Taras
Grescoe - Shanghai la Magnifique - Les éditions
Noir sur Blanc
L’acte d’achat d’un livre obéit à de multiples et
parfois mystérieuses lois. Le syndrome de la couverture fut certainement le
déclencheur initial de l’acquisition de Shanghai la Magnifique. S’y
mêlèrent le souvenir nostalgique des œuvres de J.G Ballard dont le séjour dans
la métropole chinoise détermina à jamais son inspiration créatrice, et aussi un
circuit touristique effectué personnellement en 1998. Alors que l’accueil à Hong
Kong se ressentit de la rétrocession effectuée un an auparavant, je n’oublierai
jamais la rencontre sur le Bund d’étudiantes venues spontanément à notre contact,
et le sourire de quelques gardes rouges. Certes j’avais cru comprendre à la lecture
de Wang Anyi la fierté des shanghaiens d’appartenir à une cité prestigieuse,
mais à la découverte des exactions et vexations commises par les japonais et
dans une moindre mesure les européens durant la première moitié du XXe siècle,
mon étonnement devant une telle civilité, demeure.
Vue du Bund depuis le toit de l'ancien Hôtel Cathay |
Shanghai ne fut pas seulement une ville cosmopolite
comme jadis Vienne ou le Paris des années 1920 mais une ligne de faille de l’Histoire
où déboulèrent successivement en l’espace de quelques années une invasion, une guerre
mondiale et une révolution. Paradoxalement, lorsque Emily Hahn alias Mickey
Hahn, héroïne de la biographie romancée de Taras Grescoe, débarque dans la zone
portuaire en 1935, les lieux jouissent d’une relative tranquillité corsetée par
l’alliance de la pègre locale et des nationalistes de Tchang Kaï-chek. Sur ce terreau douteux prospèrent ou vivent dans une relative opulence plusieurs
dizaines de milliers d’étrangers aventuriers ou hommes d’affaire britanniques, français,
russes blancs … cloitrés dans des concessions interdites d’accès aux millions
de miséreux chinois. Alors que l’Europe ploie sous les effets de la crise
économique de 1929, les capitaux affluent en nombre à Shanghai. Un homme, qui
inspira peut-être au célèbre Monopoly sa silhouette de milliardaire, va transformer
la ville : Victor Sassoon. Issu d’une famille irako-indienne implantée à
Bombay et enrichie par le commerce de l’opium et du coton il transfère ses
liquidités en Chine et se lance dans la spéculation immobilière. Le Cathay Hôtel en sera le symbole flamboyant et légendaire.
1937 : réfugiés chinois aux portes des concessions
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De cette alliance de prospérité et d’infamie caractéristique de l’ancien port d’entrée de l’opium, Mickey Hahn ne connaitra longtemps
que le premier terme. Originaire du Missouri c’est une jeune américaine brillante
en quête d’émancipation qui trouve sa voie dans le journalisme. Certain de ses confrères
comme Edgar Snow rentreront dans la légende en interviewant Mao Tse Toung ou Ghandi.
Mickey utilisa ses dons d’observations en rédigeant des instantanés pour des
lecteurs américains peu au fait des mœurs asiatiques. Victor Sassoon l’introduisit
dans les milieux mondains. Shanghai attirait en effet des personnalités de
passage : Hemingway, Charlie Chaplin et Paulette Godard, Cocteau …La
rencontre amoureuse d’un lettré chinois du nom de Zau
Sinmay (Shao Xunmay) qui en fit pour un bref temps sa concubine, déplaça un
peu son regard sur les réalités de ce monde, quoique tempérées par les fumées de l'opiacé auxquelles elle prit gout. Cela n’en fit pas pour autant une
journaliste politique mais lui fournit la matière d’une nouvelle chronique pour
les abonnés du New Yorker.
Grands ou humbles, tous plièrent bagage pour Hong Kong ou d’autres destinations devant l’avance de l’armée japonaise. Une époque s’achevait,
une nouvelle ère s’ouvrait. Historiens ou journalistes diront mieux que moi si
l’angle d’attaque romanesque imaginé par Taras Grescoe pour ressusciter le Shanghai
d’avant-guerre est judicieux. En tout cas ce travail étoffé d’une annexe bibliographique
et de notes couvrant soixante pages impressionne. Shanghai fut un monde où le
pire ne côtoya pas hélas le meilleur mais réserva quelques heureuses surprises.
Après la dramatique Nuit de Cristal de 1938, alors que beaucoup tentaient en
vain de fuir aux Etats-Unis, la cité chinoise accueillit à elle seule dix huit
mille juifs, soit autant que le Canada et l’Australie réunis pendant la durée de la Seconde Guerre Mondiale. Le milliardaire
et mondain Victor Sassoon prit les choses en main, ramena plus de cinq cents
personnes sur son yacht et organisa les secours sur place.
A l' instar d' un roman de Thackeray tous ces personnages connurent une fin diverse. Le propriétaire du Cathay Hôtel termina son existence aux Bahamas. Appauvri, Zau Sinmay ne survécut pas à la Révolution Culturelle.
Quant à Mickey Hahn, comme beaucoup d’aventuriers(ières) elle mourut dans son
lit.
3 commentaires:
Recette du Conte verde, vert non comme l'espérance mais comme le toit pyramidal de l'ex Hôtel Cathay :
un verre à martini rempli de gin glacé, de Cointreau et de vermouth, agrémenté d’un coup de crème de menthe
On voit pas trop le rapport mais merci pour la recette.
C'était le cocktail vedette du bar du Cathay.
Vermouth et menthe, vraiment un mélange Anglo-saxon
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