Jack London - Construire un feu - Libretto
Comme
L’Appel sauvage (L’Appel de la forêt), ou Croc-Blanc, les
nouvelles qui composent le recueil Construire un feu ont pour cadre le
grand-nord canadien, l’Alaska, le Détroit de Béring, à la fin du XIXe siècle.
Dans ces territoires sans lois, hormis celles impitoyables de la nature, se côtoient
ou s’affrontent, trappeurs, coureurs de pistes, indiens, chercheurs d’or.
London, dont la vie se résume à une empoignade féroce avec l’adversité, connut
là quelques aventures et ses premières sources d’inspiration. Il ramena de ces
contrées inhospitalières, outre le scorbut, quelques inoubliables ouvrages qui
financèrent un projet de tour du monde maritime.
Les
sept récits, plus une première version de « Construire un feu »
parfaitement oubliable, racontent des histoires de survie et de dépassement de
soi, de courage extrême et de pure sauvagerie dans un univers où se déchainent
des forces primitives. L’homme y est le jouet autant de ses semblables que d’un
Cosmos aveugle. « Perdu-la-face », « Mission de
confiance », « Construire un feu » relatent des
expériences-limites. Dans le premier, un trappeur réputé voleur de fourrure,
décrit une trajectoire qui le mène de Varsovie à Saint-Pétersbourg, des mines
de Sibérie au Kamtchatka, jusqu’à Nulato une localité de l’Alaska. Là, après
avoir « acheté sa vie avec du sang », bref tué pour survivre, il est fait
prisonnier par des indiens et promis comme son compagnon à la torture. Ne se résignant
pas à devenir une masse sanguinolente de chair suppliante, il imagine un
stratagème afin de mourir dignement. L’expérience-limite celle qui « arrache
le sujet à lui-même » comme disait Foucault et qui traduite en
littérature « nous permet de voir le pire et de savoir lui faire face,
de savoir le surmonter » selon Bataille, trouve ici une illustration inattendue.
Sur un mode moins tragique, dans « Mission de confiance » deux
amis se séparent à Dawson City, ville emblématique de la ruée vers l’or du
Klondike. L’un des deux, au moment de monter sur un steamer en direction de
Seattle, crie à son compagnon de lui apporter au prochain voyage un précieux
sac. Désireux d’accomplir sa mission au plus tôt celui-ci se met en tête de rattraper
le navire. Les contretemps s’accumulent et l’expédition devient un condensé du Tour
du monde en quatre-vingt jours où repoussant ses limites d’endurance
mentale et physique le héros emploie tous les moyens de transport à sa
disposition : course à pied, traineau, navigation à la rame. Plus que l’ouvrage
de Jules Verne, la thématique de l’absurde évoque Les conquérants de l’inutile
ou On achève bien les chevaux. La nouvelle qui donne son titre au
recueil est quant à elle d’une efficacité remarquable. Un orpailleur tente de
rejoindre un claim (un terrain minier) où l’attendent ses compagnons. Accompagné
d’un chien qui semble mesurer mieux que lui la gravité de la situation, il
longe le Yukon. Le froid polaire l’oblige à s’arrêter et tenter d'allumer un feu. Mais
rien n’y fait. Il reste alors à mourir dignement. « Construire un feu »
raconte l’effrayante simplicité des armes employées par le Cosmos pour se débarrasser
de l’Homme.
En deçà
de ces textes impressionnants, « Ce sacré Spot » et « La
disparition de Marcus O’ Brien » empruntent les pistes inusuelles du fantastique
et de l’humour. Spot est un chien dont les propriétaires successifs n’arrivent
pas à de débarrasser. Bagarreur, voleur, invulnérable il revient inévitablement
se coller dans les pattes de son maitre. Sur les bords du Yukon, le juge O’Brien
applique les lois locales. Les condamnés sont largués dans une barque sur le
fleuve avec une provision de vivres inversement proportionnelle à la gravité de
leur crime, ce qui équivaut pour certains à une condamnation à mort. Or O’ Brien
lui-même échoue dans un de ces canots à la suite d’une soirée très arrosée. Son
périple sur les eaux le conduira vers des horizons surprenants. Mine de rien « La
disparition de Marcus O’ Brien » a l’allure d’un scénario de film de John
Ford.
Les
femmes font une timide apparition dans cet univers viril. Que ce soit dans « Braise
d’or » ou « Le bon sens de Porportuk » leur sexe les assujettit
à la loi des hommes. La première est enchainée à un souvenir, l’autre mutilée. Etonnamment
dans sa préface (honnête sans plus) et peut-être obnubilé par les œuvres de
Tourgueniev, Kenneth White s’appesantit sur les rapports maitre et serviteur des
deux narrateurs de « Braise d’or » et passe complètement à
coté de l’héroïne, de même qu’il ignore le malheureux destin d’El-Soo dans Porportuk.
Cette jeune et intelligente indienne recueillie ou enlevée par les Sœurs d’une
mission, renonce à poursuivre des études pour prendre la succession de son
père, chef d’une tribu. Celui-ci à sa mort laisse une dette énorme. Son
créancier l’indien Porportuk revendique la propriété de la jeune femme en
échange de l’annulation de la dette. Amoureuse d’un autre homme, son sort est
alors brutalement scellé.
Fort
d’une nouvelle emblématique Construire un feu relate le destin de
personnages qui parvenus aux bords extrêmes de l’expérience humaine affrontent
sans ciller le Néant.
5 commentaires:
Et Spot était aussi le nom du chien d’un certain Georges Bush fils.
Quel écrivain! Vous lui rendez un bel hommage.
Heureux de vous relire
Vous m’avez donné envie de relire ”Le vagabond des étoiles ”.
C’est pour moi un de ses meilleurs.
Me semble bien que c’est dans L’homme de la toundra que Taniguchi rend hommage à London.
Peut-être avez vous lu son Anthologie qui traite de la perte d’un chien
Biancarelli
L'homme de la Toundra, pas lu, ni l'antho.
Chez Taniguchi, tout est beau.
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