Budaï, linguiste de profession, se rend à Helsinki pour y donner une conférence. A la sortie de l’aéroport, alors qu’il émerge difficilement d’un lourd sommeil, une navette le dépose devant l’hôtel d’une ville inconnue. Il tente de réagir mais déjà une foule compacte le pousse au guichet où un concierge lui attribue une chambre. Impossible de dialoguer avec l’employé, celui-ci s’exprime dans un idiome inintelligible et de toute façon la file d’attente s’impatiente. Le voici logé contre son gré en terre étrangère.
Quel est ce pays, quelle est cette cité ? Comment en repartir ? Epépé, roman de 300 pages de Ferenc Karinthy décrit les efforts répétés et vains d’un prisonnier pour réintégrer le monde d’antan. De l’auteur, hongrois, linguiste de formation comme Budaï, on sait peu de choses. Son oeuvre comme celle de son père Frigyes, grand lecteur de Swift et amateur de pastiches à la manière de René Reouven, interroge le langage. Epépé demeure son texte le plus connu.
Le roman présente une particularité formelle. Les chapitres ne sont pas numérotés. La tentation surgit alors de parcourir l’ouvrage indépendamment de la progression de la narration. Or justement Budaï ne progresse pas. Il tente de se faire comprendre et de comprendre les habitants de la mystérieuse mégalopole. Il recherche un aéroport, une gare ou une ambassade. Il tente de s’appuyer sur ses compétences professionnelles. Comment se fait-il que personne ne pratique aucune autre langue que celle de la cité ? Pourquoi ne peut-il rattacher cet idiome à aucun groupe linguistique connu ? Plus difficilement il essaye d’en établir la structure, les règles comme on le ferait d’une langue morte. Faute de dictionnaire il cherche une pierre de rosette. Il pense la trouver dans un annuaire téléphonique, ou des étiquettes de prix. Peine perdue. Les objets et les rites ne lui sont d’aucune utilité. Il assiste à un évènement sportif, pénètre dans un tribunal, participe à une insurrection : tout cela demeure incompréhensible. Il finit par être chassé de son hôtel où le retenait une aventure sentimentale avec une liftière. Etrange histoire, il ne parvient pas à prononcer son nom correctement.
Aventure langagière Epépé apparaît aussi comme le roman d’une solitude, d’un autisme. Mourir à soi-même, mourir aux yeux des autres c’était déjà le sujet de Dying Inside (L’oreille interne) de Robert Silverberg, cité dans la préface. Les mouvements de foule incessants dans lesquels se noie Budaï évoquent ces documentaires en noir et blanc de la première moitié du XXe siècle fourmillant d’anonymes emportés par l’Histoire. En dernier ressort Epépé s'apparente à un récit anthropologique, une parabole sur l'aliénation de l'individu dans le monde contemporain. On a là un ouvrage culte qui oscille entre Kafka et Les temps modernes de Chaplin.
5 commentaires:
Lu et apprécié.
On peut se demander quel est le message que l’auteur a voulu transmettre. Étant Hongrois,une métaphore du communisme ,de la noirceur de l’époque, cette impression de tourner en rond.
Je m’en vais voir ce qu’a écrit le père .
Merci pour la découverte.
Merci.
Tenez moi au courant de vos investigations
Pareil. Notons qu’Il y a un Merlin de K, ou l’on retrouve ce goût de l’ absurde. MC
Note précédente idiote: Reportage Céleste, pour lui donner son titre exact, est du Père Karinthy! MC
Donc passage du goût de l’absurde du Pere au Fils! ‘
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