mardi 16 juillet 2019

Dans la toile du temps


Adrian Tchaikovsky - Dans la toile du temps - Denoël Lunes d’encre




Dans un lointain futur, l’Empire terrien animé d’une volonté d’expansion irrépressible projette dans l’univers des vaisseaux à la recherche de nouveaux territoires. Les planètes conquises sont terraformées et peuplées de singes qui franchissent les étapes de l’évolution à vitesse grand V, aidés en cela par le fantastique savoir-faire génétique et virologique de leurs créateurs,
Mais un conflit apocalyptique détruit l’Empire et peut-être la Terre. Quelques millénaires plus tard une arche stellaire peuplée d’une humanité désemparée reçoit un signal d’une des Sentinelles chargées de veiller sur les nouveaux mondes créés par l’ancien Empire. Surprise, l’élan vital a pris là-bas une direction inattendue.



Nouveau nom de la science-fiction britannique pour le lecteur béotien que je suis, Adrian Tchaikovsky a en fait entamé depuis une dizaine d’années un parcours romanesque, ponctué de publications d’ouvrages de fantasy. Son nouvel opus Dans la toile du temps marque, et de quelle manière, son entrée dans le domaine du space-opera, récompensée par un prix Arthur C. Clarke 2016. Adieu les récentes productions anglo-saxonnes couronnées de Hugo qui noyaient l’amateur dans un lac des signes imbuvable … Tchaikovsky, travaillé par le nanovirus du genre, livre un récit classique mais épique qui se souvient de Clarke, du cycle de l’Elévation de Brin et de tout un tas de romans dont L’œuf du dragon et Le creuset du temps, liste non limitative. Dans le texte de Robert Forward les habitants d’une étoile à neutron (!) accédaient à la conscience et à la civilisation, aiguillonnés par la présence d’un satellite humain. Chez Brunner la prescience d’une catastrophe cosmique accélérait la mutation d’êtres végétaux.



L’adaptation française du titre originel Children of Time rend astucieusement compte du destin de deux espèces vivantes, l’une agonisante, engluée dans des millénaires d’isolement spatial et retardant une déchéance inévitable par des hibernations successives, l’autre tissant une toile de vie en expansion continue. Le vaisseau Gilgamesh est commandé par un chef d’expédition aussi autoritaire et dénué de scrupules dans l’accomplissement de ses projets qu’Avrana Kern, l’occupante folle mi-humaine mi IA de la Sentinelle. Un lien affectif unit deux des meilleurs experts de Guyen, le linguiste Mason - point d’entrée de la narration - et l’ingénieure en chef Lain. Sur la planète verte, les araignées constituent l’espèce dominante. Partagées en plusieurs Nids, assistées par des fourmis domestiquées elles gravissent les étapes de l’évolution grâce à leur maitrise de la chimie organique et à l’activité des nanovirus implantés par leurs créateurs humains. Pour un peuple ignorant l’écriture, la nécessaire propagation du Savoir repose sur une sorte de transmission héréditaire des caractères acquis. Une hérésie scientifique qui aurait jadis fait bondir un Heinlein ou un Campbell, mais semble partiellement réhabilitée aujourd’hui (1). Epousant l’actualité, la lutte des minorités pour l’égalité fait ici l’objet d’un développement narratif plein d’humour. Mais Dans la toile du temps, comme ses ainés, envoie surtout un message essentiel hélas incompris des dirigeants successifs de cette planète. La survie de l’Humanité dépend de la prise en compte du Temps long.



Les 578 pages se lisent pratiquement d’une traite. Adrian Tchaikovsky n’a rien à envier à ses glorieux prédécesseurs, dépassant même certains. L’intrigue se développe naturellement, sans ventre mou, pour aboutir à une œuvre aboutie mêlant adroitement macro et micro évènements. Un Guerre et Paix version SF ?











(1)   A noter que dès 1953 dans Ce que je crois, Jean Rostand postulait que certaines aptitudes musicales ou mathématiques consolidées par l’enseignement pouvaient se transmettre héréditairement.

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