de Job ?"
Non, c'est une figure dans Le Nageur de l'homme brisé irréconciliable avec Dieu. Ce sera à Dieu de faire le premier pas, s'il existe mais pas à la façon du Livre de job car "rien ne console parce que rien ne remplace. » .

Christiane a dit…

Il me semble,M.C. qu'à ce niveau de notre échange, il est nécessaire de revenir au texte du "Nageur" de Pierre Assouline. Cette page où est évoquée la figure de Job.
P.234
"Paradoxalement, on jurerait que cet épisode l'aide à tourner la page. Lui qui, depuis le retour de la guerre, se montrait réticent à se coiffer d'une kippa à la table familiale les soirs de fête alors qu'il connaissait parfaitement les prières au point de reprendre l'un de ses frères en cas d'erreur, le voilà qui se replonge dans les Ecritures, le judaïsme, le sacré. Ce qui n'avait pas été le cas depuis ses jeunes années bien qu'il n'ait jamais cessé de se sentir profondément juif. Tout homme a trois vies : sa vie publique,sa vie privée, sa vie secrète. De celle-ci la religion aura fait partie. Alfred est une figure de Job : comme le Juste souffrant, il perd tout puis récupère tout. Une femme mais une autre que la sienne. Et il n'aura plus d'enfant."

La lutte de Jacob avec l'ange... Peut-être que pendant la traversée de cet enfer, Dieu était à ses côtés, souffrant, comme lui... Mais lui ne le savait pas.
Peut-être qu'à ce moment de la vie d'Alfred Nakache , Dieu, incognito, a fait les premiers pas...
Qui sait...
La foi, dites-vous.... Un bien grand mystère....

Christiane a dit…

Quand même, quelle surprise que ce livre de Pierre Assouline que je n'arrive pas à définir.
Biographie ? Récit ? Méditation philosophique ? Histoire ? Pas seulement. Une plongée vers l'origine, un grand bouleversement au coeur du récit quand les lois antijuives s'abattent sur la France occupée puis ce gouffre inimaginable des camps d'extermination où périront la femme et la toute petite fille d'Alfred Nakache au milieu de millions de morts.
La suite tient de l'invraisemblable. Le retour brisé. Le désespoir, presque la mort et puis cette renaissance par l'eau quand il reprend la nage, le presque nouveau bonheur et l'endormissement dans l'eau tout à la fin..
On en ressort, bouleversé.bhagard, interrogatif. Qu'est-ce que l'homme ?
Et dans cet espace, des échanges graves et sincères. Un vrai blog littéraire. Un espace d'échanges laissant place à la réflexion, à la contradiction, au silence, à la lecture.
Je crois que nous n'avons pas abîmé le livre de Pierre Assouline, que nous n'avons pas éloigné des lecteurs à venir. Nous avions juste besoin d'en parler....

Christiane a dit…

hagard

Anonyme a dit…

Alors s’il le dit page 234, c’est son interprétation . .Jabes faisait un peu pour votre lecteur figure d’ex cursus ! Bien à vous. MC

Christiane a dit…

Une digression... Peut-être... Je cherchais un chemin...
Merci pour votre réaction qui m'a préoccupée tout le jour avec ou sans rapport avec le récit de Pierre Assouline.
Oui , une digression... Un chemin de traverse...

Anonyme a dit…

Je me demande si tout ne vient pas de la différence entre « là « et « une » . Alfred Nakkache  » est une figure de Job »´Pierre Assouline dixit. Ce n’est pas « la « figure. Et de pointer quelques différences…

Anonyme a dit…

MC

Christiane a dit…

Oui, absolument !

Christiane a dit…

Sur la RdL, passant en coup de vent, l'étonnant Paul Edel, toujours à l'affût d'un auteur, d'un livre.
Et ça commence comme un Bustier Keaton :
"Il y avait comme invité Régis Jauffret , écrivain, un vrai de vrai. Jauffret était vêtu de noir comme un employé des pompes funèbres qui s’est offert une paire de chaussures..."
Cet homme là est un aventurier dans la forêt des livres. Toujours avec son coupe-coupe !

Christiane a dit…

Très drôle ! Buster Keaton sans bustier....

Christiane a dit…

Dans "vies de Job"/ roman, Pierre Assouline écrit : "Avant d’être plainte ou cri, Job est une voix ; celle d’un homme qui ne renonce pas à comprendre quand l’inexplicable le cerne. »

Cela est martelé tout au long du long récit "Le Nageur" quand Alfred Nakache se heurte à ce monde qu'il n'imaginait pas où lui et les siens sont menacés de mort, de déportation, d'exclusion.
(Dans le Journal d'Hélène Berr, on trouve ce même étonnement, cette même incompréhension devant tant de haine.)
Il ne cesse de s'interroger, d'interroger le monde qui l'entoure. Tant qu'il le peut, il nage. Seule cette activité lui permet de prendre un peu de distance avec cette terreur qui l'oppresse.
C'est une situation kafkaïenne que Pierre Assouline évoque page 147.
C'est encore un voisin (un peu comme Hitchcock qui aimait traverser le plan d'un de ses films pendant le tournage...) qui prend la parole : "Vous avez lu "In der Strafkolonie", pardon, "La Colonie pénitentiaire" si vous préférez ? C'est une nouvelle de Franz Kafka. Imaginez une colonie pénitentiaire on ne sait où mais loin de l'Europe ; un détenu y est condamné à mort sans le moindre jugement par un commandant sadique et tout-puissant, pour rébellion et pour s'être endormi ; un expert est invité dans ce bagne pour y approuver la machine de mort mise au point par le commandant : elle consiste à inscrire en toutes lettres au moyen d'un instrument au mécanisme complexe, dans la chair même du condamné, le principe qu'il a enfreint, de sorte que le rappel de la Loi le pénètre lentement jusqu'à son dernier souffle... Nous non plus, on ne sait pas pourquoi on est punis. Rien de pire qu'un châtiment à la recherche de sa faute. Pensez-y la prochaine fois que vous vous plaindrez de vos six petits numéros sur l'avant-bras..."

Brillant, tragique... Ce voisin est un grand lecteur de Kafka...

Anonyme a dit…

Ce qui rend son Nakkache plus Assoulinien que biographique.! Mais ne l’ayant pas lu.,,,Bien à vous. MC

Anonyme a dit…

Je n’ai jamais dit d’ailleurs que je le lirais. Les œuvres de fiction de PA me tombent des mains, au rebours de ses biographies,

Christiane a dit…

Assoulien et biographique. Tout ce qui concerne Nakache est extrait de sources vérifiées citées en fin de récit. Mais on peut sentir un vertige tant peu à peu ce nageur là parle d'un autre nageur. Leurs vies sont différentes mais le drame qui a touché, broyé Alfred Nakache ne peut, n'a pu laisser indifférent Pierre Assouline. Lisez, si vous le pouvez, "Vies de Job", vous comprendrez cette fraternité exceptionnelle au-delà du temps. L'un n'a pu parler, ou si peu, comme beaucoup de rescapés des camps de la mort, l'autre prend la parole des années plus tard. Tout ce qui est rapporté sur la vie dans les camps est vrai. Une visite au Mémorial de la Shoah et bien des témoignages valident ce récit. Que s'y glisse de temps à autre une notule littéraire fait également écho à cette vie culturelle que les déportés essayaient de maintenir comme une survie envers et contre tout. C'est un récit qui inspire le respect. Une vraie biographie dont s'est saisi un écrivain, un conteur.

Christiane a dit…

PS : j'aime votre honnêteté, M.C.

Christiane a dit…

M. De Tilly, dans Le Point, évoque finement "Vies de Job".


https://www.lepoint.fr/livres/pierre-assouline-fait-son-job-16-02-2011-1296170_37.php

Christiane a dit…


Et B. Loupias pour L'Obs. Cette critique là, j'apprécie beaucoup. Elle fait lien avec "Le Nageur".

https://bibliobs.nouvelobs.com/essais/20110117.OBS6388/rencontre-avec-pierre-assouline-job-sa-vie-son-uvre.html

Christiane a dit…

Encore les brouillards de présences ne s’ouvrant que sur l’absence. Et quelle absence...
Un réel flou... visions du cœur-mémoire..
et là
la grande énigme d'une mort volontaire.
Deux solitudes différentes...
Le corps mutilé d'une mère... Comment vivre, survivre, après ce sacrilège ?
C'est l'écriture qui permet, à travers le temps, de revenir à cette nuit....
On meurt toujours seul....
C'est encore Paul Edel.

Christiane a dit…

Non, MC, c'est un livre qui doit autant à la rigueur du biographe qu’à l’inspiration du romancier.

Christiane a dit…

Pour qui écrivent ils ? pour quel face-à-face ? d'où viennent ces mots ? La mémoire est un espace lointain... Ils lisent l'invisible sur la page blanche.

Christiane a dit…

Un monde réécrit...

Christiane a dit…

Les mots vont au-devant...

Christiane a dit…

Le texte échappe à la certitude dans la fragilité de cette volonté d'écrire. Ils sont aux aguets. Les mots se dérobent. Puis reviennent. C'est alors une course à perte de pensée. Ils deviennent lecteurs de leur pensée en écrivant. Ils forent pour trouver quelque chose de perdu. Le réel en surgit. La Shoah...la guerre d'Algérie... les massacres... Ils sont saisis. Des textes violents, presque autobiographiques bien qu'ils ne contiennent pas d'autobiographie. Celui qui écrit est le plus inconnu. C'est un double d'ombre qui dit. L'écriture les dépouille de leur moi. C'est un lieu inconnu, une doublure du monde où se précipitent des personnages, des images. L'écriture est un acte bouleversant.

Christiane a dit…

Paul Edel dit: (octobre 2019 sur la RdL) :
"J’aime les livres gais, pimpants, ironiques, de Sollers.c’est grand lecteur de le Bible ou d’Homère,fervent de Stendhal (lire son tres beau « Trésor d’amour » en folio), , de Casanova, de Joyce, d’Aragon ou de Céline ou Claudel, .. Les nombreuses critiques littéraires de Sollers( 680 pages de « la guerre du gout » en Folio) sont vivantes , d’un grand et bon lecteur qui sait noter, expliquer, les passages les meilleurs ses auteurs favoris : les grecs et notamment Homère ; ou le latin Tacite, ou Retz et Sévigné, Blaise Pascal, Marivaux, Sade , Stendhal, Hölderlin ,Casanova, Hugo ,les surréalistes, Genet, Bataille, à travers des citations toutes admirables. Il parle très bien de Voltaire (ou parfois ses peintres :Manet, Picasso, Bacon) ou des papes. Pas de doute, ce Sollers, notre Neveu de Rameau dans son bureau Gallimard est vivant, brouillon, pétulant, endiablé, en mouvement ,vrai, mordant, rigolard,cultivé, gamin, de bonne humeur, pas correct, imprudent, de mauvaise foi, léger, insolent fou des grands classiques, insouciant, puis grave, quel esprit vif dans la maussaderie de l’époque! Diable d’écrivain. Irrécupérable pour les lourds."

Christiane a dit…

Le livre de Pierre Assouline a une puissance de réconciliation avec la vie.

Soleil vert a dit…

Sollers et ses critiques. Je lui avais parlé du gilet rouge que Théophile Gautier portait lors de la bataille d'Hernani et dont il avait un papier dans Le Monde … (tiens c'était l'époque où je lisais Le Monde des livres). Il le reniait comme une chose sans importance. L'important pour lui ça avait été quoi ? Tel quel ?

(merci pour les commentaires retrouvés de Paul Edel, Christiane)

Christiane a dit…


Boutès est évoqué à la dernière page du récit de Pierre Assouline.
J'aime cette légende du plongeur de Paestum que le livre poétique de Pascal Quignard m'a révélé.
Je crois qu'à la fin du récit l'eau a accueilli ce "Nageur", avec tendresse. L'eau est pour Alfred Nakache la matière de la vie, la matière de la mort belle et fidèle.
"Au commencement était le poisson. C'est dans la Genèse, pas tout à fait ainsi mais presque ; pas vraiment au début mais pas loin." ("Le Nageur" Page 17)


"Boutès monte sur le pont et saute.
La où la pensée a peur, la musique pense.
La musique qui est là avant la musique, la musique qui sait se «perdre» n’a pas peur de la douleur. La musique experte en «perdition» n’a pas besoin de se protéger avec des images ou des propositions, ni de s’abuser avec des hallucinations ou des rêves.
Pourquoi la musique est-elle capable d’aller au fond de la douleur ? Car elle y gît.
Le chant qui se tient avant la langue articulée – simplement plonge, plonge comme Boutès plonge – dans le deuil de la Perdue. »
Pascal Quignard "Boutès", (Galilée)



Christiane a dit…


Hélas, l'article est coupé pour les non-abonnés. Dommage...

https://www.lemonde.fr/archives/article/1996/07/26/le-gilet-rouge-de-theophile-gautier_3722848_1819218.html

Christiane a dit…


Et le tableau d'Albert Besnard - La bataille d'Hernani. (On voit le fameux gilet rouge que portait Théophile Gautier !).
J'aime beaucoup votre souvenir, Soleil vert. Comme j'aime ce portrait si plein d'amitié enjouée de Paul Edel.

https://auxmagicienseslettres.wordpress.com/2020/07/31/dans-le-placard-des-ecrivains-1-le-gilet-rouge-de-theophile-gautier/

Christiane a dit…

J'aime beaucoup ce baron de Sigognac devenu Capitaine Fracasse que Théophile Gautier inventa. Ce baron désargenté qui hebergea une troupe de théâtre, un soir, puis les suivit sur les routes pour devenir ce héros téméraire.
Ariane Mouchkine, avec sa troupe, s'était saisie de ce roman de cape et d'épée dans son théâtre du Soleil. C'était beau et bondissant.
Sollers a bien saisit le fougueux jeune Gautier.

Christiane a dit…

La toile d'Albert Besnard est bien sûr dans la maison de Victor Hugo a Paris.

Christiane a dit…

Le dernier commentaire de Damien sur le... neveu de Rameau est intéressant mais ne s'oppose en rien au délicieux texte de Paul Edel. Paix aux morts.

Christiane a dit…



"Pourmapar" offre sur la RdL, ce témoignage de JF, a propos de Sollers.
"(...) Philippe Sollers était un grand, un immense amoureux de la vie, un immense vivant. Il est certain que ce monde qui vient l’aurait tué. Certains grands vivants meurent à l’aube de la mort du monde. En ce moment beaucoup.
J’aimais Sollers, sa liberté, j’aimais Sollers l’esthète, le baiseur amoureux, l’aventurier des trains de nuit, le passager sans limite. J’aimais Sollers à la Closerie, qui débarquait vers 15h, à l’affût de la vie, et des femmes.
J’ai aimé ce jour où je lui ai parlé de mon manuscrit. J’étais vaguement ivre, depuis un moment je me trouvais en compagnie de psychanalystes qui allaient devenir mes pairs et qui, déjà sans que je le sache vraiment, m’ennuyaient. Sollers se pointant là, merveille. Un autre! Enfin!! La littérature à la place de « l’objet petit a », un gredin lumineux, l’intelligence à fleur de lippe. Nous étions face à face, nous riions, juste avant que je lui dise: Philippe, j’ai envie de vous embrasser, et qu’il se lève, et que nous le fassions, libres, joyeux. Je ne lui ai jamais adressé mon manuscrit. Ce souvenir là de lui suffisait. »

C'est magnifique !

Christiane a dit…

Je regarde "Alphaville" de Jean-Luc Godard. Ainsi donc il se passionna pour la science-fiction...
J'ai pêché ça sur wiki :
"Dans de nombreux films, Jean-Luc Godard emprunte des citations et des attitudes à la littérature. "Alphaville" ne fait pas exception : Jorge Luis Borges est abondamment cité sur sa conception labyrinthique du temps, l'univers totalitaire et le contrôle du langage rappellent le roman 1984 de George Orwell. La scène où Caution est interrogé par Alpha 60 multiplie les citations («Je crois aux données immédiates de la conscience», Henri Bergson ; «Le silence de ces espaces infinis m'effraie», Blaise Pascal ; « Quel est le privilège des morts ? Ne plus mourir.», Friedrich Nietzsche). Enfin, la poésie salvatrice de Paul Éluard et sa Capitale de la douleur vont permettre à Lemmy Caution d'exécuter sa mission.
On peut également citer le commentaire «Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés» tiré des Animaux malades de la peste de Jean de La Fontaine, ou bien encore «Car vous serez devenu mon semblable, mon frère», directement inspiré de Charles Baudelaire et de son poème introductif aux Fleurs du mal, «Au lecteur».
Notons aussi le clin d'œil à Louis-Ferdinand Céline lorsque Lemmy Caution répond au chauffeur de taxi, qui lui a demandé par où il voulait passer : «Ça m'est égal, de toute façon, je voyage au bout de la nuit.» ; et visuellement à Chris Marker et son film La Jetée (1962).
Un film de science-fiction au présent..."
Décidément la SF me poursuit.

Christiane a dit…

Godard en aurait dit : "Mon film est un peu comme "Nadja" d'André Breton. On se promène dans Paris et le surréel apparaît. » (Jean-Luc Godard, 1965)

Christiane a dit…

D'autant plus queJean-Luc Godard a créé Alphaville ce lieu imaginaire en tournant à Paris dans les aéroports, les halls d'immeubles
des centres commerciaux, des usines .
Je crois que c'est la même année que "Pierrot le fou".

Christiane a dit…

Ce n'est pas chatgp ! Alpha 60 est l’intelligence artificielle développée par von Braun. Elle repère et supprime chaque personne faisant preuve d’émotion. Bigre !

Christiane a dit…

Lenny Caution n'a pas la langue dans sa poche !
"Je deviens fou dans cette saloperie de ville. (…) Allez vous faire foutre avec votre logique ! (...) Je refuse de devenir ce que vous appelez "normal".(...)
D’ailleurs c’est toujours comme ça, on ne comprend jamais rien et un soir on finit par en mourir."

Ça me fait penser un peu à "Soleil vert". Aussi déprimant !!!

Christiane a dit…

Lemmy Caution

Christiane a dit…

Le film est, bien sûr, une ode amoureuse à Anna Karina sa compagne d’alors – si superbement filmée. A plusieurs reprises ,elle demande, ingénument : « L’amour ? Qu’est-ce que c’est ? ». C'est comme un la question «Dégueulasse ? Qu’est-ce que c’est ?» de Patricia (Jean Seberg) à la fin d’"A bout de souffle".

Christiane a dit…

La science-fiction à huis clos dans un pastiche de série B !

Christiane a dit…

ou "Blade Runner"de Ridley Scott.

Christiane a dit…

On croit reconnaître les couloirs de la Maison de la Radio.

Christiane a dit…


Lien rare et passionnant offert par et alibi :

"Le 19 décembre 1995 donc, Philippe Sollers et Stéphane Zagdanski sont invités à une Conférence au Temple de l’Église Réformée de l’Étoile à Paris. Le thème proposé par les organisateurs est : « Pourquoi Dieu nous tente-t-il ? » Non pas : pourquoi le Diable, mais pourquoi Dieu nous tente-t-il ?"

Anonyme a dit…

”Dieu était en vacances ”de Julia Wallach.Un témoignage poignant sur cette période.
Je ne voudrais pas pousser à la consommation mais cette dame de 96 ans qui écrit nous avait beaucoup touchés.

Libraire

Christiane a dit…

Ah merci, libraire. Je vais essayer de trouver.

Christiane a dit…

Nelly Sachs, dans une lettre adressée de Stockholm à Carl Seelig, le 1er octobre 1946, écrivait :
"Il faut qu'une voix se fasse entendre, et il faut qu'il y ait quelqu'un pour ramasser les traces ensanglantées d'Israël dans le sable pour les montrer à l'humanité."

J'ai fini le récit de Julia Wallach "Dieu était en vacances". Bouleversant. Beaucoup de points communs avec les souvenirs d'Alfred Nakache réunis dans "Le Nageur" de Pierre Assouline quant aux souvenirs du voyage terrible dans les wagons à bestiaux, l'arrivée à Auschwitz, le tatouage, les crânes tondus, les vêtements rayés, sales et pour elle trop grands, la faim, le froid, les mises à mort, les tortures, les crématoires, la longue marche vers un autre camp, le retour au Lutecia.

Des oeuvres liées les unes aux autres.

Elle décrit sans trembler les dénonciations, la parole des déportés rescapés des camps devenue inaudible, refusée par ceux qui auraient dû l'écouter.
Le retour dans son appartement, encore une lutte où elle côtoyait celle qui les avait dénoncés.
Le voyage à Auschwitz, plus tard avec d'autres rescapées, ses amies.

Donc elle ne peut plus croire en Dieu. "Il a fait ses valises", est "parti en vacances", les a abandonnés...

C'est incroyable qu'elle puisse raconter cette horreur avec tant d'innocence, de simplicité, de colère.
C'est un livre très attachant. Pauline Guena l'a aidée je crois. C'est bien.

Sur cette vidéo, elle parle de son livre. Je comprends que vous ayez été touché par cette vieille dame de 96 ans.
Tant de fois elle a échappé à la mort, là-bas. Elle en est étonnée. Elle s'y attendait et à chaque fois quelque chose de mystérieux se passait. Le regard du tortionnaire glissait sur elle sans la mettre à mort. Étrange...

"Dieu était en vacances" (Grasset)
Julia wallach avec Pauline Guena .

Lecture d'autant plus émouvante que nous sommes le 8 mai et que la mort de Jean Moulin et celle des enfants d' Izieux est évoquée depuis les cellules de la prison de Montluc à Lyon.
Ces témoignages poursuivent ce travail de mémoire des crimes de guerre nazis, de cette barbarie.
Les récits de la voix-même des survivants ou des écrivains qui leur offrent leur plume , sont une transmission indispensable car les derniers témoins vont disparaître. Il ne faut pas que ce qui s'est passé s'efface. Que le temps engloutisse ces vies, efface ces voix.
Lire... Un arrachement au temps.


https://youtu.be/K4Q_pdEQUpI

Je pense à ce que Ôé Kenzaburo disait des survivants d'Hiroshima :
"Dans le désert laissé par ces destructions, la volonté du Bien se mettait à l'oeuvre. Une volonté incarnée en actes, en détermination à se régénérer, à se reconstruire, à s'accrocher à la vie malgré les blessures."
Ou à la fin de ce poème de Tôge :
"L'histoire bientôt
tend une embuscade
à tout ce qui ressemble à Dieu" (Flammes)

Christiane a dit…

"Les « enfants d'Izieu » désigne un groupe de 44 enfants juifs de différentes nationalités, réfugiés dans une bâtisse transformée en colonie de vacances pendant la Seconde Guerre mondiale, sur le territoire de la commune française d'Izieu, dans le département de l'Ain. Ces enfants furent déportés à la suite d'une rafle de la Gestapo, le jeudi 6 avril 1944, et furent exterminés à Auschwitz, à l'exception des deux plus âgés qui sont déportés et assassinés à Tallinn, en Estonie. Six des adultes qui les encadraient subirent le même sort. Ils auraient été dénoncés par un Français de Metz. Le procès de Klaus Barbie se termine sans que l'on connaisse, en définitive, le responsable de cette dénonciation."(wikipédia)

Christiane a dit…

Merci, Soleil vert.

https://renepeyre.blogspot.com/2023/05/les-80-ans-de-la-mort-de-jean-moulin.html

Biancarelli a dit…

Pas encore lu Le nageur. Lu Le dernier des Camondo de Pierre Assouline. Excellent.
Je suis effaré de voir que beaucoup de jeunes ne savent pas à quoi correspond le 8 mai.
Merci pour ces lectures.

Christiane a dit…

Bonjour, Biancarelli,
Oui, la mémoire s'efface. C'est pour cela que les témoignages sont tellement importants.
L'éducation, l'école, les familles , les lectures ont un rôle majeur dans la connaissance de l'histoire, des horreurs du vingtième siècle dans la conscience des enfants.
Votre remarque m'évoque un roman dit "pour enfants", de Holding : "Sa Majesté des mouches". Je l'avais partagé avec mes grands élèves. Ils avaient été sensibles à la dérive de ces enfants de six à douze ans, condamnés à survivre, isolés sur une île, à la suite d'un accident d'avion .
Et avaient noté l'apparition rapide de la rivalité, de la domination dans ce groupe qui devient une horde fascinée par le pouvoir, le culte d'une idole que les enfants inventent. Un massacre suit... (mise à mort d'un des enfants).
Ils se transforment en êtres humains bestialisés, en fanatiques emportés par la furie infantile.
Les enfants en bandes, livrés à eux-mêmes, peuvent devenir cruels comme dans des foules adultes.
La violence et le sacré.
Seule l'intervention d'un adulte, navigateur,à la fin du récit, attiré par une fumée dans l'île qu'il croyait inhabitée cassera cette sorte d'envoûtement. Les enfants alors, pleurent, hébétés, réfléchissent à la noirceur de leur comportement, retrouvent un peu de leur enfance, vieillis... mais pourront-ils oublier ?
C'était une façon de les sensibiliser au phénomène des bandes rivales qui sévissaient dans la cité et à l'Histoire où des groupes ont voulu dominer et exterminer d'autres groupes. Aux guerres donc et à leur infamie. Aux victimes. Aux morts.

Anonyme a dit…

Je ne suis pas sûr qu’ Alphaville soit seulement un grand film…. MC

Christiane a dit…

Vous pouvez en dire plus, MC ?
C'est un film qui m'a laissée perplexe. Cette image sautillante, la voix insupportable du mutant, cette grisaille qui flotte sur les plans qui se superposent si rapidement. Mais l'éclat d'Anna Karina donne une eau comme on le dit des pierres précieuses, bonne pour le cœur.

Christiane a dit…

... et cette avalanche de citations qui charment et exaspèrent. Mais quel étonnement de découvrir ce film.

Christiane a dit…

William Golding /Sa Majesté des mouches

Christiane a dit…


Biancarelli,
Il y a un autre livre plus proche du livre de Pierre Assouline et de celui de Julia Wallach qui permet avec beaucoup de délicatesse de parler de cette guerre, des nazis, de la déportation, de l'étoile jaune... aux grands enfants.
Je l'ai lu à des élèves de CM. Ils ont beaucoup aimé ce livre terrible. Les lecteurs de Babelio aussi.
Je mets le lien. Vous verrez comme cet ours sage, racontant sa vie, parle bien de David et Oskar, les deux enfants allemands qui l'aimaient tant, de Charlie le GI qui l'a ramassé dans les ruines de la ville bombardée.
Et une surprise douce à la fin du livre grâce à un article de journal...


https://www.babelio.com/livres/Ungerer-Otto/64786