Harlan
Ellison - La machine aux yeux bleus - Flammarion Imagine
Parmi les événements de mon existence à passer
sous silence, figure la participation à une anthologie proposée par un défunt
site internet consacré à la science-fiction. Ne demeure que le souvenir du
titre d’une pitoyable nouvelle : Soins
Attentifs à l’Usage des Nyctalopes Apathiques. Quelle mouche m’avait piquée
pour rédiger cette … chose ? Harlan Ellison et ses Dangerous Visions bien sûr ! « Eclatez-vous ! » avait-il lancé aux auteurs participant à
cette compilation historique parue en 1967 (l’année de Sergent Pepper) et traduite en 1975. Mais
se lâcher est une chose et écrire correctement en est une autre. J’avais oublié
le second terme de la proposition. Dans l’ouvrage chroniqué ici, le natif de
Cleveland - récemment décédé - évoque d’ailleurs avec un soupir ennuyé les
productions du fandom …
La machine aux yeux bleus est un recueil de nouvelles du trublion de la SF,
paru en 2001, et choisies par Jacques Chambon. L’ouvrage épuisé attend une
déclinaison en poche. Il fait figure d’exception dans la mesure où Harlan
Ellison étant en quelque sorte son propre anthologiste, n’admettait pas que ses
textes courts soient dispersés. Plusieurs traducteurs ont été mis à contribution,
l’ensemble constituant, selon la formule heureuse d’Olivier du forum Culture SF,
un Livre d’or auquel il n’a jamais eu droit. Un commentaire de l’auteur (avec
Ellison on n’y échappait jamais) introduit et contextualise chaque récit.
Les douze fictions du volume naviguent entre
fantastique et mainstream. Certaines, très anciennes, datent de l’époque où
Robert Silverberg était le voisin de palier newyorkais de l’écrivain. Nostalgie
… Encore plus en amont, les références à des séries télévisuelles datant des
années 40 égarent un peu le lecteur : mention spéciale à la traductrice Isabelle DELORD-PHILIPPE
qui heureusement ne lésine pas dans « Rires
préenregistrés » sur les notes de bas de page. Celles-ci rappellent
qu’Harlan Ellison a travaillé comme scénariste pour le cinéma et la télévision et a alimenté
notre imaginaire collectif au travers de productions légendaires comme Au-delà du réel, Alfred Hitchcock présente, Des
agents très spéciaux, Star Trek, Babylon 5 …
La tonalité des récits évoque parfois Sturgeon. Leur
matière première c’est l’être humain et ses souffrances : le mal de
solitude, la difficulté de la vie en couple, l’incompréhension. Ellison oscille
entre tendresse et rébellion. De ces fictions on retiendra d’abord la nouvelle
éponyme « La machine aux yeux bleus ». Une machine à sous d’un casino
de Las Vegas tombe amoureuse d’un joueur fauché. Chaque fois qu’il introduit
une pièce, elle délivre un jackpot. Mais quel en est le prix ? Dans « La plainte des chiens battus »,
une newyorkaise assiste depuis son balcon au meurtre d’une femme dans la cour de
l’immeuble. Les voisins ne réagissent pas comme s’ils assistaient à un rite
sanglant. En bref, la ville considérée comme un monstre froid. « Jeffty a
cinq ans » petit bijou de nostalgie reçut un Hugo. Donny et Jeffty
sont copains depuis l’âge de cinq ans. Mais le second ne vieillit pas et garde
un esprit de petit enfant au grand désespoir de ses parents. Les années passent
et Donny devenu adulte revient voir occasionnellement son toujours jeune ami.
C’est alors qu’il remarque un fait étrange : lorsque Jeffty allume son
poste radio, il capte les émissions du passé. Récit sur la part d’enfance que
nous conservons en nous, « Jeffty a
cinq ans » remporte tous les suffrages. Thème Dickien pour « Retour de flamme ». Un homme voit
ressurgir dans un ordre antéchronologique les femmes de sa vie. « Toute ma vie est un mensonge » m’a
impressionné. L’histoire raconte la vrai-fausse amitié entre un écrivain
brillant et un compère moins doué. Harlan Ellison a transposé dans son récit
l’inimitié bien connue d’Edgar Poe et de Rufus Wilmot Griswold. « Rires préenregistrés » est un
portrait acide du milieu télévisuel et du cinéma et l’histoire d’une femme
transformée en IA à partir des bandes sons de ses films ou émissions. Dans « Le mal de solitude » l'auteur, en relatant un divorce, dit l'amour impossible, l'abîme entre les êtres, et le salut par l'écriture.
Les autres fictions hormis « Le prix de la sueur », une œuvre
de commande express pour une émission radio et « Vengeance aveugle » ne déméritent pas. « La course de la reine rouge » évoque
la série TV Code quantum. Un homme traversant
contre son gré des mondes parallèles est contraint d’incarner temporairement des
existences humaines. « Le
septième jour » raconte l’affrontement d’un homme et de son double.
J’ai gardé pour la fin « Ecoute l’horloge sonner le temps ».
Elle vaut son pesant de commentaire, puisque rédigée, nous apprend l’écrivain,
dans une tente en plastique à l’entresol d’un hôtel, en réaction au refus de
l’état d’Arizona de ratifier un amendement pour l’égalité des droits. L’intrigue ?
Un homme passe au travers de son existence et se retrouve dans les limbes en
compagnie de millions d’autres. Aura-t-il une seconde chance ? Ecrit avec
une merveilleuse simplicité et économie de moyens, ce texte donne la clef de l’énigme
Ellison : un être passionné, éternellement jeune qui empoigna la vie et
son métier à bras le corps.
6 commentaires:
Merci pour cette présentation, qui donne envie de lire ces nouvelles.
Merci
Ne reste plus qu'a le rééditer.
Idem pour Sturgeon dont on fête parait il le centenaire, mais qui attend une compilation de ses nouvelles.
Et je ne parle pas de Tiptree.
Mes deux nouvelles preferees "Jeffty "..et "Rires preenregistres" ou le type entend les rires de sa tante decédée il y a longtemps. Trop lol.
"Rires préenregistrés" : pas faux et un poil sulfureux en prime
Les romans et nouvelles de Sturgeon ont été regroupées dans un omnibus en 2005, qu'on trouve encore.
https://www.noosfere.org/icarus/livres/niourf.asp?numlivre=2146561804
Effectivement.
Pourrait t'on encore étendre le périmètre des nouvelles ?
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