Joel
Lane - Certains ont disparu et d’autres sont tombés - Dreampress
Joel Lane est un auteur
britannique de littérature fantastique décédé en 2013. Pratiquement inconnu en France malgré plusieurs prix outre-Manche, son oeuvre
reste à découvrir. Jean-Daniel Brèque présente ici une sélection de
trente de ses nouvelles. Il en a réalisé la traduction, rédigé une préface et
des notes explicatives. Le Grand Prix de l’Imaginaire 2018 vient à juste
titre récompenser un travail tout autant qu’un défi : transcrire dans la
langue de Victor Hugo les mots d’un styliste hors pair. Comme son mentor Ramsey Campbell, Lane privilégie l’intrusion du
fantastique dans le quotidien.
On trouvera d’abord dans
ce recueil quelques allégeances aux grands anciens, Lovecraft, Howard. « La
nuit qui gagne » raconte, dans un lieu imaginaire, la vengeance de Sygigh
le voyant, un personnage en quête d’un prêtre voleur de peau, meurtrier de ses
parents. « Sur un vent de granit » dédié à R.E Howard mais qui
se ressent du Cortazar des Armes secrètes voit un personnage évoluer sur
deux plans de réalités différents. « Droit de regard » décrit
la déchéance d’un homme transformé à son insu en sentinelle d’une espèce extra
terrestre menaçante.
Sans citer tous les
textes et d’inspiration plus récente, disons la génération King, on appréciera
« Et d’autres sont tombés » qui voit une bande d’adolescents célébrer
une fin d’année scolaire et être attaqués par des papillons, ou l’admirable
« Black Country », héritier d’ X files et de Ça.
Un flic, sosie de Fox Mulder,
revient enquêter dans sa ville natale sur de mystérieux faits et se retrouve
confronté à sa propre enfance. L’écriture étincelle : « Puis une
mince silhouette a bondi sur la branche et elle est tombée, recroquevillée sur
elle-même. Je l’ai attrapé comme il tentait de s’enfuir. J’ai senti dans mes
bras le froid et l’absence. Regardé son visage brouillé comme sa peau se
plissait à la façon d’une empreinte de pouce, d’une image sur le papier effacée
et redessinée. J’étais quelque part là-dedans. Je l’ai serré contre moi tandis
que son souffle s’amenuisait, que son visage se morcelait de l’intérieur, jusqu’à
ne plus tenir q’une chose noircie et friable, comme une rose de cendres. »
La veine policière se poursuit avec les excellents « Sans esprit »,
« Un voyage en hiver » où l’on croise vampires et ectoplasmes,
« Réveil dans Moloch » et « Face au mur » qui
verse dans la mythologie.
Mais pour reprendre une
expression célèbre, la vérité est ailleurs. Comme Lovecraft et Providence, l’écrivain
britannique est l’homme d’une cité, Birmingham. Il a assisté à la
désertification industrielle sous l’époque Thatcher, à la montée des troubles urbains.
Les personnages de Joel Lane errent à la marge, employés, chômeurs, homosexuels,
vivants stigmates du libéralisme. « Parmi les morts » exploite
le filon du fantastique social par un renversement. Le monstre c’est celui qui
fait preuve d’inhumanité. Lane raconte les nuits fauves, les amours vénales,
les amours d’un soir, les amours tout court : « Cette nuit la
dernière femme », « Réservoir », « La grille
de la douleur », « Les belles endormies ». Plus loin
dans « Le chagrin des goélands » il atteint une simplicité
narrative bouleversante. Un homme retrouve sur un quai le fantôme d’un amant disparu dans l’explosion d’une plateforme pétrolière.
Rien n’est à jeter dans
cet ouvrage, qui privilégie la vérité humaine au théâtre de l’épouvante. Les récits
souvent à la première personne révèlent les cicatrices des personnages, le
fantastique métaphorise leur déréliction.
Bref voilà une leçon de littérature, jusqu’au titre magnifique, composé avec
les en têtes des premières et dernières nouvelles.
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