Adrian Tchaikovsky - Dans la toile du temps - Denoël Lunes d’encre
Dans
un lointain futur, l’Empire terrien animé d’une volonté d’expansion irrépressible
projette dans l’univers des vaisseaux à la recherche de nouveaux territoires.
Les planètes conquises sont terraformées et peuplées de singes qui franchissent
les étapes de l’évolution à vitesse grand V, aidés en cela par le fantastique savoir-faire
génétique et virologique de leurs créateurs,
Mais
un conflit apocalyptique détruit l’Empire et peut-être la Terre. Quelques
millénaires plus tard une arche stellaire peuplée d’une humanité désemparée
reçoit un signal d’une des Sentinelles chargées de veiller sur les nouveaux
mondes créés par l’ancien Empire. Surprise, l’élan vital a pris là-bas une
direction inattendue.
Nouveau
nom de la science-fiction britannique pour le lecteur béotien que je suis, Adrian
Tchaikovsky a en fait entamé depuis une dizaine d’années un parcours romanesque,
ponctué de publications d’ouvrages de fantasy. Son nouvel opus Dans la
toile du temps marque, et de quelle manière, son entrée dans le domaine du space-opera,
récompensée par un prix Arthur C. Clarke 2016. Adieu les récentes productions
anglo-saxonnes couronnées de Hugo qui noyaient l’amateur dans un lac des signes
imbuvable … Tchaikovsky, travaillé par le nanovirus du genre, livre un récit
classique mais épique qui se souvient de Clarke, du cycle de l’Elévation de
Brin et de tout un tas de romans dont L’œuf du dragon et Le
creuset du temps, liste non limitative. Dans le texte de Robert Forward les habitants d’une
étoile à neutron (!) accédaient à la conscience et à la civilisation, aiguillonnés par la présence d’un satellite humain. Chez Brunner la prescience d’une
catastrophe cosmique accélérait la mutation d’êtres végétaux.
L’adaptation
française du titre originel Children of Time rend astucieusement
compte du destin de deux espèces vivantes, l’une agonisante, engluée dans des
millénaires d’isolement spatial et retardant une déchéance inévitable par des hibernations
successives, l’autre tissant une toile de vie en expansion continue. Le vaisseau
Gilgamesh est commandé par un chef d’expédition aussi autoritaire et dénué de
scrupules dans l’accomplissement de ses projets qu’Avrana Kern, l’occupante folle
mi-humaine mi IA de la Sentinelle. Un lien affectif unit deux des meilleurs
experts de Guyen, le linguiste Mason - point d’entrée de la narration - et l’ingénieure
en chef Lain. Sur la planète verte, les araignées constituent l’espèce
dominante. Partagées en plusieurs Nids, assistées par des fourmis domestiquées
elles gravissent les étapes de l’évolution grâce à leur maitrise de la chimie organique
et à l’activité des nanovirus implantés par leurs créateurs humains. Pour un
peuple ignorant l’écriture, la nécessaire propagation du Savoir repose sur une sorte
de transmission héréditaire des caractères acquis. Une hérésie scientifique qui
aurait jadis fait bondir un Heinlein ou un Campbell, mais semble partiellement réhabilitée aujourd’hui (1). Epousant l’actualité, la lutte des minorités pour
l’égalité fait ici l’objet d’un développement narratif plein d’humour. Mais Dans la
toile du temps, comme ses ainés, envoie surtout un message essentiel hélas incompris des
dirigeants successifs de cette planète. La survie de l’Humanité dépend de la
prise en compte du Temps long.
Les
578 pages se lisent pratiquement d’une traite. Adrian Tchaikovsky n’a rien à envier
à ses glorieux prédécesseurs, dépassant même certains. L’intrigue se développe naturellement,
sans ventre mou, pour aboutir à une œuvre aboutie mêlant adroitement macro et
micro évènements. Un Guerre et Paix version SF ?
(1) A noter que dès 1953
dans Ce que je crois, Jean Rostand postulait que certaines aptitudes musicales ou
mathématiques consolidées par l’enseignement pouvaient se transmettre héréditairement.
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