dimanche 4 janvier 2015

Chroniques de l’oiseau à ressort



Haruki Murakami - Chroniques de l’oiseau à ressort - 10/18


Suivant la formule consacrée, on ne présente plus Haruki Murakami écrivain de stature internationale, dont l’œuvre se nourrit de réminiscences de littérature traditionnelle japonaise ou occidentale, voir de manga. On peut se demander cependant au vu de ses derniers opus, IQ84 notamment, si le meilleur de sa production n’est pas derrière lui.
Paru au Japon sept ans avant Kafka sur le rivage évoqué ici, Chroniques de l’oiseau à ressort partage avec son successeur nombre de caractéristiques communes : atmosphère onirique, personnages à la marge, ados fugueurs, évocation des années de guerre…

Que ce soit dans la course à pied ou la création littéraire, l’auteur travaille dans la longueur. Le présent ouvrage compte plus de 900 pages, consacrées au quotidien de Toru Okada, un chômeur vivant dans un quartier résidentiel de Tokyo. Marié à Kumiko, rédactrice d’un magazine de nourriture bio, il ne s’empresse pas de retrouver une activité professionnelle et endosse la tenue d’homme d’intérieur, consacrant une partie de son temps à des activités ménagères. Sa vie prend soudain une tournure étrange. Son chat, puis sa femme disparaissent. Pourtant l’isolement ne le guette pas. Une inconnue lui passe des coups de téléphones équivoques, il se lie d’amitié avec une adolescente excentrique, un vieux monsieur lui raconte ses souvenirs de guerre en Mandchourie, une voyante riche le prend sous son aile …Toru Okada n’a cependant qu’une idée en tête, retrouver sa femme, quitte à affronter son inquiétant beau-frère, l’influent Noburu Wataya.

L’oisiveté est la mère de toutes les aventures. Réfugié dans sa maison, le héros de Chroniques de l’oiseau à ressort rencontre toutes sortes de personnages et vit des événements incongrus apparemment sans lien. Le 4eme de couverture évoque un théâtre d’ombres. On imagine bien une adaptation théâtrale du roman. Le passif Toru Okada trône au centre d’un monde dont les protagonistes s’éloignent ou surgissent inopinément. Déréalisation, dépersonnalisation caractérisent l’évolution de son état mental. S’il conserve une apparence sociale, sa vie se déroule sur plusieurs plans d’existence, ce qu’on peut interpréter comme une fuite devant le réel. Chez Murakami, les événements les plus cruels, comme ce soldat dépecé en Mandchourie, alternent avec des expériences de vie intérieure. Il y a chez cet écrivain, un doute permanent de la réalité. Il en résulte une atmosphère fantastique, à l’image de ces vieux contes japonais dont les héros affrontent des fantômes. Voilà en définitive la filiation de Chroniques de l’oiseau à ressort qui sous les oripeaux de la modernité raconte la lutte d’un homme contre des démons pour retrouver sa bien-aimée.

On ne terminera pas cette chronique sans évoquer le soin avec lequel Murakami bâtit ses personnages. Ce n’est pas pour rien que certains se réfugient dans des puits pour réfléchir à leur existence. Okada, Kumiko, les sœurs Kano aux prénoms d’îles méditerranéennes sont eux mêmes des puits, dissimulant des enfances difficiles, des fragilités enfouies. Entre toutes ces figures May Kasahara adolescente fugueuse, fantasque, courageuse, enthousiaste et confidente du pale Toru Okada, remporte tous les suffrages. Une vraie héroïne de manga. Chroniques de l’oiseau à ressort mérite sa réputation.

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