Peter Handke - Le malheur indifférent - Folio
Petit opuscule d’une centaine de pages, Le malheur indifférent raconte ou tente de raconter l’existence de la mère de l’écrivain Peter Handke. Une vie en pointillé d’un être ordinaire abrégée par un suicide. D’origine slovène, elle vécut ses premières années en Autriche dans un milieu rural puis partit à Berlin. Elle y rencontra un employé de banque, père de l’écrivain puis s’installa avec un sous-officier de la Wehrmacht. Handke énumère les renoncements, l'éducation et surtout l'émancipation, fruit défendu des femmes du Troisième Reich, les évènements dramatiques - l’émergence d’Hitler, l’Anschluss, la guerre - qu’elle traverse comme un fantôme avant de terminer son parcours terrestre dans le village natal.
« Elle était
; elle fut ; elle ne fut rien ». Le
gouffre intérieur surgi au spectacle du cadavre de sa mère, le choc du suicide poussent
l’auteur à déployer son récit dans un tout autre registre que celui d’Un cœur
simple ou de Vies minuscules et à interpeller la parole et la littérature. Qui
a vécu l’espèce d’effondrement consécutif au décès d’un proche aimé, rappelle Handke,
est confronté à l’indicible. Les mots trahissent, réduisent, banalisent : il(elle)
a vécu longtemps, n’a pas souffert … L’écriture n’est pas en reste, soumise au
piège du romanesque, de la représentation : « L'horreur répond aux
lois de la nature ; l'horror vacui dans la conscience. La représentation vient
de se former et remarque soudain qu'il n’y a plus rien à représenter. Alors
elle tombe comme un personnage de dessin animé qui s'aperçoit qu'il ne marche
depuis le début que sur de l'air. »
Il n’est pas étonnant dans ces conditions que le récent Prix Nobel allemand retrouve en fin d’ouvrage une forme d’expression inventée jadis par le Cercle d’Iéna, le fragment, ici patchwork de flashs mémoriels et de réflexions spontanées, jaillissements de langage en réponse aux jaillissements de la douleur. Tel quel Le malheur indifférent se lit comme les notes d’un roman en cours d’élaboration et une réflexion sur les limites du langage.
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