mardi 15 juin 2021

Construire un feu


 Jack London - Construire un feu - Libretto

 

 

 

 

Comme L’Appel sauvage (L’Appel de la forêt), ou Croc-Blanc, les nouvelles qui composent le recueil Construire un feu ont pour cadre le grand-nord canadien, l’Alaska, le Détroit de Béring, à la fin du XIXe siècle. Dans ces territoires sans lois, hormis celles impitoyables de la nature, se côtoient ou s’affrontent, trappeurs, coureurs de pistes, indiens, chercheurs d’or. London, dont la vie se résume à une empoignade féroce avec l’adversité, connut là quelques aventures et ses premières sources d’inspiration. Il ramena de ces contrées inhospitalières, outre le scorbut, quelques inoubliables ouvrages qui financèrent un projet de tour du monde maritime.

  

Les sept récits, plus une première version de « Construire un feu » parfaitement oubliable, racontent des histoires de survie et de dépassement de soi, de courage extrême et de pure sauvagerie dans un univers où se déchainent des forces primitives. L’homme y est le jouet autant de ses semblables que d’un Cosmos aveugle. « Perdu-la-face », « Mission de confiance », « Construire un feu » relatent des expériences-limites. Dans le premier, un trappeur réputé voleur de fourrure, décrit une trajectoire qui le mène de Varsovie à Saint-Pétersbourg, des mines de Sibérie au Kamtchatka, jusqu’à Nulato une localité de l’Alaska. Là, après avoir « acheté sa vie avec du sang », bref tué pour survivre, il est fait prisonnier par des indiens et promis comme son compagnon à la torture. Ne se résignant pas à devenir une masse sanguinolente de chair suppliante, il imagine un stratagème afin de mourir dignement. L’expérience-limite celle qui « arrache le sujet à lui-même » comme disait Foucault et qui traduite en littérature « nous permet de voir le pire et de savoir lui faire face, de savoir le surmonter » selon Bataille, trouve ici une illustration inattendue. Sur un mode moins tragique, dans « Mission de confiance » deux amis se séparent à Dawson City, ville emblématique de la ruée vers l’or du Klondike. L’un des deux, au moment de monter sur un steamer en direction de Seattle, crie à son compagnon de lui apporter au prochain voyage un précieux sac. Désireux d’accomplir sa mission au plus tôt celui-ci se met en tête de rattraper le navire. Les contretemps s’accumulent et l’expédition devient un condensé du Tour du monde en quatre-vingt jours où repoussant ses limites d’endurance mentale et physique le héros emploie tous les moyens de transport à sa disposition : course à pied, traineau, navigation à la rame. Plus que l’ouvrage de Jules Verne, la thématique de l’absurde évoque Les conquérants de l’inutile ou On achève bien les chevaux. La nouvelle qui donne son titre au recueil est quant à elle d’une efficacité remarquable. Un orpailleur tente de rejoindre un claim (un terrain minier) où l’attendent ses compagnons. Accompagné d’un chien qui semble mesurer mieux que lui la gravité de la situation, il longe le Yukon. Le froid polaire l’oblige à s’arrêter et tenter d'allumer un feu. Mais rien n’y fait. Il reste alors à mourir dignement. « Construire un feu » raconte l’effrayante simplicité des armes employées par le Cosmos pour se débarrasser de l’Homme.

 

En deçà de ces textes impressionnants, « Ce sacré Spot » et « La disparition de Marcus O’ Brien » empruntent les pistes inusuelles du fantastique et de l’humour. Spot est un chien dont les propriétaires successifs n’arrivent pas à de débarrasser. Bagarreur, voleur, invulnérable il revient inévitablement se coller dans les pattes de son maitre. Sur les bords du Yukon, le juge O’Brien applique les lois locales. Les condamnés sont largués dans une barque sur le fleuve avec une provision de vivres inversement proportionnelle à la gravité de leur crime, ce qui équivaut pour certains à une condamnation à mort. Or O’ Brien lui-même échoue dans un de ces canots à la suite d’une soirée très arrosée. Son périple sur les eaux le conduira vers des horizons surprenants. Mine de rien « La disparition de Marcus O’ Brien » a l’allure d’un scénario de film de John Ford.

 

Les femmes font une timide apparition dans cet univers viril. Que ce soit dans « Braise d’or » ou « Le bon sens de Porportuk » leur sexe les assujettit à la loi des hommes. La première est enchainée à un souvenir, l’autre mutilée. Etonnamment dans sa préface (honnête sans plus) et peut-être obnubilé par les œuvres de Tourgueniev, Kenneth White s’appesantit sur les rapports maitre et serviteur des deux narrateurs de « Braise d’or » et passe complètement à coté de l’héroïne, de même qu’il ignore le malheureux destin d’El-Soo dans Porportuk. Cette jeune et intelligente indienne recueillie ou enlevée par les Sœurs d’une mission, renonce à poursuivre des études pour prendre la succession de son père, chef d’une tribu. Celui-ci à sa mort laisse une dette énorme. Son créancier l’indien Porportuk revendique la propriété de la jeune femme en échange de l’annulation de la dette. Amoureuse d’un autre homme, son sort est alors brutalement scellé.

  

Fort d’une nouvelle emblématique Construire un feu relate le destin de personnages qui parvenus aux bords extrêmes de l’expérience humaine affrontent sans ciller le Néant.

 

                                                                                                        .

5 commentaires:

Biancarelli a dit…

Et Spot était aussi le nom du chien d’un certain Georges Bush fils.
Quel écrivain! Vous lui rendez un bel hommage.

Soleil vert a dit…

Heureux de vous relire

Biancarelli a dit…

Vous m’avez donné envie de relire ”Le vagabond des étoiles ”.
C’est pour moi un de ses meilleurs.

Anonyme a dit…

Me semble bien que c’est dans L’homme de la toundra que Taniguchi rend hommage à London.
Peut-être avez vous lu son Anthologie qui traite de la perte d’un chien
Biancarelli

Soleil vert a dit…

L'homme de la Toundra, pas lu, ni l'antho.
Chez Taniguchi, tout est beau.