Arkadi & Boris Strougatski - Stalker Pique-nique au bord du chemin - Folio SF
Vingt
ans après la catastrophe de 1986, les touristes commencèrent à affluer sur les lieux du
cataclysme. Aujourd’hui, outre des excursions dans les rues et les habitations
fantômes de la ville de Pripiat, des guides proposent de visiter Tchernobyl et
sa centrale nucléaire de sinistre mémoire. On appelle ces hommes des stalkers,
c'est-à-dire des traqueurs ou pilleurs d'objets, un surnom attribué aussi aux fameux liquidateurs
russes qui jouèrent les pompiers de la mort dans la centrale en feu. Au cœur de
cette mythologie ancrée au cœur d'une des grandes tragédies du XXe siècle, un
texte de science-fiction publié 14 ans avant la catastrophe par Arkadi & Boris
Strougatski, traduit une première fois en France en 1981 chez Denoël puis
réédité successivement chez le même éditeur et en poche. A y regarder de plus
près Stalker n'est pas Tchernobyl, mais pourrait l’être …
Redrick
Shouhart travaille comme laborantin à l'institut international des cultures
extra- terrestres de la ville de Harmont. En échange de quelques billets
rapidement liquidés en beuveries frénétiques, il explore et ramène des objets
étranges issus de la Zone.
La
Zone est l’une des six aires où dit-on débarquèrent et repartirent en
toute discrétion des êtres venus d'ailleurs : un pique-nique sidéral en quelque
sorte tel qu’il ressort dans le titre originel Piknik na obotchine. Un trafic officiel, et officieux,
s'organise autour de la capture des reliefs de cette visite éclair. Trafic non
sans danger, car les objets en question dont la nature et le fonctionnement
échappent à l'entendement humain, gisent dans des territoires dangereux défiant
les lois de la physique.
Découpé
chronologiquement en quatre longs chapitres, le récit est bâti autour du
personnage de Redrick Shouhart. Pour lui et ses semblables, la Zone constitue
le seul moyen d'existence, en même temps qu'une addiction destructrice. Le stalker,
à l'image d’Aguirre, héros du film de Werner Herzog, poursuit un eldorado
symbolisé par un objet mythique, la Boule d'or, alors même que son univers
personnel part en déliquescence. La première partie écrite dans un style âpre
et rapide, à la première personne, donne le ton du roman. Il relate une
incursion dans la Zone façon Le salaire
de la peur, matière aussi à pénétrer l'univers mental de Shouart,
personnage frustre, déterminé et révolté.
Plus
nerveux que le précédent opus des frères Strougatski Il est difficile d'être un dieu, Stalker présente néanmoins
quelques similitudes avec celui-ci. On retrouve en premier lieu - comme chez Stanislav
Lem d’ailleurs - le thème de l'incommunicabilité. L’intrigue d’une noirceur que
n’aurait pas reniée Thomas Disch dépasse le cadre science-fictionnesque pour déboucher
sur une réflexion sur la condition humaine, sur l’absurde, l’apparentant ainsi
aux inquiétudes sœurs formulées par Beckett, Camus ou Kafka.
L’angoisse
culmine au cours d'une scène centrale entre Pilman le scientifique et Nounane,
Quelles étaient les motivations des Visiteurs ? Nous n'en saurons rien, puisque
la vocation de l’Homme n'est pas de comprendre, mais de s'adapter, ou pire de
parasiter comme des fourmis dévorant les restes d'un pique-nique. Outre cette
scène, la visite de Nouane à la famille de Shouart confère au chapitre 3 une
exceptionnelle force dramatique à laquelle succède dans le chapitre suivant un
final étourdissant, comme en boucle avec le début du roman : "Du
bonheur pour tout le monde, gratuitement, et que personne ne reparte lésé !".
Récit
d'invasion extra-terrestre qui n'en est pas un, ou catastrophe écologique, Stalker déjoue tous les poncifs de la
science-fiction. Mythologie Tchernobylienne, déclinée au cinéma et en jeu vidéo,
ce roman impressionnant rejoint aussi les grandes interrogations
contemporaines.
2 commentaires:
Je ne connaissais que le film de Tarkovski et me demandais ce que valait le roman d'origine. D'après ton article, les deux oeuvres abordent le même sujet de façons assez différentes. Ca me donne envie de m'y plonger pour mesurer l'ampleur de cette différence. Merci :)
Merci de m'avoir lu
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