Han
Kang - Impossibles adieux - Grasset
« Un matin de décembre, Gyeongha reçoit un message
de son amie Inseon. Suite à une grave blessure à la main, celle-ci a été
transférée d'urgence à Séoul, laissant derrière elle son île natale et son
perroquet blanc. Alitée, elle demande à Gyeongha de prendre le premier avion à
destination de Jeju pour nourrir son oiseau, avant qu'il ne soit trop tard.
Mais le soir même, une violente tempête s'abat sur l’ile.
Le vent glacé et les chutes de neige ralentissent Gyeongha au moment où la nuit
se met à tomber. Parviendra-t-elle à rejoindre la maison de son amie ? Là-bas,
l'attend bien plus qu'une vie qui vacille. Compilée de manière minutieuse,
l'histoire de la famille d'Inseon a envahi les lieux, des archives réunies par
centaines pour documenter l’un des pires massacres que la Corée ait connu - 30
000 civils assassinés entre novembre 1948 et début 1949. »
Ecrivaine sud-coréenne peu connue du grand public français,
Han Kang a construit une œuvre dont la renommée n’a cessé de s’étendre depuis
une dizaine d’années, récoltant au passage un International Booker
Prize en 2016 pour La Végétarienne, le Médicis étranger 2023
pour le présent roman et le Nobel en 2024. Sa plume parcourt les registres de
la solitude, de la douleur et de la mémoire. C’est le cas avec Impossibles adieux et on remarquera au passage
que les récents Prix Goncourt et Renaudot relatent également des parcours
mémoriels. A la source de l’œuvre, un séjour de l’autrice sur l’ile de Jeju et
la révélation par une insulaire d’un massacre commis en 1948 par les autorités
sud-coréenne à la suite d'une révolte paysanne, juste avant la guerre de Corée.
Arrivée à Jeju, Gyeongha découvre les travaux préparatoires
d’Inseon relatifs à un documentaire sur ces exactions que les deux amies, respectivement
journaliste et photographe, devait réaliser. L’intrigue romanesque se mue en un
récit traumatique dans lequel les révélations d’un journal surgissent comme les
ilots d’un passé de cruauté au sein d’un présent réduit à sa forme symbolique: l’enlisement
nocturne de Gyeongha dans un paysage de neige insulaire, les piqures sur les
doigts amputés et suturés d’Inseon, et surtout le rêve récurent de la narratrice,
un champ peuplé d’arbres morts menacé par l’envahissement de la mer,
cimetière marin hanté par Les Croix de bois de Dorgelès.
La seconde partie d’ Impossibles adieux bascule dans
un onirisme total rompant avec le déroulé de la narration, n'épargnant pas les deux jeunes femmes dont la présence se fait de plus en plus évanescente. Ce multivers de la
douleur ralentit la lecture tout autant qu’il la magnifie dans un espèce de
chuchotement Bergmanien à l’image du phrasé de la récipiendaire du Nobel.
50 commentaires:
Je me suis équipé du roman que je n'ai pas encore ouvert... Vous m'avez devancé, MS, mais loin de le faire descendre de la pile, votre post va l'y faire remonter... A priori alléchant, mais émotionnellement douloureux pour accès immédiat, dans la foulée d'un mélo de Pierre Loti... Attendons un brin les futures impressions de Ch.
Bien à vous,
C'est un livre puissant et déroutant. Pas tout à fait un roman, ni même un récit. Sur un massacre terrible, réel, Han Kang écrit, mêlant des rêves récurrents au réel. On ne sait plus à la fin du livre si Gyeongha et Inseon se sont rencontrées dans un moment du réel, à l'hôpital ou dans un monde parallèle.
Ce premier rêve par lequel commence l'histoire, ce champ de neige où se dressent des arbres noirs décapités, est submergé par une marée montante. La narratrice effrayée se réveille et se souvient d'un autre été en 2014. Celui où son livre sur les massacres est paru.
Elle se réveille dans un été caniculaire, angoissée.
Quatre années ont passé depuis ce rêve.
Les scènes du massacre s'entrecroisent avec des retours à la chaleur obsédante. D'autres rêves ou souvenirs se bousculent comme celui où des femmes et leurs enfants réfugiées dans un puits sont mitraillées depuis la margelle.
La certitude c'est l'amitié de vingt ans entre Inseon et Gyeongha. Elle y pense, la revit jusqu'à l'appel de l'hôpital et la rencontre avec son amie gravement blessée et cette urgence presque fantasque d'aller dans l'île de Jeju sauver l'oiseau de Gyeongha de nuit en pleine tempête de neige. Un perroquet blanc....
Elle part, se perd, retrouve son chemin, croit mourir de froid et comme l'écrit admirablement Soleil vert, "La seconde partie d’ Impossibles adieux bascule dans un onirisme total rompant avec le déroulé de la narration, n'épargnant pas les deux jeunes femmes dont la présence se fait de plus en plus évanescente. Ce multivers de la douleur ralentit la lecture tout autant qu’il la magnifie dans un espèce de chuchotement Bergmanien."
J'ai infiniment aimé ce livre. Quelle rencontre...
MS ?
J'écrivais le 13 octobre sous le billet du bracelet de jade de Mu Ming :
"J'aime les sortilèges de ce livre de Han Kang. C'est entre éveil et rêve, sommeil et mémoire. La mort comme le ciel noir où tourbillonnent les flocons irréels de la neige. Tout est neige dans cette coulée d'écriture. Noirs sont les signes d'écritures, noirs sont les troncs des arbres. Douceur et douleur mêlées."
Oui, c'est une écriture tellement poétique, un vrai sortilège. Une esquisse tremblée où le texte évoque sans s'apesantir sur l'atroce.
pas MS, je voulais dire SV dans le premier post que j'ai oublié de signer JJJ... A bientôt et bon dimanche à vous. Un mois de novembre printanier qui n'augure rien de bon ?...
Dans la catégorie des lapsus, JJJ, un nom en remplace un autre mais pas l'intention. Il est évident que vous vous adressiez à Soleil vert et que ce commentaire enjoué était de vous.
N'ayez pas peur de l'ambiance supposeey dramatique du roman. Il est , grâce à l'écriture fine de Han Kang, poétique, sensible, onirique.
Je crois n'avoir jamais lu une si belle approche du e tempête de neige.
Les rapports de Inseon à sa mère, à la société sont d'une grande richesse psychologique ainsi que cette empathie de Gyeongha pour Inseon.
Il est des pans terribles de l'Histoire qu'il faut évoquer pour ne pas les voir oubliés.
Peut etre un mot sur le traducteur ou la traductrice par qui le Coréen passe en notre langage ? MC
"Impossibles adieux» (Jagbyeolhaji anhneunda), de Han Kang, est traduit du coréen par Pierre Bisiou et Kyungran Choi, pour les éditions Grasset.
Comme vous avez raison, MC. !
C'est que cette traduction est si fluide, si fine qu'on l'oublie. La langue française dans toute sa beauté pour sentir cette neige légère et lourde qui tombe sur les mots, ce silence qu'elle pose dans le monde que traverse Gyeongha, ce bruit des pas qui s'enfoncent, ce bruit des âmes et de la mémoire.
Sans cette traduction le livre ne serait pas, ici, entre nos mains... Alors merci à eux pour ce magnifique travail, cette passerelle.
"Le soir tombait mais il restait un halo gris dans l'air. La neige renvoyait les dernières lueurs et il m'était encore possible de discerner les objets. (...) J'ai tenté d'ouvrir la porte mais elle était bloquée. Me fiant à cette ultime pâleur du jour, je me suis mise en marche.(...) La neige me montait aux genoux. Il m'était difficile d'avancer car je devais enfoncer mon pied dans la neige, extraire l'autre, et ainsi de suite. Mes baskets et chaussettes ont vite été trempés. La neige collait à mes chevilles, à mes mollets.. (...) La tempête de neige qui jusque-là avait frappé mon visage, m'empêchant de garder les yeux ouverts, s'était calmée (...) Seul le bruit de mes pas dans la neige froissait le silence du soir. Je n'étais pas rassurée (...).
Je pensais à ce vent en progressant sur le chemin enneigé que l'obscurité avalait. (...) ce vent comme une ombre, prêt à prendre forme et à devenir réel, ce vent dissimulé derrière le silence, comme une marque d'encre au verso d'une feuille." (p. 133)
Juste avant la deuxième partie, plusieurs scènes annoncent un échange possible entre réel et imaginaire se suivent.
D'abord celle-ci :
"La scène intérieure et le paysage extérieur se reflètent dans la vitre pour ne former qu'une seule image."
La fièvre de Gyeongha monte. Elle tremble de plus en plus . Ses vêtements sont trempés. C'est là qu'une coupure de courant dûe aux chutes de neige a lieu. Han Kang écrit :
"L'obscurité brutale efface d'un coup aussi bien la scène intérieure que le paysage extérieur." Elle avance à tâtons dans la maison isolée, bras tendus dans le vide. Peu à peu épuisée elle sombre dans le sommeil. Sa conscience se délite.
due
Puis vient un rêve. Une scène appartenant aux années lointaines où la Terre suite à l'impact d'une météorite monstrueuse a été ravagée par un incendie ravageant la faune et la flore ne laissant survivre que les espèces volantes
Han Kang écrit alors :
"La Tere est devenue un énorme bloc de glace, qui tourne sur lui-même dans un bruit assourdissant. Les continents recouverts de lave bouillonnante ont gelé. Des dizaines de milliers d'oiseaux volent dans le ciel dans pouvoir se poser. Ils planent et s'endorment. Chaque fois qu'ils se réveillent, ils battent frénétiquement des ailes. Ils glissent dans le vide...."
Alors nous basculons dans une autre dimension....
Les premiers mots de la deuxième partie forment le titre du roman : "Impossibles adieux".
On entre alors comme dans un tableau de Magritte. Tous les détails réalistes nous rattachent à la scène de la veille (débris
de la tasse cassée, casserole emplie d'eau, l'atelier...) mais soudain un détail crée l'étonnement. Ce n'est pas possible....
Pourquoi pas l'apparition des absents ?
Une autre histoire commence, ressemblante et différente. Laquelle est illusion ? Je n'ai pas de réponse... Quelque chose est impossible dans ce roman arraché à un terrible fait historique.
( parenthèse. J’ai trouvé votre Carnaval de Brueghel!)
MC
Oui, je me souviens de notre échange sur deux œuvres différentes de Bruegel. Vous, une réunion sombre, moi une fête de village. Mais l'artiste est capable d'exceller dans les deux domaines. Ses paysages ne sont jamais totalement sereins.
Non, plutôt Les jeux d'enfants, où je voyais des enfants jouer à tous les jeux connus à cette époque et dans ce pays. Vous faisiez mémoire d'une scène peint par lui où des adultes semblaient réunis pour des jeux plutôt diaboliques.
En aurons-nous scruter des toiles et des dessins et même des sculptures ! Pour l'art vous êtes imbattable !
Vous songiez peut-être à La danse des paysans. Aucune gaité dans ce tableau. Visages graves parfois épais et inquiétants. Impression de vitesse incontrôlée. Une sarabande ?
Ou encore plus inquiétant, ce chef-d’œuvre du musée d’Anvers, "Dulle Griet "(Margot la Folle) .
Ce tableau, Margot la folle (Dulle Griet) c'est presque du Jérôme Bosch. Je l'avais vu à Anvers. C'est aussi une paysanne, Margot la Folle, qui conduit une armée de femmes . Et où vont-elles ? En Enfer !
C'est une scène de destruction. Panneau saturé de rouges soutenus des flammes.
C'est une scène surréaliste. Femmes déchaînées, monstres. Une bataille infernale dans un brasier... et au milieu de ce chaos cette folle énorme, hurlante. Bigre ! Loin de la douceur féminine !
Pour en revenir au roman témoignage de Han Kang, on baigne dans une blancheur froide celle de la neige et noire par tous ces troncs d'arbres décapités et cette nuit . Linceul et mort...
Sauf quand elle retourne le drame pour une rencontre surréaliste et sereine (presque) entre les deux amies. Un perroquet blanc ressemble par son ombre de géant à celui de Félicité ( Flaubert) mais là pas de Saint-sacrement pour ces morts sans sépultures...
Vous évoquez Brueghel la ncuen au beau milieu de l'œuvre de Han Kang et c'est un beau face-à-face car ce sont deux univers fantasmagoriques, peuplés d’êtres oscillant entre la vie et la mort, l’animal et l’humain.
l'ancien
Elle est aussi peu sombre que possible , mais cette ville est envahie par des enfants qui persécutent des adultes, oui. La ce serait plutôt la folie carnavalesque, tout aussi dévastatrice. Cf Leroy-Ladurie , in « Le Carnaval de Romans ».
MC
Oui, c'est possible... Mais revenant au roman de Han Kang et après avoir lu le billet de Paul Edel sur les romanciers et la guerre, je m'interroge sur la transmission. Ceux qui ont vécu ces tourments longs et atroces, comment leurs enfants vivent leur mémoire de survivants, leur silence, leurs peurs ?
Par les mots dits, les écrits, les lettres, par le corps aussi qui somatise et transmet l'angoisse et les cauchemars d'une génération à l'autre. Comment s'écrit l'Histoire ? De quoi témoignent les journalistes ?
Aujourd'hui, au procès de Samuel Paty, une femme policière municipale racontait, tentait de dire ce traumatisme de croiser le regard de S.P. dont la tête gisait sur le trottoir tout en essuyant les tirs du terroriste . Un regard qui la hante dans son quotidien.
Han Kang, par la mémoire de la mère invite Inseon a raconter les massacres par centaines de ces hommes, de ses femmes et des enfants. Des supplices qui encore une fois démontrent l'horreur que des hommes peuvent faire subir à d'autres hommes sur fond de guerre où l'humain se transforme, se métamorphose en quelque chose qu'il ne savait pas pouvoir être. Un mélange de barbarie, d'indifférence, de sauvagerie féroce, un goût du meurtre voire de la torture.
Parfois les générations qui suivent ont envie qu'on ne leur parle plus de tout cela qui les oppresse. Mais il y a toujours un conflit, un attentat, un crime qui nous ramènent au mystère du Mal.
Son cri nous le recevons dans le calme apparent de la lecture.
"Je me mis à travailler les cadavres qui me séparaient de la couche de terre sans doute jetée sur nous (...) Je ne sais pas aujourd'hui comment j'ai pu parvenir à percer la couverture de chair qui mettait une barrière entre la vie et moi."
Ce n'est pas dans le roman de Han Kang mais dans celui de Balzac Le colonel Chabert, un survivant de la bataille de Eylau, un massacre où il a réussi à s'extraire d'entre les morts. Encore une oeuvre-témoignage qui nous ramène à un évènement de masse où un personnage aurait pu disparaître.
J'ai lu Histoire d'une vie d'Aharon Appelfeld. Déporté avec son père, il réussit à s'échapper. Il avait dix ans...
J'ai lu Les récits de la Kolyma de Varlam Chalamov. Engloutissement aussi dans la neige.
Autant de mémoires de disparus anonymes...
Le pire est advenu et continue à advenir. Oui, c'est arrivé... Cette organisation de la terreur.
Et ce Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas d'Imre Kertesz...
Se dresser contre l'oubli par la parole, l'écriture exige tant de volonté, de courage... Ces textes fragmentaires sont des traces indispensables même si leur reconstruction passe par la littérature, la fiction, la poésie. Ils restaurent par éclairs ce qui a été.
Comment situer, par exemple le grand poète Paul Celan, l'auteur de La Rose de personne. Son obscurité est lumineuse. Quelle force...
Il y a dans "La Montagne magique" de Thomas Mann, page 499 et suivantes, une tempête de neige inoubliable où Hans Castorp se trouve piégé comme Gyeongha l'est dans le roman de Han Kang.
A la différence de Gyeongha, Hans Castorp, après avoir cru mourir dans ce froid terrible, ces tourbillons de neige, ces rafales glaciales qui l'engourdissement, le paralysent, dans cette nuit blanche, il entre dans une rêverie qui tient du mirage. Une traversée de lumière, "emplie de ruissellements miroitants". Il entend même les gazouillis des oiseaux, voit un arc-en-ciel. La verdure touffue remplace la neige. Il est entouré d'un flot bleu et violet où tout s'estompe comme par magie. Et même, "une mer du Sud, d'un bleu extrêmement profond avec une baie magnifique. Hans Castorp n'avait rien vu de pareil."
Il sortira de ce songe, vivant. La tempête a cessé. Il peut regagner la maison Berghof où on lentourera de mille soins.
"Ce qu'il avait rêvé était en passe de se dissiper. Ce qu'il avait pensé, il ne le comprenait plus guère, le soir même.
Gyeongha, elle, aura aussi des visions mais de morts, de massacres, d'eaux noires maléfiques qui ont englouti les suppliciés.
Ainsi, les écrivains ont en eux ce pouvoir : créer des personnages, leur faire traverser mille périls tantôt imaginaires , tantôt appartenant à l'Histoire. Des romans qui nous happent, nous transportent ailleurs.
Le sentier des lectures court d'un point inconnu à un autre point inconnu. On les suit, on se perd, on se retrouve, étonnés ; mystère des romans dont la clé n'appartient à personne... Insomnies de la solitude des créateurs saisissant le vif de la vie...
Comme le disait Paul Valéry dans une conférence donnée à l'Université de Zurich en 1922 :
"Presque toutes les choses humaines demeurent dans une terrible incertitude. Nous considérons ce qui a disparu, nous sommes presque détruits par ce qui est détruit ; nous ne savons pas ce qui va naître, et nous pouvons raisonnablement le craindre. ; nous confessons que la douceur de vivre est derrière nous, que l'abondance est derrière nous, mais le désarroi et le doute sont en nous.(...) On peut dire que toutes les choses essentielles de ce monde ont été affectées par la guerre. (...)
Quels rêves a faits l'homme ?... Et parmi ces rêves quels sont ceux qui sont entrés dans le réel et comment y sont-ils entrés ? "
Ce ne sont pas des historiens. Ce sont des écrivains, quelle que soit leur qualité. « L’ Histoire commence à la mort du dernier témoin ».
MC ( Bien sur..,)
MC, bien sûr.
Mais qu'est-ce qu'un historien ? A la mort du dernier témoin... qui pourrait dire qu'il se trompe ou qu'il ment.
Ma mère me raconta l'exode , ce qu'elle avait vécu. Sa parole est unique. Aucun historien ne l'a recueillie et pourtant quel témoignage... Car elle voyait dans ceux qui l'entouraient ce mélange de banalité, d'espérance, de couardise, de courage. Elle a survécu. D'autres sont restés sur la route, mitraillés par les avions. Ce dont elle rêvait : un morceau de savon, des vêtements propres, de la sécurité. L'Histoire racontée par elle me convenait. C'était comme un secret. Parfois elle nous parlait comme si c'était à elle qu'elle destinait sa mémoire. Pour se dire que ça avait été. Et puis il y a eu des années de silence. J'ai trouvé de vieilles photos jaunies et dentelées , à sa mort, dans une boîte. Elles me révélaient une femme inconnue encore jeune fille, entourée d'amies que je n'ai pas connues. Elle avait donc eu une vie avant nous dont nous ne savions que peu de chose. Quelques gouttes d'enfance, de guerre, même mon père je n'ai jamais su ce qu'il avait vécu ces années-là. Ces deux témoins sont morts emportant leur vie, leur mémoire .
Aucun historien ne me les rendra... Et c'est bien ainsi. C'est notre histoire qui ressemble à un bas filé.
@ Quels rêves a faits l'homme ?... Et parmi ces rêves quels sont ceux qui sont entrés dans le réel et comment y sont-ils entrés ? "
Jaurais envie de vous répondre par de la littérature post exotique. Tous les romans d'Antoine Volodine répondent à cette préoccupation. C'est un auteur obsédé par les vies brisées des obscurs de la terre qui n'ont pas vraiment réussi à accéder à la vie, et sont conduits à errer au bardo durant 49 jours à revivre l'existence qu'elles auraient pu avoir... Connaissez-vous cet admirable écrivain Ch., ? et si oui, ne vous aurait-il jamais consolé du désir qui nous assaillel tous un jour ou l'autre de disparaitre dans l'engourdissement de la neige et d'y poursuivre la vie dans un état nirvanesque perpétuel ? Bàv,
JJJ, vous me donnez envie de découvrir Antoine Volodine.
Oui, Hans Castorp , dans cette partie de chapitre intitulée "Neige", engourdi par cette nuit dans cette tempête de neige se laisse glisser dans une sorte d'extase acadienne où il se fond dans la nature, fait un tout avec elle. Une mort de dissolution dans un grand tout tentant, hors du temps. Un peu comme pour les riches oisifs du sanatorium de Berghof dont la vie est tellement factice et dolente, allongée...
Hans Castorp ? un étrange personnage, rêveur, indécis, ne sachant se situer entre les positions contraires de l'extrémiste Naphta et le livre penseur Settembrini, (C'est même un peu lourd ces polémiques idéologiques au centre du roman.) entre la maladie et la fascination de la guerre et de la mort. Offert aussi aux démons de la chair....
Quels rêves a faits cet homme, cet ecrivain ? Thomas Mann et ses zones d'ombre...... (Pour reprendre l'interrogation de Paul Valéry.) Il est très présent dans ce roman par la voix du narrateur..
Pour moi, La Montagne magique de Thomas Mann c'est un roman inachevé volontairement. Un leurre. Un conte philosophique et ironique...
On dirait que Hans Castorp cherche à échapper à la vie par la séduction de la vie intellectuelle... qu'il est toujours en sursis.
Je n'ai pas pensé à Volodine - ne l'ayant jamais lu - mais à Goethe pour son Faust.
L'Histoire dans une vie choisie parmi d'autres...
Paul Valéry pèse bien ce qui pourrait relever d'une sorte de fatalité faisant de l'homme un être balloté par des forces qui le depassent.
Je me souviens de MC tenant à distance les théories viennoises. Pour lui répondre j'ai choisi Paul Valéry et sa méditation sur la vie menacée..
Et vous voilà revenu du diable Vauvert ( emprunt à SV !).
Cette émission sur Arte que j'ai beaucoup appréciée sur La Montagne magique de Thomas Mann m'a donné envie de retrouver la musique du roman. Son écriture est envoutante. Un peu funèbre comme dans La Mort à Venise. Engourdissement de la lecture qui va vers ce que vous écrivez ..
libre penseur, bien sûr !
Je vais lire cette chronique de Soleil vert pour faire connaissance avec un roman d'Antoine Volodine.
https://soleilgreen.blogspot.com/2023/05/des-anges-mineurs.html
Mais oui, mais oui, relisant mes commentaires la mémoire de ces nouvelles-portraits me revient.
Tiens, je vais les relire !
Mais, JJJ, grâce à vous, je viens de retrouver un roman-nouvelles que j'avais interrompu à cause d'une urgence familiale. Laissé en plan dans mes piles de livres. Et c'est la joie de le retrouver : "Vivre dans le feu". Ce pari insensé :
"Voyager une dernière fois. Dire tout, inventer tout, ne pas s'affoler en face de l'indicible. (...)"
Elle dispose d'une seconde avant que la vague de napalm enflammé ne l'engloutisse. Une seconde pour écrire un petit roman hurlé en accéléré. A la va-vite."
Et l'enfant découvre le livre : "Vivre dans le feu".
Et c'est épatant. Je sais maintenant quel événement avait effacé Volodine de ma mémoire. Merci, JJJ.
Je vais lire goulûment ce livre improbable.
Elle dit à sa grand-mère qui lui a presque imposé ce livre - enfin ce cahier - "On dirait que ça a été pris sous la dictée depuis le cœur d'un brasier. Que ça a été pris sous la dictée par un scribe qui se trouvait en dehors du feu. C'est l'effet que ça produit. C'est un peu halluciné, je dirais, comme un récit de voyage. Mais on y croit dur comme fer."
Ah, la bonne lecture que voilà. Écrire depuis la mort, dans la mort ?
Je crois que c'est un garçon à cause de l'accord des participes passés, quant à l'âge , il est possible qu'il ait 33 ans mais il préfère dire qu'il a 8 ans. Tout cela est secondaire. Retour au manuscrit mystérieux.
Le roman de Volodine m'évoque le titre d'un recueil de nouvelles de Musil. Œuvres pré -posthumes. Musil justifie ainsi le choix d'un titre aussi paradoxal : « Il arrive que l'inédit laissé par un écrivain soit une aubaine pour ses lecteurs ; mais le plus souvent, les œuvres posthumes évoquent de façon suspecte les liquidations et les soldes. J'ai [donc] décidé d'empêcher la publication des miennes avant d'en arriver au point où je ne pourrai plus le faire. Et le moyen le plus sûr d'y parvenir est de la transmettre de son vivant (…)."
Il dispose d'une seconde.... C'est Sam.
Oh vous savez, je peux vous raconter l’histoire de ces gens du Nord -on ne les désignait jamais autrement- qui arrivèrent et furent logés à Pont Aven dans la maison de mon Grand-Oncle. Ils dormirent dans le salon et leur sueur attaqua le parquet ( alors en bois) . Je peux aussi citer l’occupation de cette même maison par un Allemand, et les ruses de sioux déployées par ma GrandMere pour que ni ma mère ni sa sœur ni son frère n’aillent jouer avec lui. Cloisonnement du jardin, etc. Je peux évoquer aussi Lorient en passe d’être évacuée, et, à vingt mètres de ce qui etait chez moi, quelqu’un jetant pour les sauver les pièces de son service par la fenêtre, où elles se cassaient dans la rue. Je pourrais évoquer aussi quelques souvenirs de Résistance , certains glorieux, d’autres bien moins . ( prise du Château de Pontcallec)…Mais pourtant , pris en lui-même ,le souvenir n’explique pas, C’est pourquoi il faut la synthèse, laquelle ne peut être faite qu’après la mort du dernier témoin. Regardez Taine et la Révolution, entre autres…
Votre réponse est vraiment intéressante, MC.
"Mais pourtant , pris en lui-même ,le souvenir n’explique pas, C’est pourquoi il faut la synthèse, laquelle ne peut être faite qu’après la mort du dernier témoin. "
Je pense aux peintres impressionnistes. De près, mille et une petites touches qui s'essaient à capturer la lumière sur les êtres, les tissus, les plantes, les murs... Et avec un peu de recul tout ce travail de captatation par la couleur, devient scène lisible, compréhensible.
Je comprends moins votre entêtement à noter "la mort du dernier témoin" pour rendre cette mémoire lisible. Quelque chose m'échappe... On ne pourrait donc sans danger de se tromper , lire l'Histoire du temps présent.
Moi j'aime bien vos souvenirs d'enfance, tels quels, au débotté. C'est tout vivant plein de trous plein de choix d'images-choc. C'est un peu sur un autre blog ce que PE tente de ce moment de lHistoire où pour repousser les allemands des villes françaises furent bombardées par les alliés. Le lisant je me questionnais sur ses souvenirs de l'enfant qu'il était. Il me envoie à son livre , "Jeunesse dans une ville normande". Je le trouve dans la pile la plus basse, celle où s'accumulent les livres que j'ai lus et dont je ne veux pas me séparer. Oui, il se souvient lui aussi.
Et vous êtes ... VIVANTS !
renvoie
C’est vivant, absurde parfois, oui. Mais ce sont des histoires. Pas de l’ Histoire. Au.demeurant, je sais comment les choses s agencent. On n’aurait pas pu dire en 1945 que les Alliés avaient bombardé entre autres St Malo On en a donc fait porter la responsabilité aux Allemands. Maintenant, il devient possible de le dire. Nous sortons d’une Histoire créée, intermédiaire, et fausse, pour s’orienter vers ce qui fut la réalité de ces jours la. Ça ne veut pas dire que nous aurons raison sur toute la ligne…Est -ce que je me fais comprendre ?
Oui, absolument ! Je comprends mieux.
Mais pour nos petites vies minuscules, ce flot de souvenirs embrouillés, lacunaires, tristes ou gais qui nous rattachent aux nôtres, à l'Histoire sont nos racines, notre trésor, notre histoire. Ils ont des visages, des noms, une voix. Merci et bonne soirée.
Alors d’accord!
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