dimanche 1 août 2021

L’invention de Morel

Adolfo Bioy Casares - L’invention de Morel - 10/18

 

 

 

Argentin, grand ami de Borges avec lequel il écrivit des romans policiers, Adolfo Bioy Casares publia en 1940 le texte qui demeure son chef-d’œuvre. Qualifié de récit fantastique, L’invention de Morel présente pourtant des caractéristiques propres aux ouvrages catégorisés dans la Conjecture Romanesque Rationnelle. Si les phénomènes décrits semblent un premier temps désorienter le narrateur et les lecteurs, les technologies imaginées par Morel commencent aujourd’hui à pointer leur nez. La critique a établi un lien avec L’ile du Docteur Moreau de Wells. A choisir, j’aurais préféré par exemple le récent L’Anomalie de Hervé Le Tellier.

 

Tout commence par l’échouage d’un naufragé qui fuit le Venezuela. Se décrivant comme un persécuté, le narrateur, sur les conseils d’un proche, se réfugie dans une ile de l’archipel polynésien de Tuvalu. S’abritant dans la partie basse des terres constamment envahie par les marées (l’archipel est effectivement menacé aujourd’hui par la montée des eaux) il découvre dans la partie haute (pure invention de l’auteur, le sol est au niveau de la mer) des constructions : un musée, une chapelle, une piscine. Plus surprenant, l’ile semble habitée. Certains soirs, des bruits de fête parviennent jusqu’à lui, des personnages parcourent les lieux. Il se prend d’intérêt pour une femme, Faustine, qui parfois descend s’asseoir sur un rocher et lit. Elle semble importunée par un certain Morel. Etant fugitif, il n’ose l’aborder. Parfois, le jour, il s’enhardit et, pénétrant dans les batiments, les trouve désert. Leur sous-sol abrite une étrange machinerie.

 

Le lecteur contemporain découvrira vite le pot aux roses. Tout l’édifice de l’ouvrage repose sur la crainte paranoïaque du narrateur d’être livré à ses persécuteurs et la fausse nécessité de se dissimuler aux yeux des habitants : « J'attaquerai, dans ces pages, les ennemis des forêts et des déserts ; je démontrerai que le monde, avec le perfectionnement de l'appareil policier, des fiches, du journalisme, de la radiotéléphonie, de douanes, rend irréparable toute erreur de la justice qu'il est un enfer sans issue pour les persécutés ».

 

Avec L’invention de Morel Adolfo Bioy Casares renouvelait de façon originale le mythe de l’Eternel retour. Qu’il s’agisse des réincarnations successives, ou des efforts répétés de Sisyphe, le thème n’a pas bonne réputation. Il croise ici la quête de l’immortalité. De ce chef-d’œuvre qui dit-on ne fut pas sans influence sur le Nouveau Roman, je retiendrai aussi la belle simplicité des silhouettes de la couverture de l’édition 10 18. Tellement immergés dans la civilisation de l’image, nous oublions leur trompeuse consistance et leur trompeuse durée. Telle est la victoire de Morel.

 

4 commentaires:

Soleil vert a dit…

Post-scriptum (attention spoiler)

L'expérience de Morel entraine la mort des insulaires "filmés" (radioactivité ?). Morel, nouveau dieu auto-proclamé, tente la résurrection des corps, mais n'aboutit qu'a des séquences en boucle. L'Enfer c'est la répétition.

Anonyme a dit…

Merci pour cette chronique éclairante.

J’ai lu ce roman en pleine quarantaine de Covid,une lecture échappatoire qui au départ promettait un simple divertissement avec un fugitif échouésur une île,condamné à tort, se cachant,amoureux d’une femme qui l’ignore.Cette lecture m’à rendu fou,au fur et à mesure avec ce triangle de tension entre Morel,Faustine et le fugitif et ces personnages qui évoluent à travers des fêtes et des soirées.
Et,cette lecture m’à renvoyé à notre propre isolement pendant la pandémie.
Voyez ce fugitif et ses tentatives de connexions qui cherche le contact,mais en même temps qui s’expose aux représailles.
De nouvelles questions sont apparues.
Qui sont ces gens?Des fantômes,le fugitif était-il lui même un fantôme. Sommes-nous tous des fantômes.
Ma cohérence du monde en a été bousculée.L’invention de Morel m’à rappelé que nous sommes dépendants de nos relations avec les autres.
Comment posséder pour toujours quelqu’un?La fin apporte une réponse peut-être.
Quant à la préface de Borges,je ne lis les préfaces qu’à la fin.
Lecture o combien recommandable.

Soleil vert a dit…

Sommes nous des fantômes
Parfois j'ai tendance à penser que oui. J'en reviens à la couverture de l'édition 10 18.

La préface de Borges en forme de manifeste ne me semble pas incontournable. Proust s'en remettra.

Merci pour l'a propos de vos remarques. Comme dit Alberto Manguel, grand lecteur entre tous, «La fiction donne cohérence au chaos qui nous entoure»

Anonyme a dit…

Merci à vous.

Casares nous donne une autre appréciation de la réalité qui nous entoure, à la limite investi d’une mission,un peu comme le converti religieux qui doit témoigner d’une présence invisible.
Entièrement d’accord avec la citation de Manguel.