John
Varley - Persistance de la vision - Folio SF
Au panthéon des recueils classiques
légendaires, Persistance de la Vision rejoint sans problème le méconnu Sonate
sans accompagnement, L’homme illustré, La foire aux atrocités et autres
friandises littéraires. On connaissait la richesse thématique de l’ouvrage -
issu de la fusion de deux anciens volumes de Présence du futur - donnant l’impression
d’un CD enchainant les tubes jusqu’à la claque finale façon Who’s next. A
l’inverse on redoutait que l’arsenal SF biotechnologique à la mode dans les seventies,
symbiotes, clones etc. ait pris un coup de vieux. Or à la relecture, l’anthologie
de John Varley révèle certaines surprises. La petite prise de bec entre la chef
d’expédition Lang et son adjoint Crawford sur fond de machisme supposé (« Dans
le palais des rois martiens »), les révélations des secrets d’une
famille transgenre (« L’été rétrograde ») renvoient à des interrogations
et débats actuels bien brulants, qu’il s’agisse de l’identité sexuelle ou du rééquilibrage
sociétal homme-femme. Oui, aux textes bien nés la valeur se réjouit du nombre
des années.
Quelques nouvelles semblent
prendre pour cadre le décor des Huit mondes conçu par l’auteur, c'est-à-dire l’ensemble
des planètes du système solaire hébergeant l’espèce humaine chassée de la Terre
par un mystérieux envahisseur. Au prix d’adaptations considérables, qui n’excluent
pas certaines fantaisies, l’Humanité a pris pied sur des mondes aussi peu
accueillant que Vénus ou Mercure. Elle bénéficie heureusement d’énormes acquis
technologiques peut-être acquises par la voie du Canal Ophite. Le premier récit
« Le fantôme du Kansas » se déroule sur Luna. L’héroïne donne,
dans les immenses souterrains de la ville, des spectacles météorologiques (!), générant
des tornades pour le plus grand plaisir des spectateurs. Or la banque qui
abrite un enregistrement de son esprit est saccagée, menaçant sa virtuelle
immortalité. Quelqu’un cherche de manière récurrente à l’éliminer… Une bonne
entrée en matière, sur le thème du double.
Le vol Miami-New York du
15 septembre 1979 n’atteindra jamais sa destination. Heureusement des
sauveteurs du futur évacuent les passagers du Boeing. Mais pour les emmener où ?
Nouvelle coup de poing qui privilégie l’humour noir, « Raid aérien »
atteint sa cible. Sur Mercure, Timothy accueille sa sœur clonale Jubilante
venue de Luna. Séparées depuis leur naissance, elles vont devoir apprendre à se
connaître, identifier leurs géniteurs avec tout ce que cela implique dans un monde
où le changement de sexe est pratique courante. Après « La maison
biscornue » de Robert Heinlein, voici avec « Un été rétrograde »
son pendant familial.
Deux astronautes isolés à
des milliards de km du soleil dans des stations spatiales concurrentes, récupèrent
et trient quotidiennement le flot de données envoyé par l’étoile Ophiuchus.
Avec le temps et l’ennui ils tombent amoureux l’un de l’autre. Sur l’air de « Un
petit oiseau, un petit poisson s’aimaient d’amour tendre mais comment s’y
prendre etc. » « Le passage du trou noir » est inférieur
aux textes précédents mais pas désagréable. Le pitch de départ évoque celui du
roman Le canal Ophite du même auteur. Vient ensuite le premier coup de
tonnerre du recueil. Une équipe d’exploration envoyée sur Mars est décimée suite
à un accident de dépressurisation. Les survivants se transforment alors en
colons. Beaucoup plus inspiré que le scénariste de Seul sur Mars, l'auteur imagine la naissance d’un écosystème suscité par la présence des humains. Le
résultat donne « Dans le palais des rois martiens », croisement
entre Chroniques martiennes de Bradbury et la nouvelle « Le
village enchanté » de A. E. Van Vogt. Décidément John Varley réenchante
les classiques de la science-fiction.
La même observation s’applique à « Dans le chaudron ». Un touriste égaré sur Vénus à cause d’un œil récalcitrant trouve une aide inattendue en la personne d’une résidente à peu près humaine. Ils partent ensemble dans le désert vénusien rechercher des pierres précieuses. Au-delà d’un marivaudage délicieux au sein d'un environnement évoquant un four en pyrolyse sous une pression de fond d’océan, l’auteur revisite à sa manière, mine de rien, « L’odyssée martienne » de Stanley Weinbaum. Incroyable. Les deux fictions suivantes m’ont - subjectivement - moins emballé. « Dansez, chantez » raconte, pour autant qu’on puisse le raconter, une prestation musicale dont le support est un acte sexuel, le tout dans un décor spatial évoquant une fête foraine. Dans la trilogie de Titan, Varley endossera à nouveau la peau d’un écrivain-barnum. L’esprit du héros de « Trou de mémoire » est hébergé dans la mémoire d’un ordinateur à la suite d’une sauvegarde mémorielle défaillante (cf Le fantôme du Kansas). En attendant qu’une technicienne le sorte de ce mauvais pas, il explore son nouveau monde.
Enfin « Les yeux de la nuit » - The persistence of vision, titre original - clôt en toute beauté le recueil. Quittant un Chicago en proie aux émeutiers de la faim, un chômeur part en Californie. Il trouve refuge dans une communauté de sourds-muets et découvre un nouveau sens à sa vie. Rédigé avec l’acuité ethnologique de Le Guin et la profonde sensibilité d’un Sturgeon, Varley franchit ici un cap. Délaissant les artefacts de la science-fiction, il décrit un monde furieusement contemporain, violent, soumis à des cycles de prospérités et de crises. Au sein de la communauté Keller le narrateur entre dans un temps et un espace autres. Il entame une lente évolution spirituelle, jalonnée de l’apprentissage de nouveaux langages, braille, tactile, corporel et ce faisant pénètre une sorte de Gestalt à la Sturgeon.
« Nous vivons
dans les délices bienheureuses du silence et de la nuit ». Cette
ultime et belle phrase dissimule, grâce au traducteur, un secret. Le mot « délice »
possède une particularité. Au pluriel, il change de genre. Une mise en abyme
thématique de quelques textes en quelque sorte,
5 commentaires:
Excellent recueil de nouvelles. Autant j'ai parfois du mal avec les romans de John Varley, autant je le trouve absolument magistral dans ses récits courts.
J'ai égaré Champagne bleu je ne me souviens plus de ses textes.
Lu il y a maintenant 10 ou 15 ans, ce recueil m'a réconcilié en quelques sorte avec la SF.
J'y ai ressenti un vertige intellectuel peu commun face à l'imagination sans borne de l'auteur.
En particulier dans la nouvelle Raid aérien.
Un souvenir qui brille intensément dans la galaxie brumeuse de mes lectures.
Slicte
Blues pour Irontown m’avait moyennement accroché, sauf les épisodes inenarrables avec le chien cybernétique.
J’aime beaucoup l’auteur sinon et ces nouvelles sont vraiment top.
Blues pour Irontown, ton avis renforce mon hésitation.
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